Un peintre méconnu

Guy Gilsoul Journaliste

Le musée de Gand poursuit son exploration de la peinture anglaise avec, cette fois, l’ouvre étrange (85 numéros) de Ford Madox Brown.

Les dessins ont l’infinie délicatesse des figures de Botticelli. Les peintures, d’une prodigieuse minutie, osent des tonalités vives sinon acides qui accrochent la lumière comme autant de pépites posées à la surface des herbes, des arbres et des fleurs. C’est charmant, désuet, raffiné. Comme plus tard, la peinture des préraphaélites, dont William Hunt, John Everett Millais et Dante Gabriel Rosetti sont les principaux représentants dès 1848, l’£uvre de Ford Madox Brown rejette l’idéal de l’académie imprégné du classicisme de Raphael et lui préfère l’univers du Moyen Age gothique. Mais si elle se développe bel et bien en Angleterre, elle naît ailleurs.

Né à Calais en 1821, Ford Madox Brown va apprendre l’art de peindre dans la toute jeune Belgique, à Bruges, à Gand et surtout à Anvers avec le peintre romantique Gustaaf Wappers. C’est en Belgique aussi qu’il se passionne pour le Moyen Age christique, ses peintres dits primitifs qui ont sublimé, au XVe siècle, l’art du portrait et du détail. Mais c’est d’Angleterre (et aussi de Rome) que lui viennent les grands thèmes shakespeariens. Son mariage avec Elisabeth, une ouvrière que la mort emporte trop tôt, lui ouvre les yeux sur la misère du prolétariat. Enfin, des leçons de Constable, il tire son sens de l’observation du paysage. Résultat : une £uvre ambiguë avec, par exemple, dans ses vues de la campagne, l’intrusion de personnages ou d’animaux qui jouent les métaphores d’une morale à fleur de peau. Parfois, les compostions plus élaborées osent davantage la dénonciation. Ainsi, Work, une de ses grandes compositions  » politiques « . Commencée en 1852, terminée treize ans plus tard, elle est contemporaine de la peinture historique de Courbet. Comme dans L’Enterrement à Ornans ou L’Atelier, les personnages figurent de manière allégorique la confrontation sociale. Ici, dans un décor de quartier urbain fleuri et somme toute assez tranquille, le spectacle est tout sauf unifié. Le peintre pose les  » pions « . A chacun d’en faire un texte. Au centre, une mère en rouge (très séduisante quoique de dos), des enfants sauvageons et des chiens bâtards. Elle introduit le monde du travail avec, derrière elle, les terrassiers tout en muscles bandés. Tout autour : les autres. Entendez, les riches, leurs robes délicates et leurs chapeaux haut de forme, la servante et sa délicate ombrelle, le mendiant fou, porteur de fleurs et même le chien de race, couvert d’un beau manteau rouge. A l’extrême droite, enfin, alors qu’en contrebas se négocient la viande et les légumes, deux intellectuels observent. Serait-ce d’eux que viendra la réponse ? Karl Marx dont Le Manifeste du communisme date de 1848 vit, alors, en Angleterre. Le débat est ouvert. Mais Ford Madox Brown ne sera pas un révolutionnaire. Plutôt un utopiste. Comme les membres de la confrérie préraphaélite, il rejoindra en 1888 le mouvement Arts and Crafts, rêvant pour tous d’un décor de vie dont la beauté, qui ferait aussi le bonheur et la fierté des artisans, serait le mot clé. Dans l’exposition gantoise, on découvre ainsi plusieurs de ses réalisations mobilières ainsi que des vitraux.

Gand, musée des Beaux-Arts. Citadelpark. Du 25 février au 3 juin, du mardi au dimanche, de 10 à 18 heures. www.mskgent.be A lire le catalogue paru aux éditions Mercator.

GUY GILSOUL

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