Une foi révolutionnaire

Prêtre et militant, intellectuel et adepte de Marx, défenseur des opprimés et prêcheur de la lutte des classes, il est l’un des instigateurs du sommet de Porto Alegre. Portrait d’un voyageur engagé, témoin du siècle

Parce qu’il a la modestie des grands esprits, il ne l’avouera pas. Mais il est bien à l’origine du Forum social mondial qui se tient, pour la seconde fois, dans la ville brésilienne de Porto Alegre, et dont les 60 000 participants attendus ce week-end devraient confirmer le succès. A 77 ans, François Houtart, prêtre marxiste, à la fois croyant et résistant, révolutionnaire dans l’âme, globe-trotteur inusable, polyglotte (il parle sept langues), est d’ailleurs l’un des principaux coordinateurs de cette manifestation qui réunit diverses ONG, associations de défense de l’environnement, du droit des femmes, des paysans ou des peuples autochtones, mais aussi des économistes, des sociologues et des politologues, venus de tous les continents.

En 1997, à l’occasion du vingtième anniversaire du Centre tricontinental (Cetri), ce cénacle de documentation et de réflexion sur les relations Nord-Sud dont il est le directeur-fondateur, le prêtre militant lança l’idée, avec d’autres intellectuels, d’un sommet baptisé « L’autre Davos », réunissant des mouvements sociaux de tous les continents. Cette rencontre, organisée moins de deux ans plus tard à Zurich en Suisse, était un habile pied de nez à la grand-messe annuelle qui rassemble les plus grands décideurs de ce monde, dans la station helvétique huppée de Davos. Le ralliement des gueux face à l’assemblée des seigneurs… Rapidement, les Brésiliens reprirent l’idée. « Porto Alegre » était né.

Durant toute sa vie, à travers ses recherches sociologiques remarquées, François Houtart a ainsi exporté ses convictions passionnées et son engagement social, aux quatre coins de la planète. Mais, derrière ses grands verres fumés, l’homme de foi reste discret. Il a toujours mené son combat – celui des pauvres et des opprimés – en coulisses, loin des projecteurs. Cet ami de Gabriel Garcia Marquez et de Chico Buarque, ce camarade de Dom Helder Camara et de Daniel Ortega, ce confident de Fidel Castro a apporté son soutien à divers mouvements de libération, du Front sandiniste au Nicaragua à l’ANC de Nelson Mandela, en passant par le Front de libération du Mozambique (Frelimo).

Petit-fils d’Henry Carton de Wiart, qui fut le pionnier de la démocratie chrétienne belge, François Houtart rêvait, lorsqu’il était adolescent, de devenir prêtre missionnaire. Déjà le goût des voyages et l’envie de soutenir son prochain… Mais son père, homme d’affaires actif, s’est opposé à cette vocation, refusant de lâcher son fils aîné dont il avait besoin pour mener une tribu de 14 enfants. François est alors entré au séminaire, à Malines. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance d’un certain Karol Wojtyla, un prêtre polonais qui vient passer ses vacances en Belgique et à qui il apprend à parler néerlandais: un « compagnon agréable », même s’il ne partage pas ses idées, et qu’il n’a pas revu depuis que celui-ci a été élu pape.

A défaut d’engagement missionnaire, Houtart choisit, à 18 ans, de s’investir dans la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), où il rencontre Joseph Cardijn, le fondateur du mouvement. Une fois ordonné prêtre, il entame des études de sciences sociales à l’université de Louvain, puis d’urbanisme à Bruxelles, avant d’obtenir une bourse pour aller à l’université de Chicago. Après sa foi, il découvre sa voie: l’étude des problèmes sociaux et religieux dans les villes.

En paix avec ses convictions En 1953, Cardijn l’envoie à La Havane, à Cuba, où se tient un congrès de la JOC d’Amérique centrale et des Caraïbes. Ce voyage sera le début d’une longue histoire d’amour entre le prêtre progressiste et tout un continent. Pendant plus de quatre ans, François Houtart étudie, sur le terrain, le rôle de l’Eglise dans la société latino-américaine. Il fonde, à Bruxelles, le Centre de recherches religieuses, qui sera intégré, plus tard, à l’université de Louvain et qui lui permet de mener à bien son étude. Au début des années 1960, il publie une oeuvre colossale en 43 volumes, dans laquelle sont évoqués les problèmes religieux, mais aussi économiques, sociaux, démographiques, agraires de chaque pays latino. Cet immense travail sera utilisé lors du concile Vatican II, où Houtart intervient comme expert. Il servira également de base au renouveau de la pensée théologique en Amérique latine, à savoir la théologie de la libération. Auprès de grandes figures de ce courant chrétien, comme Gustavo Gutierrez ou Camilo Torres (qui finira par prendre le maquis avec la guérilla colombienne), le père François découvre que l’engagement religieux n’est pas incompatible avec l’engagement révolutionnaire. Au contraire, en luttant auprès des pauvres, il a le sentiment d’opter pour une démarche évangélique plus authentique. Il choisit le marxisme comme cadre de réflexion, sans en faire une religion. Ses prises de position, qui lui vaudront le surnom de « prêtre rouge », ne plairont pas à tout le monde. A commencer par le Vatican qui, malgré les interventions du cardinal Suenens, tentera, pour le museler, de chasser le prêtre rebelle de l’Université catholique de Louvain. En vain. Des raisons juridiques l’en empêcheront. De son côté, rusé, François Houtart n’a jamais bravé frontalement le Saint-Siège. « En tant que sociologue, je sais que l’institution a toujours raison, à moyen terme, face à l’individu, explique-t-il d’une voix apaisante. J’ai aussi appris qu’une institution, lorsqu’elle grandit, finit par être en contradiction avec son message originel. Il s’agit d’un processus social, réversible à long terme. » Sans doute un peu désabusé par l’Eglise, mais en paix avec ses convictions, le théologien contestataire a continué à apporter « sa bonne parole » là où on l’y invitait. A la fin de la guerre du Vietnam, en 1975, alors qu’il s’était prononcé en tant que président de l’association Belgique-Vietnam contre l’engagement américain, le régime communiste de Hanoi lui a demandé de superviser la mise sur pied d’un nouvel institut de sociologie. Ses travaux influencent toujours la recherche sociologique au Vietnam. En 1986, sollicité par le comité central du parti communiste cubain, il a donné un cours de sociologie de la religion aux idéologues du régime castriste. On lui a reproché ses contacts avec l’Académie des sciences de Moscou, pendant la guerre froide. « L’URSS, qu’on pouvait critiquer sur le plan interne, était un allié objectivement précieux au niveau géostratégique », justifie-t-il. Aujourd’hui, François Houtart milite plus que jamais à travers le Cetri, qui est à la fois son quartier général, son bureau et sa maison. Sa revue trimestrielle, Alternatives Sud, est lue dans plusieurs dizaines de pays à travers le monde. Déjà traduite en italien, elle le sera bientôt en espagnol et en arabe. Ses idéaux révolutionnaires sont toujours vivaces. Lorsqu’il évoque le mouvement des « autres mondialistes », il considère que le temps du dialogue avec les responsables politiques n’est pas encore venu: « La confrontation est d’abord nécessaire pour établir un rapport de forces équitable qui donnera, alors, lieu à un véritable échange », assène-t-il. Après tant d’années de luttes, sa foi, surtout, est restée intacte: « Mon combat a toujours été inspiré par l’Evangile », conclut-il avant d’arborer un sourire désarmant. Et un rien espiègle.

François Houtart, Thierry Denoël

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