Un ex-adepte témoigne

Pendant quinze ans, le pianiste belge Alain Stoffen a vécu sous l’emprise de la secte. Il raconte son Voyage au cour de la Scientologie (Privé), qui l’a manipulé, ruiné et a détruit sa famille. Extraits exclusifs.

L’argent commence à manquer

[Avril 1986. Alain Stoffen vient d’arriver au centre de Copenhague de la Scientologie qui doit lui délivrer son  » état de Clair « , pour lequel il a déjà déboursé 45 511,29 francs français (1).]

– Serre les boîtes !

Olivier, mon auditeur, vient de me poser dans le creux de chaque main une électrode, un petit tube cylindrique en métal relié à l’électromètre. [à] Il attend de moi que j’exerce sur les électrodes une pression légère et progressive que je dois ensuite relâcher d’un coup.

– Il faut que je règle la sensibilité, m’explique-t-il.

Je m’applique mais, comme je suis un peu stressé, mon  » serrement de boîtes  » ne convient pas. [à] Mes mains sont en effet trop sèches, d’après lui, pour établir un bon contact électrique. Il me tend une crème hydratante. La tentative suivante est la bonne. [à] J’ai cette impression de rencontrer quelqu’un à qui je peux ouvrir mon jardin secret en toute confiance, un échange précieux et complice qui m’a tant manqué jusque-là. J’ignore que cette attitude chaleureuse n’est autre que le résultat d’un véritable programme d’entraînement, voire de conditionnement poussé à l’extrême. [à]

L’argent commence à me manquer. Mon crédit d’heures ayant été épuisé, il m’a été demandé d’acheter un supplément afin de pouvoir aller au bout de mon programme. Le superviseur des cas a été formel : le dénouement est proche. Dans l’état où je suis, il est inconcevable de ne pas continuer les auditions. Imaginons un seul instant que je craque et que je reparte à Paris, un  » comité d’accueil  » m’attendrait sur la piste d’atterrissage pour me cueillir dès ma descente d’avion et me remettre manu militari dans le prochain vol pour Copenhague. Pour eux, ne pas agir ainsi reviendrait à me laisser tomber, à trahir leur engagement. Je débourse donc la somme de 6 494,97 FRF pour quelques heures d’audition supplémentaires. [à]

Menacé par un  » chien de garde « 

[Suite à l’échec du premier séjour, la Scientologie le convainc de retourner à Copenhague en novembre 1986, en lui promettant qu’il n’aura rien à payer.]

Je suis heureux de retrouver Olivier, mon auditeur.

– Ne t’en fais pas, me dit-il, se voulant rassurant. Quoi qu’il arrive, je vais te sortir de là.

Me remettre sur pied, de la façon dont le superviseur des cas l’a prévu, il ne veut pas s’en contenter : pour lui, il n’y a aucun doute, je ne repartirai pas sans cette reconnaissance de l’état de Clair, qui pour lui est une évidence. [à] En quelques heures à peine, je suis en train de renaître de mes cendres. Je me sens à nouveau libre. La promesse de l’état de Clair, avec cette perspective d’une nouvelle vie, je la sens en moi, et ce, pour toujours. [à] Plusieurs séances se succèdent, mais, contrairement à toute attente, plutôt que de confirmer cet état de bien-être auquel je viens d’accéder, elles me font à nouveau chancelerà Ne voulant pas revivre le cauchemar de mon premier séjour, je veux arrêter. Or ils ne l’entendent pas de cette oreille : tout comme la dernière fois, ils veulent remettre en marche cet énorme rouleau compresseur qui a fini par me broyer. [à] Le lendemain, je suis convoqué auprès d’une des responsables. – Tou doua trovair oun solution por péyé, me dit-elle dans un français à l’accent espagnol fort prononcé.

Il doit sûrement y avoir un malentendu, ce que je tente de lui faire comprendre. [à] Aussitôt je suis amené devant le MAA [master at arms,  » maître des armes « ]. Une fois dans son bureau, particulièrement énervé, je lui explique que, depuis mon rendez-vous avec cette Chantal à Paris et mon arrivée ici il y a une semaine, on m’a annoncé tout et son contraire et qu’il est grand temps que tout le monde ici accorde ses violons. [à]

– Nous t’avons en effet ouvert un compte, ce qui, sache-le, est une mesure tout à fait exceptionnelle, valable uniquement pour quelques heures. Là, il se trouve que tu viens de dépasser les vingt heures. [à]

– Ça représente quoi ?

– 113 000 francs [FRF].

– Pardon ? C’est une blague ?

Je fais le calcul : cela représente 5 600 francs l’heure, quasi trois fois plus que le tarif normal ! [à]

– Maisà mais je n’ai pas une telle sommeà

– Tu verras ça avec Britta, elle t’attend, me dit-elle avant de me donner congé.

Britta n’est pas seule à m’attendre : un homme, que je ne connais pas, se trouve à ses côtés. L’homme a une tête de bulldog. Il est bâti comme un catcheur, tout en muscles. Vêtu d’un blouson en cuir noir, un chewing-gum dans la bouche, il semble nerveux. Il me fait savoir qu’il fait partie du Watchdog Committee, les hommes de main de la direction mondiale, d’après ce que j’en comprendrai plus tard. Watchdog signifie littéralement  » chien de garde « . Soudain, il montre ses crocs. Il se met à me hurler dessus :

– Est-ce que tu sais quelle est notre mission ?à On est ici pour mettre la planète au clair !

Il est rouge de colère.

– On est là pour sortir l’humanité de la boue !à Et toi, tu nous dois de l’argentà beaucoup d’argent !

Je voudrais lui expliquer qu’il s’agit d’un énorme malentendu, mais les mots ne sortent pas de ma bouche, je suis comme paralyséà

– Je n’ai pas l’impression que tu mesures la portée de tes actes !à c’est une trahison !

[à] N’étant pas armé pour faire face à tant de violence, je m’effondre en larmes.

– Je ne veux pas savoir comment tu vas t’y prendre ! Appelle tous les gens que tu connais, en France, en Belgique, je m’en tape, mais je veux ce putain d’argent maintenant !

J’ai une demi-heure, pas une minute de plus, pour réunir les fondsà [à] Moi, je n’y arrive pas, même en y mettant toute ma volonté. [à] Je me sens au bord d’un énorme précipice : j’ai peur que le groupe ne me rejette et qu’il me retire toute aide et tout support, fermant ainsi les portes qui m’auraient permis d’accéder à la promesse de l’état de Clair. Etre exclu est un châtiment extrême redouté par tous. A nouveau convoqué devant le maître des armes, on m’oblige à faire un véritable examen de conscience, à me repentir. Cette fois-ci, docile, je me soumets à cette confession par écrit que quelques mois auparavant j’avais refusée. [à] Tout ce que j’ai fait et que je n’aurais pas dû faire, tout ce que je n’ai pas fait et que j’aurais dû faireà Les moindres dérapages de toute une vie, rien n’échappera à la  » vérification à l’électromètre  » qui viendra entériner ces aveux par écrit. Ce n’est qu’après avoir signé une reconnaissance de dette que j’obtiens finalement du  » capitaine « , le n° 1 du centre, l’autorisation de partir.

Le brevet d' » homme nouveau « 

[En mars 1994, il accepte un troisième séjour à Copenhague.]

Le superviseur des cas a programmé une première action qui consiste à  » nettoyer les bouleversements « , à nouveau selon ces techniques qu’on m’a fait subir pendant de longues heures lors de mon premier séjour et qui ont fini par se transformer en véritable torture. [à] Une fois de plus je me sens à la merci d’un auditeur et d’une machineà Je suis néanmoins prêt à jouer le jeu –  » autre auditeur, autre résultat « , me dis-je – non sans un certain scepticismeà [à] Le jour suivant, après avoir reçu ma troisième séance, la moutarde me monte au nez. Je me rends à l’évidence : une fois de plus, ces auditions non seulement n’aboutissent à rien, mais m’indisposent sérieusement. Je sens une colère monter en moi. [à] On m’annonce que je vais être pris en séance par un  » classe IX « , un auditeur ayant atteint le plus haut degré de formation et habilité à délivrer des auditions de haut niveau. Une fois installés dans la salle d’audition, face à face, l’électromètre entre nous deux, il ouvre mon dossier et, tout en me regardant droit dans les yeux, d’un ton solennel me dit :

– Le superviseur des cas m’a chargé de te dire que nous avons toutes les preuves que tu es Clair.

Je reste sans voix, ébahià L’émotion me submerge. Ces quelques mots qu’il vient de prononcer, depuis longtemps j’avais perdu tout espoir d’un jour les entendre. Le groupe vient de m’accorder cette reconnaissance ultime qu’est l’état de Clair. [à] Maintenant que la nouvelle est officielle, je suis devenu un homo novis, un  » homme nouveau « . J’entre dans ce cercle privilégié que sont les Clairs, et de ce fait je vais avoir l’immense honneur de recevoir officiellement mon invitation pour commencer le  » grand voyage  » [à] : les niveaux d’OT (operating thetan). Au-delà de l’état de Clair, huit autres niveaux me restent à franchir : de OT 1 jusqu’à OT 8. Le contenu de ces niveaux est strictement confidentiel, tous ceux qui y sont passés étant tenus au secret.

Payer ou être chassé

[En 1996, Alain Stoffen écrit à l’International Justice Chief pour contester sa dette de 46 000 FRF, mais, l’année suivante, la réplique arrive.]

– Ils veulent te déclarer  » PTS type D « .

– Attends, tu n’es pas sérieuse, là ?

– Je crains que si.

[à] J’ai beau argumenter, m’expliquer, la procédure a été déclenchée, me répond-on, impossible de faire marche arrière. C’est une décision qui vient d’en haut ! La sentence est tombée. Elle est irrévocable, sans appel. [à] Je n’ai donc plus le droit de mettre les pieds dans un centre de Scientologie, quel qu’il soit et où qu’il soit. En une fraction de seconde je vois ma vie basculer.  » En haut « , ils ont décrété que je suis un hérétique à excommunier, un fauteur de troubles à chasser. Un suppôt du Mal. [à] Je suis bloqué dans ce petit bureau au sous-sol du Celebrity Center, le document contenant ma condamnation en tant que PTS type D sous les yeux, condamnation qui signifie la mort de mon couple, que pour rien au monde je ne veux voir sacrifier sur l' » autel de la scientologie « .  » Cet ordre d’éthique a été écrit et sera publié si vous ne changez pas d’idée.  » C’est écrit noir sur blanc ! Il me faut désamorcer cette bombe. Or je n’ai pas les 47 000 FRF exigés en haut lieu. En face, on me somme de faire  » un geste « , pour  » montrer ma bonne foi « .

– C’est quoi, c’est combien, un geste ?

– C’est à toi de le direà

Je signe un chèque de 10 000 FRF. La sentence est levée, je ne serai pas déclaré PTS type D. Mais je ne suis pas sauvé pour autant, ma dette court toujours. [à] Je suis loin d’imaginer que mon interlocutrice ainsi qu’Isabelle se sont en réalité livrées à un jeu de rôles dont le déroulement a été minutieusement élaboré  » en haut lieu « . Ce document secret porte la mention :  » Ce qui suit est un programme pour manier Alain Stoffen. « 

Couple sous surveillance

[En 1998, Alain et Camille, son épouse également adepte de la secte, donnent naissance à Sébastien, mais dès l’année suivante leurs relations se dégradent.]

En scientologie, rien n’est du domaine privé. Le moindre problème, même le plus intime, se doit d’être rapporté et soumis aux différents responsables concernés, superviseur des cas, officier d’éthiqueà Mon couple bat de l’aile, je suis donc reçu par le  » chapelain « , sorte de médiateur qui, tel qu’il est présenté, dispose de tous les outils nécessaires pour venir à bout de tous les conflits, quels qu’ils soient. [à] Quelques jours auparavant, il s’est longuement entretenu avec Camille, qui, ainsi qu’il me le rapporte, est venue d’elle-même solliciter un entretien. En réalité, me confie-t-il, elle ne va pas bienà pas bien du tout. [à]

– Elle a besoin d’aide, de ton aide. Tu dois prendre la responsabilité pour elle et ton couple, me dit le chapelain.

[à] Dans les semaines qui suivent, à la maison, la tension devient insoutenable. Il suffit d’un rien, d’un regard de travers, d’un mot de trop, pour que les reproches à mon égard, les insultes fusent. Mais, d’après les  » précieux  » conseils que le chapelain m’a prodigués, je dois prendre sur moi, rester impassible. Je tâche de me retrancher dans mon rôle de père. La petite bouille tellement adorable et innocente de Sébastien, ses petits yeux souriants et ce regard plein de confiance, j’y trouve un réconfort immense.

Au Celebrity Center, on a décidé de s’y mettre à plusieurs pour me convaincre d’acheter des heures d’audition afin que Camille puisse être prise en séance le moment venu. La tâche ne leur est pas difficile, ils savent fort bien que je suis prêt à tout pour aider Camille et sauver mon couple. N’ayant pas d’autre solution, et face à leur insistance, je débloque les fonds, 13 000 FRF exactement. [à] En réalité, plutôt que d’apaiser nos relations, on n’a fait qu’envenimer la situation en me forçant la main dans le choix de mes priorités. Selon Camille, si nous avons des difficultés financières, c’est ma faute. [à]

Aussitôt, Camille prend sa plume et dans le plus grand secret, le 30 octobre 1999, elle rédige un rapport de délation qu’elle fait parvenir aux responsables de l’appareil disciplinaire du Celebrity Center. Ce rapport reprend dans les moindres détails l’ensemble des actions qu’elle a menées pour me soumettre à cette dictature financière, sous la férule de la Scientologie. Je suis loin d’imaginer que la Scientologie s’est totalement immiscée dans l’intimité de notre couple. Rien ne leur est étranger, rien ne leur échappe, ni nos sentiments ni nos financesà

Le mercredi 3 novembre 1999, nous sommes convoqués. Cela fait des jours et des jours qu’à la maison Camille m’évite, m’ignore, ne m’adresse plus la parole. C’est dire combien le malaise est grand dans ce minuscule bureau au sous-sol du Celebrity Center, où nous nous trouvons assis côte à côte, presque à nous toucher, face au chapelain. [à] Les modalités de la séparation sont consignées dans leurs moindres détails :  » séparation de corps et de biens « ,  » vendre la Rover  » (28 000 FRF),  » Alain peut garder la 205 « ,  » Alain trouve 1 appt « ,  » Alain vient le matin garder Sébastien « ,  » Sébastien peut venir dormir chez Alain « ,  » la vente de la Rover va dans les impôts « ,  » Alain donne 300 FRF par mois à Camille pour Sébastien. Au 10 du mois « . La vie de Sébastien est également minutieusement organisée jour par jour et consignée dans le document. [à]

Camille, depuis son arrivée six ans auparavant, a enchaîné de nombreux services, cours et auditions, et ainsi fait entrer beaucoup d’argent dans les caisses de l’organisation. Ils ne peuvent pas en dire autant de moi : je suis bloqué sur le Pont, toujours à cause de ma dette. Même si pendant plusieurs années ils se sont servis de mon image en tant qu’artiste pour promouvoir la Scientologie à l’extérieur, entre Camille et moi leur choix est fait : dans cette affaire, c’est le plus scientologue des deux qui doit l’emporter. [à]

Constatant que je ne pars pas, Camille passe à la vitesse supérieure. Elle rédige un rapport de délation, mais cette fois-ci, au lieu de l’adresser au chapelain, elle décide de court-circuiter toute la chaîne hiérarchique locale et de l’adresser directement au n° 1 mondial de l’organisation, l’ED-Int, l’Executive Director International, dont le bureau est à Los Angeles, avec une copie pour l’OSA. L’Office of Special Affairs est officiellement le département juridique. Derrière cette dénomination se cache en réalité – ce que, comme bon nombre de scientologues d’ailleurs, j’ignorais – une véritable officine d’espionnage et de  » coups tordus « , agissant toujours dans l’ombre. Un appareil secret qui a pour mission de venir à bout de toute opposition et de mettre hors d’état de nuire tous les ennemis. [à]

Samedi 12 février 2000, Camille a loué un camion et fait venir à la maison quelques-uns de ses amis pour lui prêter main-forte afin d’emporter une partie du mobilier. Le soir, je me retrouve seul dans un appartement dépouillé. La chambre d’enfant est videà Sébastien n’est plus là.

(1) 6,55957 francs français (FRF) =1 euro.

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