Un  » musée  » où tout serait à vendre

L’évoquer fait déjà rêver… Pierre angulaire des salons d’art et d’antiquités, la Tefaf s’est imposée comme la plus prestigieuse manifestation du genre. La plus influente aussi. En seulement vingt-cinq années, la modeste foire des débuts s’est métamorphosée en une sorte de musée éphémère dans lequel tout – ou presque – peut être acheté.

Pour le bonheur des plus fins connaisseurs, la Tefaf (The European Fine Art Fair) rassemble chaque année à Maastricht quelque 260 marchands provenant de dix-huit pays. Ensemble, ils survolent toute l’histoire de la production artistique, de l’Antiquité à nos jours. Ici, nul besoin de  » fouiller « , les chefs-d’£uvre sont légion. Une offre unique qui attire sur dix jours près de 75 000 visiteurs – amateurs éclairés, collectionneurs et conservateurs – d’une cinquantaine de pays. Inaugurée en 1988, la foire, qui connut des débuts un tantinet confidentiels, a rapidement pris son envol, renforçant chaque année sa stature dominante et internationale. Depuis, vingt-cinq ans se sont écoulés. Et fatalement, la convivialité des premiers chapitres a dû céder sa place à un professionnalisme aiguisé, aseptisé.

Les assises de sa renommée

Un attachement sans concession à la qualité et la rareté des objets présentés, mais aussi un processus de vérification (vetting) non complaisant, voilà incontestablement les deux priorités à l’origine de sa suprême renommée.

Premier atout : la qualité élevée et surtout homogène des £uvres proposées. Maastricht ne réunit que les meilleurs marchands. Pour l’occasion, ces spécialistes réputés – et hyperspécialisés – ont réservé leurs plus belles pièces. Le résultat ? Un éventail extraordinaire d’objets d’une beauté et d’une rareté exceptionnelles et des acheteurs dotés d’importants moyens financiers. Soit un marché très haut de gamme tout à fait solide, puisque alimenté par des riches toujours plus riches sur lesquels la crise n’a pas (ou si peu) de prise. Consciente de ses enjeux internationaux, la Tefaf tente même d’intégrer des commerçants spécialisés en art russe, indien ou chinois. Une initiative peu subtile mais permettant de s’attirer efficacement les faveurs d’une clientèle fortunée issue des pays émergents… où il y a de l’argent !

Vu sa prééminence, exposer à la Tefaf n’est pas chose facile. Candidature et enthousiasme ne suffisent pas… Encore faut-il être sélectionné par un comité d’une infaillible sévérité et faire preuve de patience sur une longue liste d’attente. Si les places sont si  » chères « , c’est parce que la Tefaf enregistre chaque année un grand nombre de ventes atteignant des montants astronomiques. L’événement est donc crucial pour le chiffre d’affaires annuel d’un antiquaire. Celui qui jouit d’un emplacement ne le cède pas facilement et les départs sont rares. Souhaitant malgré tout ouvrir ses espaces à quelques jeunes marchands, le comité a inauguré, en 2008, le  » Tefaf Showcase  » : un lieu d’exposition spécial dédié à six valeurs montantes récemment installées. Expérience unique mais inestimable, ce premier tremplin n’assure malheureusement en rien à ces jeunes galeristes qu’ils trouveront un jour un emplacement fixe. Peu importe, tous joueront le grand jeu dans le secret espoir d’être invités à revenir l’année suivante.

Deuxième atout : son vetting effroyablement rigoureux. Cet anglicisme désigne les règles strictes auxquelles doivent se soumettre les exposants en matière de qualité et surtout d’authenticité des £uvres d’art proposées. Deux jours avant son ouverture, la Tefaf déploie une armée de quelque 150 spécialistes internationaux (experts, conservateurs, universitaires, restaurateurs…). En l’absence des marchands, ces représentants de toutes les spécialités sont invités à examiner la totalité des pièces des 260 stands et à assurer leur légitimité. Si un exposant se voit retirer un objet douteux ou non conforme, une procédure de recours permet au vendeur d’apporter de nouveaux éléments susceptibles de convaincre le comité.

De nombreuses festivités

Le jubilé d’argent de la Tefaf sera ponctué de très nombreux événements. Résumé des festivités.

La première à focaliser toutes les attentions sera, à coup sûr, l’exposition intitulée  » La sélection du directeur : dessins de maîtres de la fondation Custodia de Paris « . Cette institution héberge un ensemble d’une richesse invraisemblable rassemblé par Frits Lugt, grand collectionneur néerlandais. La présente sélection s’est orientée vers la collection de dessins, et plus précisément vers les études, les esquisses et autres travaux préparatoires. Les £uvres les plus attendues sont un dessin de la main de Rembrandt van Rijn, La Guérison de la belle-mère de saint Pierre, et une étude de drapé par Léonard de Vinci. Le maître de la Renaissance se concentre sur la représentation d’une étoffe qui reflète, à elle seule, toute sa perfection technique.

Autre temps fort de la foire : la présentation de la toute première  » Art Car BMW « . Cherchant à matérialiser son engagement culturel, le concepteur automobile allemand fait appel, depuis 1975, à des artistes de réputation internationale (Hockney, Lichtenstein, Rauschenberg, Warhol, Koons…) pour imaginer des modèles de la marque représentatifs de leur époque. Une façon d’allier deux formes d’énergie. Le premier modèle fut confié à Alexander Calder. Reconnu pour le caractère novateur de ses mobiles, l’artiste américain signe ici une BMW 3.0 CSL tout en lignes et couleurs tranchantes.

Attentive à la santé du marché, la Tefaf organisera un symposium s’intéressant aux changements et défis relevés par le commerce de l’art et des antiquités durant les 25 dernières années, ainsi qu’à ceux qui pourraient à l’avenir être envisagés. Les intervenants réunis débattront autour d’une question qui n’en finit pas d’interpeller :  » L’art devrait-il être un achat coup de c£ur ou un investissement ? « 

Afin de remercier la ville de sa généreuse hospitalité, la fondation qui gère la Tefaf a offert une contribution financière importante au Museum aan het Vrijthof de Maastricht. Ce coup de pouce a permis d’entreprendre des travaux de rénovation. En hommage, le musée propose une très belle exposition : 25 £uvres vendues au cours des 25 années d’existence de la foire, parmi lesquelles un tableau de Pieter Bruegel, une £uvre de Lucas Cranach et une table Louis XVI.

Autre nouveauté : la mise en place d’un fonds de restauration destiné à des musées ou à des institutions défendant le patrimoine. Dorénavant, la Tefaf allouera chaque année une belle somme – pouvant atteindre les 50 000 euros – à un ou deux projets de restauration d’£uvres d’art. En contrepartie, l’£uvre qui aura profité du traitement devra être exposée à la Tefaf puis présentée au public pendant deux ans. Le premier bénéficiaire de cette bourse est le complexe Drametse Lhakhang, un monastère du XVIe siècle situé au Bhoutan qui a souffert de nombreux tremblements de terre.

Passage obligé, ce jubilé d’argent s’accompagnera d’une luxueuse publication. Un ouvrage anniversaire qui retracera l’historique de la foire, évoquera des souvenirs, lèvera le voile sur les coulisses, réunira des entretiens avec des conservateurs de musée ou des collectionneurs privés ayant acheté des £uvres marquantes à la Tefaf (certains ne s’étaient encore jamais exprimés publiquement !) et surtout… une impressionnante rétrospective des grandes £uvres d’art vendues lors des diverses éditions. Pour conclure, notons que le nouveau hall d’entrée accueillera une installation – lumineuse et spectaculaire – conçue pour l’occasion par l’artiste Leo Villareal.

Autant d’effervescences qui confirment le sens de l’initiative incomparable de la foire et assoient un peu plus encore sa domination.

GWENNAËLLE GRIBAUMONT

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire