Un si petit monde

Quittant Carcassonne, à moins d’un stop à la tour Eiffel, comptez quelques minutes pour rallier le port breton… Envie de basculer dans une autre dimension? Non loin de Paris, un musée en plein air permet d' »enjamber » la France

Dans un bassin caché par un buisson, un liquide turquoise gargouille à gros bouillons. Sans doute, le chargé de maintenance a-t-il eu, ce matin, la main leste: teintée d’un bleu trop fluo, l’eau qui dévale des talus donne au village savoyard un petit air californien. Aux clapotis des ruisseaux se mêle soudain le tintement de cloche de bêtes à l’étable. Ici aussi, l’ingénieur du son a dû forcer sur les décibels: on dirait que s’échappent des chalets des beuglements de dinosaures… A quelques pas de là, un groupe soudé de quatre touristes, tout tristes, a roulé dans les arènes d’Arles (Provence). Tel une météorite, un caillou a atterri dans la cour du couvent de la Grande Chartreuse (Rhône-Alpes). Et personne ne semble avoir noté qu’un pan de mur du théâtre d’Orange (Vaucluse) menace de s’écrouler sur ses acteurs… Pas de panique! A la veille de sa réouverture saisonnière, France Miniature, le plus grand parc en réduction d’Europe subit juste quelques ultimes ajustements. A Elancourt, non loin de Paris (1), sept maquettistes et sept jardiniers s’activent fébrilement sur le site: 5 hectares vallonnés de zones boisées, de parterres fleuris, de micromontagnes, de villes minuscules et de ports de pêche lilliputiens. Baigné de 2 hectares de plans d’eau, parcouru de 5 kilomètres d’allées et d’autant de voies ferrées, l’ensemble dessine une carte de France géante (Corse comprise) où s’insèrent à merveille 140 monuments, 2 000 maquettes et 20 000 arbres nains. De la bruyère en Auvergne. Des genêts en Bretagne. Des pins, du thym, du romarin dans le Midi. Et partout ailleurs, des charmes, des chênes, des hêtres, des bouleaux et des buis miniaturisés, qui conservent un aspect « bonzaï » grâce aux tailles impitoyables de Sébastien Diaz, l’architecte paysagiste: « J’ai des petits sujets formidables », lâche fièrement cet as du sécateur, montrant d’une main calleuse les mètres de pieds de vigne nanifiés qui viennent d’être plantés du côté de Saint-Emilion (Aquitaine).

Plébiscité par le public – comme la plupart des nouveaux lieux mis en scène chaque année -, le village du vin sort de terre après cinq mois de travail. Le dénivelé a été reproduit très exactement, à l’échelle de 1/30. Déjà, la vue d’ensemble, sur 100 mètres carrés, offre les imbrications des maisons typiques, conformément à la réalité. « Les enfants préfèrent les bateaux qui voguent autour de Fort Boyard (Poitou-Charentes) et les carambolages des canots avec les canards, confie Marianne Edvire, responsable du marketing opérationnel du parc. A présent, ils nous réclament un tunnel sous la Manche. » Pour 2002, ils devront se contenter de bâtiments moins techniques. Au programme de cette saison: la dernière demeure de Jean Monnet (le père de l’Europe) dans les Yvelines, le château d’Esclimont à Saint-Symphorien (Centre) et trois célèbres lieux de culte – la Mosquée et la Grande Synagogue de Paris, ainsi que le Mas Soubeyran (le hameau cévenol qui abrita les protestants après la révocation de l’édit de Nantes). Cela n’empêchera pas les jeunes visiteurs d’emporter leurs « petits souvenirs » habituels: il n’est pas rare que des fauves de la ménagerie installée sur la place d’Arras (Nord-Pas-de-Calais) ou quelques-uns des 40 000 supporters peints à la main du Stade de France « disparaissent » comme par enchantement. « On a des réserves », sourit Marianne Edvire, en prenant résolument le chemin de Paris.

Elle mesure 10 mètres de hauteur. Elle pèse 2,5 tonnes et seul un hélicoptère a pu l’installer sur le site – les chemins du parc n’auraient pas supporté le poids d’une grue. Mais la dentelle de fer de la tour Eiffel n’est pas la seule attraction des environs de la capitale. Avec ses jardins et ses fontaines couvrant 150 mètres carrés, ses milliers de vitres ouvrant sur des palais des glaces en vrais miroirs, Versailles est un bijou royal qui n’a pas de prix. Ou plutôt, si: sa maquette vaut sensiblement autant qu’une vraie maison, soit 150.000 euros. « Entretenir ces constructions n’est donc pas une mince affaire », affirme Marianne Edvire. Ce matin, le château de Tournoël (Puy-de-Dôme) a quitté son emplacement incognito, vraisemblablement pour réfection: « Retour prévu en 2003 » indique, sans autre précision, le panneau qui lui est suppléé. Objet du grand nettoyage de printemps, la basilique de Lourdes (Midi-Pyrénées) a perdu temporairement l’une de ses magistrales rampes d’accès, et un Kärcher gît au milieu des pèlerins culbutés. « Le parc date de 1991, poursuit la responsable. Au départ, toutes les maquettes étaient en bois. Le gel a cependant eu raison de plusieurs d’entre elles. » Résultat? Les constructions pourries sont progressivement remplacées par des copies en PVC, en polyuréthanne ou en résine, qui résistent mieux aux intempéries… ou aux nichées d’oiseaux qui viennent parfois y loger. D’autres déconvenues? « Inévitables, au fils des ans… » Par une bête faute d’orthographe, le château d’Acqueville (Eure) s’est vu un temps confondu avec le manoir de Nacqueville (Cotentin). Trop volumineuse, la première version de la cathédrale de Strasbourg n’a jamais réussi à franchir le seuil de l’atelier de son artisan. Quant au Futuroscope, il n’a pas fait long feu: définitivement radié du parc, il avait, paraît-il, « assezmal vieilli ». En vérité, il était franchement raté, malgré l’application des maquettistes, qui ménagent rarement leurs efforts. « Ils travaillent à partir de plans et de photos. Ils vont aussi étudier leurs modèles sur place, pour leur être absolument fidèles. » Dans le port de Saint-Tropez, même le nom des cafés est respecté… Et toutes les régions sont, en principe, équitablement représentées – sauf le Morbihan, assez désert, qui laisse à désirer.

Mais mieux que la géographie, France Miniature raconte surtout l’Histoire des hommes. Cathédrale? Donjon? Hôtel communal? « Voyez comme la ville ou le village s’enroule autour du monument principal, indique Marianne Edvire.Contemplée d’en haut, il est facile de reconnaître lequel des trois pouvoirs – hommes d’église, seigneurs ou bourgeois – détenait les clés de la cité. » France magnifique! Il n’y a qu’elle, vraiment, à pouvoir aligner, sur une telle superficie, autant de splendeurs architecturales: plus de 10000 forteresses, châteaux et palais! Si tous ne sont pas reproduits ici, il en est suffisamment de méconnus qui valent la peine d’être découverts-même à pas de géants. Une chance: à une époque où les avions emmènent les voyageurs aux quatre coins de la planète, seuls les monuments les plus célèbres reçoivent encore une large audience. A tort: ce pays voisin fourmille de joyaux oubliés, posés comme par mégarde au sommet de pitons rocheux ou au beau milieu des landes. Une araignée a lancé un fil (gros comme un câble) entre les deux tours du château de Najac (Midi-Pyrénées). Du lichen a poussé au pied du colombier du manoir d’Ango (Normandie). Ces lieux discrets semblent idylliques: ils nous incitent à prendre notre bâton de pèlerin. Pour partir à la rencontre, cette fois, des pierres authentiques.

(1) 25, route du Mesnil, à 78990 Elancourt. Ouvert tous les jours jusqu’au 11 novembre. La visite complète du parc, en parcours fléché, dure trois heures. Tarif: de 7,80 E à 12,50 E. Rens.: 0321-30.16.16.30 ou franceminiature.com

Valérie Colin

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