Une facture obscure

BP a réussi à colmater la fuite de pétrole dans le golfe du Mexique. Mais quels sont les dégâts et combien vont-ils coûter ? La guerre des experts a commencé.

De notre correspondant

A Grand Isle, aux confins des bayous de Louisiane, la pêche a repris le 16 août. Sans fanfare ni faux espoirs. Le puits de la plate-forme Deepwater Horizon, maîtrisé et bientôt scellé grâce à des injections de ciment, ouvre enfin la mer aux 70 patrons crevettiers locaux.  » Ils n’ont pas rapporté grand-chose ce premier jour, regrette Josie Cheramie, épouse d’un pêcheur de l’île, et personne ne sait trop ce qui se passe.  » Est-ce la chaleur inhabituelle de l’eau ? L’effet des millions de mètres cubes d’eau douce détournés du Mississippi pour repousser le pétrole au large ? Ou les ravages du brut infiltré dans les baies et les marais de la région, incubateurs de milliers d’espèces marines ?  » Les experts disent que la crevette et le poisson sont propres à la consommation, poursuit Josie. Pour le reste, nous en apprenons plus par la télévisionà « 

Sur 2 500 échantillons recueillis dans la mer, deux seulement révélaient des traces de pétrole ou de produits chimiques dispersants. Les millions de litres de produits solvants injectés à la base du geyser de pétrole par BP semblent avoir facilité la tâche des bactéries dévoreuses d’hydrocarbures et de méthane présentes naturellement dans les eaux, et la légèreté particulière du pétrole de ce gisement a aidé à son évaporation. Début août, diverses explorations, conduites à la fois par les experts que BP a mandatés et par ceux de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), semblaient conclure à l’inimaginable : 26 % seulement du pétrole était encore présent.

Pourtant, ce constat est fermement démenti par les océanographes américains de la Woods Hole Oceanographic Institution, un institut privé, qui ont révélé le 19 août l’existence de nappes de pétrole dérivant dans les profondeurs. D’autres chercheurs, de l’université de Géorgie, avaient affirmé deux jours plus tôt que 80 % des hydrocarbures échappés du puits s’étaient déposés au fond de la mer.

La firme risque une amende de 17 milliards de dollars

La guerre des expertises ne fait que commencer, d’autant plus acerbe qu’elle déterminera le montant des amendes et des dommages et intérêts infligés à BP. En principe, la compagnie pourrait se voir réclamer plus de 17 milliards de dollars d’amendes (13,2 milliards d’euros) en raison du seul déversement de pétrole. La peine officielle pour chaque baril dans la mer est de 1 100 dollars en cas d’accident involontaire, mais le tarif peut atteindre 4 300 dollars si la négligence caractérisée est prouvée par l’enquête du Département de la justice. On comprend mieux les réticences initiales de BP à dévoiler le débit véritable de son puits et, paradoxalement, l’apparente mansuétude du gouvernement américain, qui craint de conduire le pétrolier à la faillite. Un panel d’experts fédéraux a ainsi opté pour une estimation basse de la marée noire à 4,1 millions de barils.

A ce décompte s’ajoute celui des animaux victimes du désastre. BP a déjà reconnu sa responsabilité dans la mort de plus de 3 500 pélicans, facturés chacun 25 000 dollars par l’Etat.

Reste la note la plus douloureuse, et la plus incertaine : celle des indemnités accordées aux milliers de plaignants par une cour civile fédérale. Pour le procès, prévu en 2011, la compagnie a déjà provisionné 20 milliards de dollars, en plus des 4 milliards déjà déboursés en nettoyage et indemnisations provisoires. BP a même dégagé 75 millions de dollars en aide psychologique en faveur des spoliés du golfe. Grand Isle, où les pêcheurs craignent de ne plus trouver d’acheteurs pour leurs crevettes, recevra sa part des 500 millions de dollars que BP destine par ailleurs au marketing des produits de la mer. S’ils reviennent un jourà

Philippe Coste

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