Un opéra de légende

Barbara Witkowska Journaliste

C’est à Leonardo García Alarcón que nous devons ce bel enregistrement d’Ulisse all’isola di Circe de Gioseffo Zamponi… Le tout premier opéra joué à Bruxelles et même dans les Pays-Bas du Sud, le 24 février 1650.

Au début du XVIIe siècle, à Bruxelles, on écoute exclusivement de la musique sacrée. A l’église Sainte-Gudule. Tout change en 1647, avec l’arrivée dans la capitale de Léopold-Guillaume de Habsbourg, archiduc d’Autriche. Fils de l’empereur Ferdinand II, il gouvernera les Pays-Bas pendant une dizaine d’années. Grand collectionneur et mélomane raffiné, il emmène dans ses bagages une vingtaine de musiciens italiens sous la direction de Gioseffo Zamponi. Le but ? Booster la vie musicale à Bruxelles. Zamponi s’y plaît beaucoup (il y finira ses jours) et compose pour divers genres musicaux. Léopold-Guillaume lui passe alors commande d’un opéra, pour fêter en grande pompe les noces de Philipe IV, roi d’Espagne, et de sa nièce Marie-Anne d’Autriche. Zamponi se surpasse et innove. Ulisse all’isola di Circe, écrit dans le style de l’opéra vénitien, alterne des récitatifs, des airs, mais aussi des duos, grande nouveauté à l’époque !

Le livret évoque l’Odyssée d’Homère : Ulysse et ses soldats débarquent sur l’île de la magicienne Circé et vivent des aventures assez extraordinaires. Ce premier grand opéra, entrecoupé de  » divertissements dansés « , est grandiose. Le décor change neuf fois et nécessite des machineries impressionnantes : le vaisseau d’Ulysse au milieu des flots agités, le char de Neptune tiré par les tritons, le char de Vénus évoluant dans les airs, les statues qui se transforment en hommes… Du jamais vu à Bruxelles ! Le succès est tel qu’à la  » demande générale « , le spectacle est redonné deux jours plus tard. Sa renommée traverse aussi les frontières et Ulisse all’isola di Circe sera repris cinq ans plus tard, à la demande expresse de la reine Christine de Suède. Lorsque la souveraine arrive à Bruxelles pour se convertir au catholicisme, l’opéra est joué pour elle deux fois, en février 1655.

Injustement négligé pendant plusieurs siècles, l’oeuvre vient d’être exhumée par Leonardo García Alarcón. Le pétillant chef argentin a réuni une équipe exceptionnelle : Cappella Mediterranea, Ensemble Clematis et Choeur de Chambre de Namur. Les chanteurs sont admirables, la soprano verviétoise Céline Scheen éclate en Circé.  » Dès la première lecture et dès la première séance de travail sur la partition de Zamponi, la magie a opéré sur moi, nous dit-elle. La musique m’a happée, elle me rappelait mes grands moments d’émotion que j’ai vécus avec le rôle d’Eritea dans Eliogaballo de Cavalli. Circé est une expérience unique et précieuse pour moi. C’est la première fois que j’aborde ce type de rôle, à la psychologie complexe et tourmentée. Un mélange de fragilité et de force qu’il fallait laisser transparaître dans ma voix. Leonardo m’a beaucoup inspirée, on se connaît depuis très longtemps. C’est lui qui m’a fait découvrir la musique du XVIIe siècle qui allait tant me faire vibrer. Nous avons déjà enregistré des oeuvres de Carolus Hacquart, sans doute le plus important compositeur des Pays-Bas de l’époque, et Nicolaus à Kempis, grande figure bruxelloise, très mal connue. Pour revenir à Ulisse, je dirais que cet opéra agirait aujourd’hui sur le spectateur comme un très bon film, illuminé par la grâce et la sensualité de la musique. Espérons aussi qu’il retrouvera un jour le chemin de la scène…  »

Ulisse all’isola di Circe de Gioseffo Zamponi, Ricercar, 2 CD.

Barbara Witkowska

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