Un examen pour banquier, fausse bonne idée

Sévèrement pris en défaut, les dirigeants de banques ont besoin d’une bonne leçon. Le ministre des Finances Didier Reynders (MR) n’exclut pas de les renvoyer sur les bancs de l’école et de les soumettre à un examen. En passant ainsi à côté du vrai problème : l’éthique…

Banquier, un bien beau métier. Mais qui ne s’improvise pas vraiment. Et qui a intérêt à s’apprendre plutôt deux fois qu’une, au vu des dégâts qu’il peut causer quand il est mal exercé. La colossale crise financière suggère l’existence de quelques lacunes en la matière. Peut-être inspiré par sa douloureuse gestion du naufrage de Fortis, le ministre des Finances Didier Reynders (MR) n’est pas loin de le penser. Pour preuve : il ne verrait pas d’un mauvais £il les banquiers retourner en classe et subir un examen, avant de prétendre jongler avec des milliards. Récemment interpellé à la Chambre, le président du MR s’est dit tout disposé à emboîter le pas à nos voisins bataves sur ce terrain.  » Je suis prêt à mettre sur pied un véritable institut qui serait avant tout responsable de la formation des banquiers. Et à envisager pour eux une sorte d’examen.  » Un v£u que la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA) est chargée d’éventuellement exaucer.  » La question sera étudiée dans le cadre d’une réforme plus globale du droit bancaire « , lâche-t-on du côté de l’organisme contrôleur du secteur financier. Meyrem Almaci, la députée Groen ! qui a sondé Didier Reynders, a déjà tranché :  » Ce n’est pas d’un examen que les banquiers ont besoin, mais d’un contrôle de leurs décisions. « 

Sous réserve d’inventaire, la perspective d’un examen laisse aussi perplexe ou amusé les pros de la finance.  » C’est cucu la praline. On se croirait revenu au cours de morale donné à l’école « , tranche un ancien banquier. Fausse bonne idée, donc.  » Et même plutôt idiote « , assène Etienne de Callataÿ, chief economist à la Banque Degroof :  » Je ne vois pas ce que les banquiers auraient encore à apprendre de fondamental. On ne peut d’ailleurs attendre d’eux une omniscience, aussi intelligents soient-ils.  » Pour s’être rudement heurté à quelques-uns de ces plus beaux spécimens, ceux de Fortis en l’occurrence, l’avocat Mischaël Modrikamen n’a pas eu le sentiment d’avoir affronté une bande d’idiots sous-qualifiés :  » S’il y avait bien des gens bardés de diplômes, c’étaient eux.  » Cela n’empêche pourtant pas certains grands noms de la finance, de se laisser aller à des bourdes tellement monumentales qu’elles témoigneraient d’inquiétantes faiblesses dans le CV. Alain Siaens, professeur émérite à l’UCL et président du conseil d’administration de la Banque Degroof, a encore en mémoire l’énormité prononcée par ce nouveau dirigeant de Fortis, annonçant sa volonté de faire croître le bénéfice par action de 10 % par an.  » Un calcul exponentiel permet directement de constater ceci : si le PNB croît de 4 % par an et si, par ailleurs, le bénéfice par action de l’entreprise de ce dirigeant croît de 10 %, il faut mathématiquement en conclure qu’au bout de 81 ans, ce seul bénéfice excède le revenu national ! Quand on profère ce genre d’énormité, tout chef de banque qu’on soit, on démontre juste un manque interpellant de formation macroéconomique, financière ou mathématique  » (1). C’est aussi l’époque qui veut ça, concède le professeur Siaens :  » Les banquiers, les financiers ne sont pas plus cupides ou incompétents qu’auparavant. Ils doivent faire face à des opérations de plus en plus rapides et complexes et il est clair que, dépassés, certains ont commis des erreurs. « 

Ces circonstances atténuantes ne doivent pas masquer le c£ur du problème. Que pointe sans ambages le patron de la Deutsche Bank en Belgique, Yves Delacollette :  » Ce n’est pas un manque de connaissances, mais un manque d’impartialité dans le conseil qui constitue le problème fondamental.  » Le financier décèle même un réel danger :  » Que cet examen pour banquiers soit utilisé comme alibi pour défendre une politique commerciale agressive, drapée d’une aura de conseil indépendant.  » Une politique, voulue par les directions, qui est dictée par la défense des intérêts de la banque plutôt que du client.  » Le vrai problème est l’éthique du secteur « , ponctue Yves Delacollette. Tous les diplômes ou les examens du monde ne pourront rien contre l’appât déraisonnable du gain.

(1) Regards libéraux sur la crise, cahier du Centre Jean Gol, mai 2009.

P. Hx

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