Un justicier contre le temps

Outre-Rhin, les tribunaux n’ont pas renoncé à poursuivre les criminels nazis. A Dortmund, c’est la mission du procureur Ulrich Maass. Une difficile bataille juridique et une course contre la montre.

Ne dites pas à Ulrich Maass qu’il est l’un des derniers chasseurs de nazis.  » Je ne pourchasse pas les criminels de guerre, je conduis des instructions !  » proteste ce procureur de 62 ans, patron de l’unité spécialisée de Dortmund depuis 2000. Dans son bureau, livres et dossiers racontent les horreurs de la guerre et les aléas de la justice. Derrière sa table de travail trônent les actes du procès de Nuremberg. Sur le mur opposé est épinglée une vieille carte de l’Europe de l’Est. Le procureur Maass, barbiche grise et sourire avenant, est passionné par son métier. Emu, aussi, chaque fois qu’il évoque telle ou telle exaction.

En 1979, parce qu’il maîtrisait le français, il a été recruté par la cellule  » crimes de guerre nazis  » de Dortmund, où il a travaillé pendant trois ans. Il y est revenu en 1988, avant d’en prendre la tête en 2000. Son unité, dont la compétence couvre le territoire de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, est unique en son genre. Une spécificité qui plonge ses racines dans l’histoire tourmentée de l’Allemagne d’après-guerre.

A la fin des années 1950, le pays commence à regarder en face un passé jusque-là refoulé. En 1958 s’ouvre, à Ulm, le procès de 10 membres des Einsatzgruppen, ces troupes mobiles chargées d’exécuter les basses £uvres du Reich dans les territoires occupés de l’Est. Ces hommes sont accusés du massacre de 5 500 juifs entre juin et septembre 1941, à la frontière germano-lituanienne. Un électrochoc pour la société allemande.

La même année, les ministres régionaux de la Justice décident de mettre en place, à Ludwigsburg, une cellule chargée de mener des enquêtes préliminaires sur les crimes de guerre nazis. Le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie pousse la logique plus loin en créant, en 1961, deux unités de magistrats spécialisés : l’une à Cologne, pour les crimes commis dans les camps de concentration (elle a fermé en 1998), l’autre à Dortmund.

Près d’un demi-siècle plus tard, le procureur Maass croule sous la tâche. Depuis la fin des années 1980, l’ouverture ou la mise au jour d’archives (celles de l’ONU, de l’ex-RDA et des pays de l’Est…) ont en effet relancé de multiples procédures. Voilà comment Ulrich Maass s’est retrouvé à Maillé, un village d’Indre-et-Loire, le 15 juillet dernier, sur les lieux d’un massacre commis le 25 août 1944.  » Pourquoi ?  » lui a demandé une survivante. Ulrich Maass s’est promis de lui apporter une réponse. Et, peut-être, de mettre la main sur les coupables. Il les a identifiés : des combattants SS de la 17e division d’infanterie motorisée  » Götz von Berlichingen « .  » Nous avons retrouvé des survivants, mais rien ne permet de prouver que ces soldats-là étaient sur les lieux. « 

Mais voilà : ils ne sont plus que trois procureurs, à Dortmund, pour mener de front 20 instructions, avec le soutien de la police.  » Maass est un type qui force le respect, mais il manque de moyens « , estime le militant antifasciste Ulrich Sander. Alors que le procureur et ses adjoints mènent une course contre le temps qui brouille les mémoires et fauche les survivants, le Code pénal allemand ne leur facilite pas la tâche.  » Nous ne pouvons ouvrir une procédure qu’en cas d’assassinat aggravé, seul chef d’inculpation non prescrit, précise le magistrat. Cette qualification exige qu’il y ait eu meurtre avec actes de barbarie et/ou que l’homicide ait été motivé par la vengeance ou la haine raciale, notamment. « 

Le plaisir des amitiés nouées au fil des enquêtes

Pour l’heure, son bilan est maigre, avec seulement quatre procédures pénales à son actif. La première visait un sous-officier accusé du meurtre d’une Ukrainienne. Il a été acquitté en 1981. La seconde procédure concernait un membre du parti nazi accusé de l’assassinat d’un juif en Prusse-Orientale. Les juges l’ont condamné à deux ans de prison avec sursis en 1992. Le troisième inculpé, Hubertus Bikker, membre hollandais de la Waffen SS, coulait des jours tranquilles à Hagen, en Westphalie, jusqu’au jour où il avoua à deux journalistes le meurtre d’un résistant néerlandais. Son procès a été suspendu en 2004 pour raisons médicales.

Au printemps dernier, le procureur de Dortmund a ouvert sa quatrième procédure. Le 14 avril, il s’est rendu dans une maison de retraite d’Eschweiler pour notifier sa mise en examen à Heinrich Boere, 86 ans, l’un des 10 criminels de guerre les plus recherchés. Une satisfaction au goût amer pour Ulrich Maass :  » Humainement, on ne peut pas vraiment se réjouir de poursuivre en justice un vieil homme qui marche avec un déambulateur. « Il est trop tard pour m’envoyer en prison », m’a-t-il dit.  » Son procès pourrait s’ouvrir au début de 2009 à Aix-la-Chapelle. A moins qu’il ne soit jugé trop diminué pour comparaître, comme tant d’autres avant lui…

Le procureur n’est pas homme à céder à la frustration ou au découragement. Il préfère parler du plaisir de découvrir des archives, des amitiés nouées au fil des enquêtes, ou de la satisfaction du devoir accompli. Un mot revient souvent dans sa bouche : die Pflicht (le devoir). Le sien. Celui de sa génération. Celui de son pays.

A. V.

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