Un président de hauts en bas

Le vainqueur du 6 mai est un vaincu de l’amour

 » A toi je peux le dire, c’était le jour le plus triste de ma vie.  » Cet aveu, lâché un soir de septembre 2007 devant une amie très chère, dans un moment d’abandon, Nicolas Sarkozy ne le fera plus jamais à personne. Il disait vrai, pourtant. Mais qui aurait pu le croire ? Ce triste jour étant, figurez-vous, le 6 mai 2007. Celui de son élection à la présidence de la République. […] Le vainqueur du 6 mai est un vaincu de l’amour. Depuis des mois, contre toute raison, il avait voulu s’en persuader : s’il était élu – et il le serait, il le savait – Cécilia ne pourrait plus partir. Elle lui avait pourtant dit en mars sa volonté de divorcer, au moment même où il quittait le ministère de l’Intérieur pour se lancer dans la campagne présidentielle :  » Dès que tu seras élu, je me tire « , et, afin de rendre plus évidente sa détermination, elle avait aussitôt confié l’affaire à une avocate, Me Michèle Cahen. Mieux, joignant le geste à la parole, elle l’avait chassé du domicile conjugal. En y mettant les formes, il est vrai. Quelques semaines plus tôt, ils avaient vendu leur appartement de l’île de la Jatte et loué un meublé, toujours à Neuilly, rue Deleau. Depuis le début de l’année, Cécilia y vivait avec sa fille Jeanne-Marie et leur fils, Louis. Durant toute la campagne, Nicolas Sarkozy fut donc hébergé Villa Montmorency (XVIe arrondissement de Paris) chez un ami du couple : Dominique Desseigne, le patron du groupe Barrière (palaces, casinos età le célèbre Fouquet’s). Elle avait tout arrangé, expliquant à celui-ci :  » Rends-nous ce service, Nicolas doit se concentrer, la famille le perturbe ; chez toi, il sera au calme, protégé.  » Elle avait même pris soin de visiter sa future chambre, apporté ensuite, sur la suggestion de l’hôte, des photos des jours heureux. Et même, comme une épouse attentionnée, donné quelques conseils sur le régime alimentaire nécessaire à son mari. Lequel, bientôt arrivé là, ne laissait rien deviner de ses soucis conjugaux. Le matin, au petit déjeuner, il évoquait le rôle qu’il aimerait voir jouer à Cécilia et parlait de sa famille comme de son  » entourage prioritaire « .

Parfois, au retour de ses harassantes journées, Cécilia venait dîner là en compagnie du jeune Louis. Mais pas une fois elle ne l’avait accompagné dans son périple provincial. Restait, c’est vrai, le téléphone. Ils se parlaient plusieurs fois par jour :  » Quand je voulais envoyer un message à Nicolas, je passais par Cécilia « , raconte Michèle Alliot-Marie.

C’est qu’il ne disait mot, à personne, de cette séparation. Pas même à sa mère, ni à ses fils :  » Mon frère et moi ignorions où il habitait pendant la campagne « , témoigne Jean Sarkozy ; pas même à ses amis, ni à ses plus proches collaborateurs : Claude Guéant, qui dirigeait sa campagne, Franck Louvrier, chargé de sa communication, qui ne le quittait pas d’un pouce.

[…] Restait à sauver les apparences. Pour masquer leur séparation, le dimanche du premier tour, Nicolas Sarkozy doit imaginer un stratagème : se cacher dans une voiture banalisée pour entrer dans le garage de la rue Deleau afin de pouvoir sortir avec sa femme par la grande porte devant laquelle attendaient son chauffeur et un essaim de paparazzi et de caméras. Bien joué. Ni vu ni connu : le couple arrive tout sourire au bureau de vote. Le 6 mai, en revanche, elle refuse tout net de se prêter à ce triste jeu. […]

[ Finalement, Nicolas et Cécilia Sarkozy partent ensemble sur le yacht de Vincent Bolloré, au large de Malte.]

Il y avait le bateau blanc, la mer toute bleue, un grand soleil et surtout la gaieté partagée. Nicolas et Cécilia composaient en riant le gouvernement. Echangeaient des noms, en écartaient d’autres. Cécilia poussait Rachida Dati à la Justice. Et aussi Roger Karoutchi, Christine Lagarde, Xavier Bertrand, Xavier Darcos, David Martinon, qui avait toujours gardé le lien avec elle.  » C’est la dernière fois que j’ai vu Nicolas heureux avec Cécilia « , note Mathilde Agostinelli. Cécilia, de son côté, adressait des SMS à une amie journaliste qui laissaient croire à une réconciliation.  » On a le droit au bonheur « , ou  » Je vais essayer « . Et, au retour, elle essaya, c’est vrai.  » Elle a vraiment voulu donner une chance à leur couple « , atteste une de ses amies. Jusqu’à la cérémonie d’investiture, elle continua même à peser sur la composition du gouvernement. François Fillon se souvient d’une réunion à la Lanterne, au cours de laquelle elle opposa un  » Il n’en est pas question  » sans appel à la nomination de Brice Hortefeux à la Défense.

[ La situation du couple se dégrade de nouveau. Le 6 juin, le président participe à un sommet du G8 en Allemagne, à Heiligendamm.]

Elle consent à l’accompagner et fait sensation en descendant de l’avion en tailleur-pantalon blanc signé Saint Laurent. Quelle allure ! Mais, petit indice chargé de sens : elle retire prestement sa main quand, sur la passerelle, son mari tente de la saisir. Le soir, au dîner officiel, elle fait plus. Très remarquée dans une robe noire à bretelles de chez Alaïa, bras nus et ballerines plates, elle ne porte pour tous bijoux qu’un bracelet et une petite chaîne en or du joaillier Dinh Van sur lesquels figurent deux c£urs enlacés : des cadeaux de Richard Attias ! Et voici que, le lendemain matin, elle abrège les mondanités, et tire sa révérence sous un prétexte qui ne trompe personne : la préparation de l’anniversaire – les 20 ans – de sa fille Jeanne-Marie. Comme si elle devait aller confectionner elle-même les pâtisseries. Pour ce retour impromptu à Paris, elle utilise un avion de la République, l’appareil de réserve qui accompagne tout déplacement présidentiel. Rien que pour elle et son garde du corps.

2008 : la présidence de l’Union européenne, le  » grand moment « 

Pierre Sellal, le représentant permanent de la France à Bruxelles, raconte, encore ébloui, le vote final du dernier Conseil européen sous présidence française, l’ultime moment où les Vingt-Sept doivent s’accorder sur les conclusions des experts dans les cinq domaines mis à leur programme par la France : trente pages écrites dans un jargon mi-anglais, mi-français. Une mauvaise synthèse des compromis.  » Sur le dossier climat, qui devait selon Nicolas Sarkozy faire de l’Europe le champion de la lutte contre le réchauffement climatique, j’ai admiré la façon dont il se l’est approprié. Il a passé des heures à négocier avec les Polonais, les Tchèques, les Slovaques, avec Angela Merkel, à accepter des compromis pour les convaincre de conclure.  » Il poursuit :  » Ce jour-là, nous nous réunissons tous à 9 heures. Le président m’annonce : « A midi, tout doit être terminé. » Je lui réponds : « Monsieur le Président, il faudrait d’abord donner au moins dix minutes aux délégations pour qu’elles aient le temps de lire le texte. » Il me répond : « Pas question, on commence tout de suite, mettez-vous à côté de moi. » On était à peine à la page 3 que tout le monde levait la main. Les chefs de gouvernement n’y comprenaient rien. Chacun rajoutait des amendements sur la suggestion de son conseiller technique. Je lui passais des bouts de papier avec des arguments pour répondre. Il les repoussait en me disant : « Non, on continue. » Avec un culot incroyable, il a houspillé tout le monde. Quelqu’un levait le doigt, il le rabrouait. Les gens autour de la table étaient abasourdis. Et lui, il avançait à la hussarde. Au bout d’une heure et demie, on avait passé en revue les trente pages. Et c’est là qu’il a conclu tout sourire : « Bon, puisque je vois que tout le monde est d’accord, on signe. » Eh bien, figurez-vous que tout le monde s’est levéà pour l’applaudir. Une véritable ovation. Tous étaient contents de terminer sur une note positive. Et tous ont signé, heureux au fond de s’être fait violenter. Ça, c’est Sarkozy. « 

[…]  » La présidence française a été pour Nicolas le grand moment de son quinquennat « , croit pouvoir dire Franck Louvrier. Tandis que son directeur de cabinet, Christian Frémont, ajoute :  » Durant ces six mois, il s’est réconcilié avec lui-même, la crise l’a repositionné. Il s’est remis à croire à la politique. « 

2010 : coup de blues à l’Elysée

Tous les ministres le disent : le président a été sonné par le résultat des régionales.  » Il a reçu un gros coup sur la tête.  » François Fillon note que pendant quelques jours  » il était ailleurs « . C’est la déprime à l’Elysée.  » Guéant était tout blanc « , Henri Guaino semble de tous le plus affecté :  » On ne le voyait plus, on se demandait s’il était parti écrire le Mémorial de Sainte-Hélène « , raille un ministre. Gros changement : le président reçoit les députés par petits groupes de deux ou trois. Certains ont même droit à un tête-à-tête.  » Il nous posait des questions, il écoutait, il était humble « , dit Lionnel Luca. Au Conseil du mercredi, les ministres voient arriver un homme  » très pâle, très tendu « .  » Je prends toute ma part de l’échec.  » Il reconnaît surtout n’avoir pas vu venir la montée du Front national.

[…] Le président veut démontrer que la France est réformable :  » Il en va de la crédibilité de notre pays, il faut que les investisseurs aient confiance en nous, il s’agit de préserver notre triple A. On ne calera pas « , répète-t-il à qui veut l’entendre. Au soir du deuxième tour des régionales, il appelle Eric Woerth, le ministre du Budget.  » Que dirais-tu si je te confiais ma réforme la plus importante, celle des retraites ?

– J’en serais naturellement très honoré « , répond le ministre, tout de même un peu surpris. Le président lui précise alors qu’il installera à ses côtés un secrétaire d’Etat à la Fonction publique.  » Je me souviens lui avoir demandé, raconte Eric Woerth : vous me nommez ministre des Affaires sociales et de la Fonction publique ?

– C’est cela, répond le président, mais parles-en à ta femme. « 

Le ministre comprend qu’il y aura du tangage et que la barque sera lourde à man£uvrer.

L’Impétueux, par Catherine Nay. Grasset, 480 p. Parution le 7 mars.

Nicolas et Cécilia composaient en riant le gouvernement. Echangeaient des noms, en écartaient d’autres

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