Eve-Marie Lievens et André Baillon, en 1926. © AML

Une enfant, voyons !

Une fois par mois, l’écrivaine sort de sa bibliothèque un livre qui éclaire notre époque.

Conforté par l’aveuglement d’un certain milieu parisien, Gabriel Matzneff a fait de ses relations avec des mineur.e.s son fond de commerce littéraire. Aujourd’hui vilipendé, il se pose en victime, devenu point focal des médias, en passe d’éclipser tout ce qui, ailleurs, menace de faire sauter la planète. De quoi réveiller le souvenir d’autres récits – Lolita de Nabokov par exemple, fiction, certes, mais scandale dès sa parution -, ou d’autres drames – Gabrielle Russier, poursuivie, puis suicidée, pour avoir aimé l’un de ses élèves âgé de 16 ans. Dernièrement, je relisais Un homme si simple, d’André Baillon (1875 – 1932). L’histoire d’un certain Martin, tiraillé entre Jeanne, ex-prostituée, et Claire, pianiste, toutes deux amoureuses et qui se disputent leur grand homme. Pauvre homme plutôt, Belge exilé à Paris, luttant pour sa survie d’écrivain dans un appartement exigu où vit aussi Michette, 15 ans, la fille de Claire, enfant illégitime d’un peintre qui vivait alors en Provence avec sa famille officielle.  » Je l’aimais en Grand Frère. Si elle avait été ma fille, j’en aurais été fier. J’aurais eu l’autorité pour l’aider mieux. Elle me parlait avec confiance. Ce qu’elle cachait à sa mère, elle le racontait à moi… C’est tout. Pourquoi voulez-vous qu’il y eût autre chose ? […] Une enfant, voyons ! Mes tracas suffisaient, je n’allais pas les compliquer davantage. […] J’avais mal, j’avais honte, j’aurais tout fait pour arracher cette glu.  »

Un homme si simple, par André Baillon, éd. Espace Nord, 220 p.
Un homme si simple, par André Baillon, éd. Espace Nord, 220 p.

Eve-Marie Lievens, la jeune fille qui a inspiré ce passage, n’éprouvait envers André Baillon, compagnon de sa mère, rien de l’admiration éperdue qu’elle portait à son illustre et lointain père, Henry de Groux. Et rien non plus de ce qui a jeté vers Gabriel Matzneff une kyrielle d’adolescent.e.s aussi fragiles qu’ébloui.e.s. Mais pour Baillon, que son enfance désastreuse avait pétri de culpabilité, le désir était source d’angoisse, de scrupules, voire de folie, a fortiori s’agissant d’une attirance vécue comme un  » mal « , une  » honte « , une  » glu  » dont il fallait se débarrasser à tout prix. Au bord du délire, il demanda donc à être interné à la Salpêtrière, aimable maison d’aliénés qui lui évita de se retrouver dans la position de Gabriel Matzneff, tout en lui fournissant le calme dont il avait tant besoin pour écrire. Ce qui nous valut cette histoire où Martin, son double de fiction, se présente en coupable.

Histoire d'une Marie, par André Baillon, éd. Espace Nord, 280 p.
Histoire d’une Marie, par André Baillon, éd. Espace Nord, 280 p.

Certes la vie de Baillon n’eut jamais rien d’un fleuve tranquille, mais rien n’avait précédé ni d’ailleurs ne suivit cet égarement fautif  » en pensée, en parole, par action ou par omission « , selon la formule catholique qui embastilla sa jeunesse. Il mourut suicidé, laissant une oeuvre percutante où il s’est noirci, désespéré et drôle, tout en magnifiant ses compagnes si solidement dévouées à son art. Histoire d’une Marie – la Jeanne du livre précédent – vaut aussi le détour, portrait d’une femme qui, lingère, prostituée, fermière, fut victime des hommes de toutes les manières, mais qui n’en conserva pas moins une liberté et une générosité bouleversantes.

Une enfant, voyons !
© DEBBY TERMONIA

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