Un Kennedy à la canadienne ?

Candidat à la primaire du Parti libéral, ce quadra à l’indéniable pouvoir de séduction marche sur les traces de son ex-Premier ministre de père, Pierre Elliott. Une étoile est née.

Son prénom, c’est son programme. Il sert d’adresse à son site (www.justin.ca). Et il a l’avantage de se prononcer dans les deux langues officielles, l’anglaise comme la française. Depuis la Noël 1971, tout le pays le connaît. Ce jour-là, à Ottawa, le petit Justin poussait ses vagissements, à la grande excitation des médias. Pour la première fois depuis un siècle, un Premier ministre canadien en exercice devenait papa. Quarante et un ans après, le fils, devenu un solide gaillard à l’allure de college boy, veut s’asseoir dans le fauteuil que son père, flamboyant homme d’Etat (voir ci-contre), occupa à deux reprises, entre 1968 et 1984.

Après Pierre Elliott Trudeau, Justin Trudeau ? Pour ses concitoyens, c’est comme si  » John John  » avait pu prendre la relève de John Fitzgerald Kennedy. Ce 14 avril, les sympathisants du Parti libéral du Canada diront, au terme d’une primaire ouverte et inédite, si l’héritier d’un des noms les plus prestigieux du pays deviendra leur chef de file pour les élections de 2015.

L’issue de la primaire ne laisse guère de doute, tant une véritable  » trudeaumania  » balaie le pays. Pendant des mois, Justin a été sur la route. Des forêts de la Colombie-Britannique, dans l’Ouest, aux rochers sculptés par les tempêtes de la Nouvelle-Ecosse, dans l’Est, il a traversé en avion, train, bus, voiture, ce Canada démesurément étalé sur six fuseaux horaires. Et a suscité, partout, le même enthousiasme, tant dans l’Alberta conservateur – où l’on n’a pourtant pas oublié la velléité de son père de faire main basse sur le pétrole local -, que dans le Québec plus à gauche – où Pierre Elliott, défenseur fougueux d’un Canada uni, mena une lutte féroce contre le mouvement indépendantiste. Dans les fermes, les paroisses, les centres commerciaux, chaque meeting de Justin a rameuté les foules. Tel Obama lors de sa première campagne, il déclenche la ferveur des jeunes, des femmes, des minorités. Une armée de 10 000 volontaires aurait mobilisé quelque 100 000 signatures de soutien.

Le fond est banal, mais la forme emporte tout

A Montréal, en cette froide journée d’hiver, le prétendant fait la tournée des universités. Dans une salle du prestigieux établissement McGill, mains dans les poches de son jean, il commence par présenter ses excuses pour le vigile tatillon qui, à l’entrée, a exigé l’ouverture de tous les sacs. Puis enchaîne :  » La politique moderne, ce n’est pas multiplier les promesses auxquelles nul ne croit, c’est s’engager dans le dialogue avec les communautés.  » Il se présente comme un outsider :  » La politique est devenue l’art de conserver son poste, mais ce cynisme est rejeté par les Canadiens.  » La meilleure partie du show arrive plus tard, à l’université Dawson. Là, à son arrivée dans l’amphi bondé, une étudiante gratouille à la guitare Ô Canada, l’hymne national. Il s’arrête et invite gentiment le jeune auditoire à se lever. Tous obtempèrent et chantent avec lui. La communion est parfaite. Le politicien en campagne a cédé la place au grand frère ou au boyfriend rêvé, c’est selon. Une heure durant, sur scène, il appelle son public à  » sortir de l’apathie « , vante le caractère canadien  » généreux, altruiste, ouvert aux différences, optimiste « , défend le pragmatisme et rejette  » la polarisation entre gauche et droite « . Le fond est banal, mais la forme emporte tout. Tonnerre d’ovations avant la longue séance de photos et d’autographes à laquelle il se plie avec patience et bonne grâce. Pour un peu, on croirait voir l’autre Justin made in Canada, le chanteur pour ados, Bieber. Ses rivaux, dans son parti ou à l’extérieur, ont beau jeu de fustiger  » un homme qui n’a ni idées ni vision « ,  » un CV plus que léger « , un discours  » inodore, incolore, vide de contenu « , quelques  » gaffes « , lui s’en moque :  » Pour moi, la politique est une conversation entre les citoyens et leurs représentants.  » Le programme peut bien attendre. Et de confier, avec une candeur toute canadienne, comment il a pris sa décision, à la Noël 2006,  » après une longue discussion avec Sophie  » (NDLR : sa ravissante épouse, une Québécoise), d’abandonner sa carrière d’enseignant et de se lancer en politique, convaincu  » de pouvoir servir (son) pays par (ses) qualités « . Lesquelles ? Il mobilise l’espoir. Se nommer Trudeau, reconnaît-il,  » est un atout, car cela mène les gens vers vous, mais il faut aussi démontrer qu’on est à la hauteur des attentes « . Dans une galerie commerciale, une femme latino lui offre un jus de fruits :  » C’est grâce à vous qu’on est là !  » Un raccourci en forme d’hommage à son père, qui ouvrit le Canada à l’immigration multiculturelle. Mais le fils accepte bien volontiers le compliment. Aux élections de 2008, Justin avait choisi, à la surprise de tous, de se présenter à Papineau, un quartier populaire de Montréal, fief indépendantiste où l’on hait les libéraux fédéralistes. Les caciques du parti se gaussent alors :  » Voilà bien la preuve qu’il n’a pas l’intelligence de son père… Adieu, Trudeau !  » Lui serre les dents, fait du porte-à-porte méthodiquement et, sans cacher son attachement profond à l’unité canadienne, désarme les électeurs séparatistes avec son discours de boy-scout progressiste. Contre toute attente, il est élu. Et réélu encore mieux en 2011. En plein déclin électoral alors qu’il a dominé la scène pendant le XXe siècle, le vieux Parti libéral, secoué par les scandales et les défaites, est bluffé. Un champion est né. S’il sait fabriquer du consensus sur le terrain, l’homme peut aussi donner des coups. En avril 2012, en vue de lever des fonds contre le cancer, il monte sur le ring avec ses gants de boxe et défait au troisième round le sénateur conservateur Patrick Brazeau, donné favori à 3 contre 1. Sans chiqué. Le beau gosse se révèle un cogneur.

Justin Trudeau ou la politique de la séduction. Les journalistes et les hommes politiques ne cachent pas leur condescendance et ne l’aiment guère. Trop bien né, trop riche – il a dévoilé un patrimoine confortable laissé par son père -, trop charmant : il a hérité les yeux bleus et les longs cils de la sulfureuse Margaret Sinclair, qui quitta jadis Pierre Elliott pour suivre les Rolling Stones. A la différence de la classe politique, qui reste très provinciale, ce parfait bilingue – autre rareté – est un vrai pancanadien :  » Je suis un Québécois né à Ottawa et qui a enseigné le français à Vancouver, d’où vient ma mère.  » Dans une maison de retraite à Saint-Lambert, en face de l’île de Montréal, il évoque ainsi ses vacances d’enfant à Shédiac (Nouveau-Brunswick) avec une vieille dame acadienne dont il a pris la main et qu’il écoute, accroupi. Elle jubile :  » Place aux jeunes ! Soyez un aussi grand bonhomme que votre père !  »

 » De solides instincts politiques  »

Les sondages sont sans appel. Avec Justin à leur tête, les libéraux gagneraient aujourd’hui les élections. Sans lui, le gouvernement conservateur de Stephen Harper resterait en place. Certes, le chemin est long d’ici à 2015. Le nouvel enfant prodige du Canada peut décevoir. Ancien ministre de son père, le sénateur Serge Joyal n’est pourtant pas inquiet :  » Quand Pierre Elliott, à 65 ans, a quitté le pouvoir, je lui ai demandé : mais que vas-tu faire ? – Eduquer mes trois garçons, me dit-il. Avec un tel mentor, Justin a gagné de solides instincts politiques. S’il a commis des erreurs, il a toujours su se rattraper. C’est comme pour un patineur : s’il rate sa triple vrille mais qu’il continue et la réussit à la fin, on applaudira. Le public aime ceux qui se relèvent.  »

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL; JEAN-MICHEL DEMETZ

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire