Un Loft à la fla mande

Nos problèmes communautaires patinent ? Pourquoi ne pas les résoudre à la manière de Loft Story ? Confinés dans un château, 12  » sages  » ont revu et corrigé le scénario de Bye-bye Belgium. Le Vif/L’Express était du nombre. Coulisses.

Lennik (Brabant flamand), 30 novembre. Un dimanche gris et froid. Sur le parking du château de Gaasbeek, le président de la N-VA Bart De Wever attend, la mine renfrognée, en compagnie de deux collaborateurs au visage tout aussi fermé. Arrive Philippe Van Parijs, économiste et philosophe à l’Université catholique de Louvain (UCL). En guise de salut, celui-ci rappelle à De Wever qu’il sera le conférencier de l’un de ses prochains cours :  » Ça va être chaud « , commente De Wever.  » Chaleureux « , rectifie Van Parijs. Bea Cantillon, sociologue à l’université d’Anvers, stressée, est la dernière à rejoindre le groupe : elle souhaite rentrer au plus vite pour faire étudier un fils récalcitrant.

Contraste : à l’intérieur du château, l’ambiance est décontractée. Le café fume. Mark Eyskens (CD&V), ministre d’Etat, joue les civilités galantes. Karl-Heinz Lambertz (PS), ministre-président de la Communauté germanophone, est encore fatigué de la veille : il a ouvert des festivités de carnaval en Allemagne. Au total, ils sont 12  » sages « , invités par la VRT dans le cadre de son émission dominicale Panorama. Durant une journée, ils réfléchiront, sans tabous, sur l’avenir de la Belgique (1). Ils sont surpris : la VRT les a choisis sans souci de représentativité ni d’équilibre. Il n’y a que deux francophones.

La Belgique ne fonctionne pas

L’heure de la réunion plénière a sonné. Johan Vande Lanotte, ancien président du SP. A, ouvre l’enveloppe contenant la première affirmation : la Flandre serait plus prospère si elle détenait ses propres instruments économiques. Du pain bénit pour Bart De Wever, qui se lance dans une diatribe sur  » la Belgique qui ne fonctionne pas  » et sur la peur des francophones de faire la moindre concession. Il réclame la scission de la sécurité sociale, mais dit vouloir maintenir la solidarité. Ambigu ? La tension monte d’un cran. Bea Cantillon s’insurge contre l’accusation de Bart De Wever. Elle pointe aussi le manque de transparence sur les transferts Nord-Sud et affirme comprendre la crainte des francophones.

Les Flamands partagent, eux, une autre inquiétude : la Belgique, jadis pays de cocagne, est en décrochage économique. Il faut réagir. Vande Lanotte plaide pour une régionalisation de nouvelles compétences en matière d’emploi. Cette perspective d’un fédéralisme plus avancé sur une base territoriale crispe Remi Vermeiren. L’ex-patron de la KBC et président du groupe de réflexion De Warande est à l’origine d’un Manifeste pour une Flandre indépendante en Europe. Il rompt une lance en faveur de sa thèse : deux Etats indépendants avec un statut adapté pour Bruxelles. Remous. Eyskens brandit un épouvantail :  » Si la Flandre s’en va, la Belgique reste.  » Tollé : le Nord ne veut pas de cette Belgique résiduaire, constituée de la Wallonie et de Bruxelles.

Pause-café, suivie de discussions en sous-groupes. Les trois  » expertes  » féminines sont invitées à discuter de la place des femmes en politique. Celles-ci procèdent-elles autrement ? Réflexion de Bea Cantillon :  » Il est probable que Joëlle Milquet, seule femme dans la discussion pour la formation d’un gouvernement, ait eu plus de difficultés à s’affirmer.  » Cette nécessité de forcer le trait pour se faire entendre aurait-elle contribué à en faire une  » Madame Non  » ?

Waterzooi, Dedecker, Degrelleà

Le communautaire, on y revient toujours, même pendant les moments de détente. Autour d’un waterzooi ou d’un lapin à la bière, on spécule sur le score de la Lijst Dedecker aux élections régionales de juin 2009. Le parti de l’ex-entraîneur de judo parviendra-t-il à récolter 12 % des voix ? Eric Defoort, président du Vlaamse Volksbeweging, prédit qu’il s’agira d’un succès fulgurant, mais éphémère, comparable à celui que réalisa Léon Degrelle lors des législatives de 1936. Annemie Neyts (Open VLD), députée européenne, est dubitative. Bruxelloise, elle est toujours sous le choc des propos de Vermeiren :  » Bruxelles, ville autonome, dépendant de l’Europe, sur le modèle de Washington DC ? Totalement illusoire ! « 

La dernière séance plénière donne à chacun l’occasion de tirer ses conclusions. Le Flamand Rudy Aernoudt, qui vient de créer le parti Libéral Démocrate (LiDé) et qui présentera des candidats aux élections en Wallonie, résume :  » Ce serait trop difficile et trop coûteux de se séparer.  » Vermeiren, lui-même, en convient en aparté : de son vivant, il ne verra pas la scission de la Belgique.

En tout cas, malgré des divergences profondes qu’on ne perçoit pas toujours dans le sud du pays, les Flamands se rejoignent sur un sujet : la nécessité d’une  » grande réforme de l’Etat « . Au fond, ce serait tellement plus facile si on s’entendait uniquement entre Flamands, au Parlement fédéral ou au 16 rue de la Loi, commeà au château de Gaasbeek. Durant toute la journée, les sujets qui fâchent les francophones ont été évacués : pas un mot sur la scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde (comme si le tour était joué) ni sur les trois bourgmestres francophones non nommés de la périphérie bruxelloise… Un froid a été jeté quand il fut rappelé que  » si l’on va plus loin dans le fédéralisme, il faudra réfléchir au désenclavement de Bruxelles « . Le Vif/L’Express était là pour faire entendre le point de vue francophone. Mais ce  » crime de lèse-majesté  » à l’égard de la pensée unique flamande ne sera pas retransmis. La VRT n’aimerait-elle que modérément les trouble-fêtes francophones ?

(1) Twaalf wijzen om België te splitsen, Panorama, 21 décembre (jour anniversaire de Bart De Wever !), sur Canvas (VRT), à 20 h 10.

Dorothée Klein

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire