Un plan de fréquences très politique

Le  » plan de fréquences  » a partiellement redistribué les cartes sur la bande FM. Dans une ambiance lourde de procédés douteux et de pressions politiques. Retour sur les faits.

En décembre 2007, Fadila Laanan (PS), ministre de la Culture et de l’Audiovisuel remettait le couvert. Avant elle, de nombreux ministres s’étaient cassé les dents sur la bande FM à partager entre les stations de radio privées. Il y règne un peu la pagaille. Elle décide donc de relancer le processus de sélection des candidats à une fréquence stable. En fait, c’est le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui en est chargé. C’est la veillée d’armes en son sein. On sait que les pressions seront fortes et on veut s’en prémunir. Les critères de sélection sont stricts, comme le rappelle Bernard Dubuisson, expert en radios au CSA :  » Ils sont exposés dans l’article 56 du décret sur les services de médias audiovisuels. Le CSA veille à assurer un équilibre et une diversité des formats (des types de radio) et de l’offre disponible. Pour apprécier ces deux points, le décret ne se prononce pas sur la forme. Il laisse une certaine marge de man£uvre au CSA. L’article énonce aussi des critères de sélection : caractère novateur de la radio, pertinence des plans financiers, etc. « 

Février 2008 : le CSA adopte une grille d’appréciation pour jauger aussi objectivement que possible de la diversité des radios. Déjà le besoin de  » blinder  » la procédure en prévision des contestations… La décision finale appartiendra à l’instance suprême du CSA, le collège d’autorisation et de contrôle (CAC). Il est composé de 10 personnes qui représentent toutes les sensibilités politiques démocratiques : 4 PS, 3 MR, 2 CDH et 1 Ecolo. On attend la fumée blanche.

Le 10 juin 2008, coup de théâtre : une semaine avant la proclamation des résultats, Christian Miroir, directeur général de BFM, la radio d’information économique continue, reçoit un appel téléphonique :  » Nous avons été informés, par des fuites, que nous étions retenus. Le CSA n’est pas un organe étanche. Quelqu’un, que je ne peux pas citer, m’a dit que le réseau U2 ( NDLR : le deuxième réseau urbain) était pour nous.  » On débouche le champagne chez BFM. Mais on déchante vite. Deux jours avant la décision finale, on apprend que Marc Janssen, président du CSA, a reçu une enveloppe anonyme. Dans ce courrier, un  » corbeau  » a glissé la photocopie d’une lettre qui dévoile comment le groupe RTL pourrait revenir dans le capital de BFM.

Les révélations du  » corbeau « 

Le groupe RTL était actionnaire de BFM jusqu’en août 2007. A cette date, Alain Mahaux, actionnaire principal de BFM, rachète les parts de RTL. Dans les clauses de rachat, il est prévu que Mahaux ne paiera pas le montant de la transaction avant la fin 2009. Si BFM obtenait les fréquences espérées, le prix ne serait évidemment pas le même. Le document incriminé est une lettre d’Alain Mahaux adressée à RTL. On y apprend que RTL reviendra, à hauteur de 50 %, dans le capital de BFM si le paiement n’intervient pas dans le délai.

Qui a pu entrer en possession de cette lettre ? Selon certaines sources, quatre personnes : Alain Mahaux pour BFM, Philippe Delusinne, administrateur délégué de TVI SA et Francis Lemaire, co-fondateur de Radio Contact pour RTL, et François Le Hodey, administrateur délégué du groupe IPM, qui édite La Libre Belgique. Pendant l’été 2007, Alain Mahaux et le groupe IPM ont été en relation.  » Mahaux voulait nous vendre BFM – relate François Le Hodey – mais il ne pouvait pas, car il était lié à RTL par une convention d’option.  »

Selon Christian Miroir,  » le rachat de BFM à RTL s’est déroulé in tempore non suspecto, puisqu’il a eu lieu en août 2007, cinq mois avant le lancement du plan de fréquences « . Mais, au CSA, on ne l’entend pas de cette oreille. On s’offusque de savoir que, si elle obtenait le réseau U2, la radio d’info économique BFM risquerait de revenir dans le giron du groupe RTL. Qui détiendrait alors un nombre de fréquences incompatible avec le pluralisme. D’autant que le document prévoit non seulement le retour de RTL dans BFM, mais aussi l’impossibilité de faire entrer d’autres investisseurs, au risque de devoir payer des indemnités à RTL. Bref, BFM n’a pas tout dit au CSA…

Comment Ciel Info a gagné au second tour

Le 17 juin 2008 sortent les résultats du premier appel d’offres. Les réseaux sont attribués comme suit :

> 4 communautaires : Bel RTL, Contact, Nostalgie, NRJ

> 5 provinciaux : Antipode, Must FM, Sud Radio, Must FM Luxembourg, Zone 80

> 1 urbain : Fun

> 78 radios indépendantes

BFM est recalée. La radio Mint, dernière-née du groupe RTL, fait aussi les frais du pluralisme. Pour le groupe IPM, Ciel Info n’est pas retenue.  » Nous étions des opérateurs trop nouveaux « , estime François Le Hodey ( voir encadré). En l’absence de candidats  » qui satisfont à l’ensemble des exigences « , le CSA n’attribue pas le deuxième réseau urbain (U2).

Il attendra octobre 2008. Le CSA doit alors choisir entre Mint, BFM, Al Manar et Ciel Info.

Toujours pour respecter le pluralisme, Mint est à nouveau mise sur la touche. Au CSA, on détaille :  » Comme Bel RTL et Radio Contact du groupe RTL avaient obtenu les deux meilleurs réseaux communautaires en termes de couverture, nous ne pouvions pas donner le réseau U2 à Mint.  » BFM ne s’en sort pas mieux, parce que le CSA doute, cette fois, de ses capacités financières pour un réseau entre-temps passé de 16 à 23 fréquences.

Ciel Info décroche la timbale mais sans unanimité au CAC. Les trois membres MR déposent une longue note minoritaire. Ils doutent du projet Ciel Info pour des raisons techniques et financières. Pour eux, le bon choix, c’est Mint. Une position qui détonne après l’unanimité du premier appel d’offres. Pourquoi ce revirement ?  » La désillusion du groupe RTL a été tellement forte que les pressions ont été proportionnelles « , avance-t-on au CSA.

Qui a disqualifié BFM ?

L’envoi anonyme a contribué à éliminer BFM de la course. A qui profite le  » crime  » ? François Le Hodey, d’IPM, ne se sent pas visé, mais contre-attaque :  » D’autres personnes sans doute ne voulaient pas de BFM. Le dépôt de candidature était incomplet, car la convention de portage pour RTL n’était pas mentionnée. Selon les lois des appels d’offres publics, c’est une fausse déclaration et la faute a aussi été commise par RTL. Ces gens commettent une faute grave et nous attaquent pour détourner l’attention. C’est de la manipulation de l’opinion publique. « 

Du côté des perdants, Christian Miroir vitupère et Philippe Delusinne ne décolère pas ( voir encadré). La stabilité financière de Ciel Info est mise en cause ainsi que l’absence actuelle de tout projet. Chez Ciel, on dément et on argue des  » 7 ou 8 lettres de banques  » attestant le crédit de la radio.

Y a-t-il eu des pressions politiques ? Au CSA, on s’insurge, assurant que ceux qui ont dénoncé les pressions politiques sont les premiers à les avoir utilisées. Le MR a publié un communiqué pour dénoncer la politisation du CSA tout en regrettant que son option n’ait pas été retenue. Quant au CDH et au PS… François Le Hodey est laconique :  » Les décideurs, c’est quand même la majorité politique.  » Au CSA, on continue à affirmer que le plan de fréquences consacre  » la victoire du droit « .

PHILIPPE GOFFIN

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