UN FESTIVAL DE LIKES

David Abiker

Je l’avoue. Il y a quelques jours, j’ai dû consulter mon addictologue spécialisé en nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Je voulais lui confesser un comportement dont je ne suis pas fier. C’était juste après le festival de Cannes.

– J’ai mal agi, docteur.

– Et pourquoi donc, m’a-t-il demandé.

– C’est un peu long, mais à Pâques, je n’ai pris aucun congé. Lorsque j’ai ouvert mon Facebook et mon Instagram, j’ai réalisé combien mes amis profitaient de leurs vacances et, surtout, tenaient à les étaler comme on se vantait autrefois d’une nouvelle auto. Des photos de soleil couchant, des bains de mer turquoise, des séances de bronzage sur des plages incroyables, des tables recouvertes de mets délicieux, des jardins plein d’enfants sages et heureux, sans parler de ces filles qui se cambrent comme des starlettes en faisant des selfies en Bikini ! Cela m’a rendu dingue d’envie et j’ai décidé de me venger.

– De vous venger ?

– Oui. Non content d’envier leurs selfies ou de reluquer les cuisses des filles qui se photographient sur Instagram, j’ai fait croire que j’étais à Cannes pendant toute la quinzaine et que, moi aussi, j’avais une super vie. L’idée m’est venue quand ma copine Antigone qui, elle, était sur place, m’a envoyé une photo de Charlize Theron dans un dîner chic. Je n’ai pas pu m’en empêcher : je l’ai postée sur Facebook en assurant à mes amis que j’étais assis en face d’une star. J’ai recommencé le lendemain avec George Clooney, photographié devant la piscine de l’hôtel du Cap-Eden-Roc, à Antibes.

– C’est insensé !

– Je sais. Mais moi aussi je veux dire aux autres que ma vie est fantastique. Je ne peux pas continuellement poster des clichés de mon chien. Même s’il est plus beau que les autres, c’est un peu court pour susciter l’admiration.

– Et quel a été le résultat de cette  » usurpation de festival  » ?

– Des likes, des messages expliquant que j’avais de la chance, me demandant si Woody Allen était sympa. Bref, un festival de likes !

– Comment interprétez-vous votre comportement ?

– L’envie d’être là où ça se passe. Le pire, c’est que ça a marché. Certaines de mes connaissances pensent vraiment que je n’ai rien fichu pendant quinze jours, que j’ai dîné avec Charlize et que Woody est un bon pote.

Il a laissé passer trente secondes avant de me planter son regard d’addictologue dans les yeux.

– Ça pourrait être un Fomo.

– Un quoi ?

– Un syndrome de Fear Of Missing Out.

– C’est quoi, ce truc ?

– Vous ne savourez pas l’instant présent car vous vous demandez si être ailleurs ne serait pas plus sympa. Résultat, vous êtes insatisfait.

Je me suis dit :  » Bon sang, c’est vrai ! Sur Instagram, ils souffrent tous de ça.  » Ils ont beau être en famille, sur un cheval, devant le plus beau des couchers de soleil, ils postent une photo avec  » What else ?  » (1) en commentaire. Mais justement, si le soleil couchant leur suffisait, ils n’éprouveraient pas le besoin de le faire savoir.

– Sérieux, j’ai un Fomo ?

– Je dirais même un Fomo aigu car, en vacances, vous postez des photos et au bureau, vous en postez encore, pire des images de vacances qui ne sont pas les vôtres ! Vous souffrez donc d’un Fomo avec dérive mythomane.

– Je suis malade, donc ?

– Disons que vous êtes moderne.

(1)  » What else  » est une expression attribuée à George Clooney, issue d’un fameux clip publicitaire.

David Abiker

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