Un village à l’heure de la crise

Loin de Pékin et des grandes villes, le ralentissement économique frappe durement les zones rurales. Dans la capitale, l’inquiétude des autorités grandit.

DE NOTRE CORRESPONDANT

Il soupire d’ennui, Lin Qihui, accroupi devant une ferme en pisé. Le jeune homme, âgé de 29 ans, fait tourner son téléphone portable entre ses doigts.  » En temps normal, tous les hommes âgés de 15 à 50 ans partent travailler dans les provinces voisines, explique un paysan. Seuls les vieux et les enfants restent ici.  » Mais pas en cette année de crise, où le chômage atteint la Chine rurale et le village de Baishi, au c£ur de la province pauvre du Jiangxi.

Avant le coup de froid économique, Qihui travaillait comme ouvrier dans la région de Canton, à Dongguan, où se concentrent des dizaines de milliers d’entreprises tournées vers l’exportation. Au chômage, il est rentré dans sa province natale pour passer la Fête du printemps en famille. Et il n’est pas reparti.  » L’usine textile Gaohao, qui m’employait, recevait encore beaucoup de commandes dans la première moitié de 2008. Nous vendions aux Etats-Unis ou à Cuba. Mais, au deuxième semestre, les commandes ont chuté. Aujourd’hui, il n’y a plus que 300 ouvriers, contre un millier avant la crise.  » Qihui jette un coup d’£il sur son portable.  » J’attends encore un peu, mais, si je n’ai pas de nouvelles, j’irai chercher du boulot ailleurs.  » Comme souvent pour les paysans qui ont migré vers les villes – les mingong, contraction pour  » paysan  » et  » ouvrier  » – Qihui n’avait signé aucun contrat de travail avec son employeur hongkongais.

Dans la campagne vallonnée autour de Baishi, les demeures traditionnelles en terre crue alternent avec les maisons en béton de construction récente. Selon le gouvernement de Pékin, les ménages ruraux tirent 40 % de leurs revenus des fonds envoyés chez eux par les travailleurs migrants. Le Jiangxi n’échappe pas à la règle. C’est dans cette province rurale, berceau de la révolution, que les communistes fondent en novembre 1931 la  » République soviétique chinoise du Jiangxi-Fujian « . Pour la première fois aux commandes d’un vaste territoire, ils s’appuient sur les paysans pour conquérir le pouvoir. En retour, ils promettent de les sortir de la pauvreté et de l’asservissement.

Quatre-vingts ans plus tard, le Jiangxi est devenu l’un des immenses réservoirs de main-d’£uvre bon marché qui approvisionnent l' » usine du monde « . Sous l’effet de la crise mondiale qui frappe durement la Chine, cependant, le mouvement s’est inversé : quelque 20 millions de mingong, sur un total de 130 millions, seraient sans travail, selon le Conseil d’Etat. Depuis le début de l’année, en effet, les exportations stagnent. Et les autorités chinoises ne cachent pas leur inquiétude : ballottés entre ville et campagne, que vont devenir ces ouvriers-paysans dont les maigres parcelles sont insuffisantes pour nourrir leurs familles ?

Pour la bande de copains de Lin Qihui, l’heure est plutôt à la résignation. Xiao Yilai, 38 ans, est plombier-électricien avant d’être paysan. Il vit de petits chantiers à Hangzhou et va bientôt repartir chercher du travail.

Les paysans sont vus comme une menace

 » Les jeunes sans qualification auront du mal, prédit-il. Pourquoi moi, un mingong, devrais-je m’inquiéter de la crise financière ? De toute façon, nous n’avons pas le choix, il faut partir travailler ailleurs pour gagner de l’argent. Ici, chaque famille possède moins d’un mu (1) de terre cultivable. Pas de quoi vivre correctement.  » Blasé, Lin Qihui ajoute :  » Si on ne retrouve pas de boulot, on verra bien ! Et si cultiver la terre ne suffit plus pour vivre, nous abattrons les arbres de nos collines pour vendre du boisà « 

Hormis les immenses camphriers qui se dressent derrière le village, les collines alentour sont déboisées au point qu’elles offriraient aujourd’hui un piètre refuge à la guérilla communiste.  » J’ai rencontré Mao Zedong lorsqu’il a séjourné dans notre village, en 1934 « , raconte Hu Qili, 92 ans. A l’époque âgé de 17 ans, il se souvient de réunions présidées par Mao dans un temple familial de Baishi.  » Les temps étaient durs, mais les gens d’alors avaient un c£ur pur.  » Un autre ancien interrompt :  » Pas comme maintenant. La corruption est partout ! « 

Aujourd’hui, ces mêmes paysans qui ont porté Mao au pouvoir sont vus comme une menace par le Parti. Malgré toutes les mesures prises pour édifier de  » nouvelles campagnes socialistes  » symboles de la  » société harmonieuse « , Pékin sait que l’écart entre les mondes rural et urbain continue de se creuser. L’application des décisions du centre est toujours confiée aux autorités locales, d’où un décalage entre annonces et résultats concrets.

Le Jiangxi devrait être l’un des principaux bénéficiaires du grand plan de relance de 4 000 milliards de yuans (440 milliards d’euros) annoncé en novembre 2008. Selon l’agence Xinhua, la province devrait dépenser 600 milliards pour  » la construction d’autoroutes, d’aéroports, de chemins de fer et d’usines de traitement des eaux, capables de créer 1 million d’emplois « . Serait-ce le prix à payer pour que la crise, qui se fait ressentir dans les campagnes les plus reculées, ne menace pas la stabilité chérie par le Parti communiste ?

(1) 1 mu = 675 mètres carrés.

ROBERT NEVILLE

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