Un jour comme un autre

Un samedi, pendant les fêtes de la Pâque juive, à Tel Aviv, dans un pays traumatisé par le terrorisme et qui bascule dans la guerre…

« Vous venez de France ou de Belgique? La situation doit être terrible pour les juifs, là-bas… » On croit rêver: hier, aujourd’hui, demain peut-être, ces Israéliens regarderont, comme tétanisés, les images télévisées d’un hôtel qu’un kamikaze a fait exploser à Netanya, celles d’un supermarché dévasté à Jérusalem, d’un café brûlé à Tel Aviv, d’un restaurant anéanti à Haïfa, d’une voiture détruite à Jérusalem. Jour après jour, des heures de retransmissions, que l’on n’ose pas couper et que l’on ne parvient plus, ensuite, à oublier.

A Tel-Aviv, le samedi, jour du shabatt et du repos hebdomadaire, le long de la plage, en face d’un grand hôtel, on passe des musiques folkloriques en fin de matinée. Aujourd’hui, environ 200 personnes de tous âges, de tous milieux, dansent et chantent. Tous en ligne, en rond, en cadence, ensemble, ils effectuent pas et figures. Parfois, ils tentent même d’entraîner avec eux les (très, très) rares touristes qui les regardent, presque décontenancés par ces sourires, ces moments d’oubli et de bonheurs que se donnent les danseurs. A environ deux kilomètres de là, sur le même front de mer, une petite statue en fer forgé représente deux adolescents. Elle s’élève devant une ancienne boîte de nuit, le Dolphinarium. Un attentat-suicide y a provoqué 21 morts et 120 blessés, en juin dernier. Un texte indique: « Rien ne nous empêchera de danser ».

Sur la digue, des soldats en armes patrouillent, vérifient que les poubelles ne contiennent rien de suspect, descendent parfois sur la plage et effectuent quelques exercices aux appareils de musculation désertés sur un sable qui l’est tout autant. Heureux gars: ils pourraient se trouver dans les territoires palestiniens!

A la nuit tombée, sur une place de la ville, autour de plusieurs autobus, des soldats et leurs proches: après leur permission du shabatt, ces jeunes retournent à l’armée. Illan a été envoyé, depuis peu, à Ramallah, en Cisjordanie. Son père, Udi, lui-même officier, lâche dans un souffle: « Quand je l’emmène ici, j’ai mal au ventre. » Shimon a dépassé depuis peu l’âge d’être rappelé à l’armée, comme viennent de l’être 20 000 autres hommes de 23 à 49 ans, mais pas son fils. « Avec le peuple palestinien, assure-t-il, il n’y a pas de problème. Le véritable obstacle, c’est Arafat et la bande de terroristes qu’il a ramenés ici avec lui. Il n’y a que certains Européens pour continuer à croire qu’Arafat veut la paix et qu’il n’encourage pas le terrorisme. » Un Etat palestinien? L’idée ne le choque pas, ou plus: « Avec le peuple palestinien, nous pouvons nous entendre. Vous verrez. »

Ailleurs, dans un appartement (actuellement, de nombreux adultes évitent de fréquenter les cafés et autres lieux de réunion), quelques internautes francophones se transmettent un texte écrit par l’un d’entre eux. « Etre israélien. Allumer la télévision la nuit et voir qu’au lieu de Rambo 3 on diffuse un film d’horreur local dont nous sommes tous les acteurs. Espérer qu’il n’y a personne que tu connaisses, être content qu’il n’y a personne que tu connaisses, avoir honte d’avoir été content.(…) Etre israélien (…) Aller au centre commercial comme si tu allais en « Millouim » ( NDLR:période passée comme réserviste) et aller en « Millouim » comme si tu allais en guerre. Dire : »Si j’avais un minimum de cervelle, je partirais en Australie », mais ne pas en avoir l’intention sérieusement. Etre israélien. Dire: « Il faut leur rentrer dedans », sans savoir dans qui exactement. Dire: « Ça ne peut plus continuer comme ça, mais craindre que c’est exactement comme ça que ça va continuer. » (…) Comprendre qu’il n’y a pas de solution simple, mais espérer malgré tout qu’il y en a une (…). Ecouter des émissions radio où des gens appellent et disent des choses horribles, penser que cela montre à quel point nous avons dégringolé et, toi aussi, avoir un peu envie d’appeler.(…) Se souvenir, sans savoir pourquoi, de Rabin.(…) Etre israélien. C’est aussi savoir que l’on ne nous aime pas et prétendre que cela nous est égal. »

« La situation doit être si difficile pour les juifs en Belgique! » remarque à son tour Ruty. Ce doit être de l’humour juif.

Pascale Gruber

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