Un espace judiciaire européen?

Le traité d’Amsterdam a inscrit la création d’un « espace de liberté, de sécurité et de justice » au nombre des objectifs de l’Union européenne. Deux possibilités sont tracées : l’harmonisation progressive des législations des Etats membres et la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires. Cependant, le Conseil européen de Tampere (Finlande), en octobre 1999, privilégie la seconde solution en indiquant que la reconnaissance mutuelle des décisions de justice devait devenir « la pierre angulaire de la coopération judiciaire tant civile que pénale ».

La création d’un mandat d’arrêt européen, qui entrera en vigueur en 2004, s’inscrit dans ce principe. Chaque autorité judiciaire d’un pays membre reconnaît et exécute automatiquement la demande de remise d’une personne formulée par un autre Etat membre. Chacun reconnaît non seulement l’intégralité de la législation pénale des autres Etats, mais accepte aussi d’assister ceux-ci pour la faire respecter. Les contrôles politique et administratif propres à la procédure d’extradition sont supprimés, tandis que la surveillance judiciaire ne porte plus sur la légalité des poursuites mais se limite à la régularité formelle du mandat. Il est posé, a priori, que ces systèmes s’appuient sur les principes de liberté, de démocratie et d’Etat de droit.

Le mandat européen se substitue à la procédure normale d’extradition entre Etats. Celle-ci repose sur l’exigence de la double incrimination. L’extradition n’est possible que si le fait poursuivi constitue un délit, tant dans le pays qui demande la remise de la personne que dans le pays sollicité. Avec le mandat européen, il suffit que le comportement mis en cause constitue une infraction dans le pays demandeur.

Un autre changement important est l’abandon du principe de spécialité. Dans la procédure actuelle d’extradition, la personne remise ne peut être poursuivie que pour les délits explicitement mentionnés dans la demande. Avec le mandat d’arrêt européen, le pays demandeur n’est plus lié par la qualification donnée dans le mandat.

Le 6 décembre, le Conseil des ministres de la Justice et de l’Intérieur a adopté une définition-cadre qui définit comme infraction terroriste « les actes intentionnels qui, par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un pays…  » quand l’auteur les commet dans le but de « contraindre indûment des pouvoirs publics à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque » ou enfin de « gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale ».

Cette définition permet une interprétation très large. Toute action sociale a pour but de contraindre le pouvoir à poser certains actes ou de ne pas les poser. Les termes « gravement » et « indûment » n’apportent aucune précision objective pour qualifier l’acte.

Les notions de déstabilisation et de destruction des structures économiques ou politiques d’un pays permettent d’attaquer de front les mouvements sociaux. C’est avec ces arguments que, au début des années 80, Margaret Thatcher tenta d’appliquer la loi antiterroriste à la grève des mineurs.

Le caractère liberticide du texte est tellement apparent que, en annexe, il est stipulé que  » rien dans la Décision-cadre ne peut être interprété comme visant à réduire ou à entraver des droits ou libertés fondamentales tels le droit de grève, la liberté de réunion, d’association ou d’expression ». Mais il ne s’agit là que d’un engagement sans force juridique qui laisse libre chaque Etat membre de mener la politique pénale de son choix.

Six Etats membres disposent déjà d’une législation antiterroriste. .Les autres Etats membres n’ont pas créé d’infraction spécifique. Ils poursuivent ces délits grâce à des incriminations déjà existantes, telle la notion d’association de malfaiteurs.

Si l’arsenal législatif pénal de ces pays est suffisant pour poursuivre ces délits, il apparaît que les raisons de la création d’une incrimination spécifique se trouvent dans la justification de pratiques qui dérogent aux règles traditionnelles de procédure pénale. Il s’agit de techniques spéciales d’enquêtes telles que la mise sur écoute, la surveillance rapprochée, l’interception du courrier. L’incrimination terroriste justifie également des mesures exceptionnelles de détention préventive ou d’emprisonnement administratif.

Le mandat européen permet la survivance de profondes disparités nationales. Il n’induit pas une unification des législations mais est un outil d’extension des prérogatives nationales au niveau de l’ensemble du territoire de l’Union, sans qu’un contrôle puisse s’exercer sur ces pratiques. Il en est de même du recours différencié à des règles exceptionnelles de procédure pénale qu’autorise l’incrimination commune du terrorisme.

Les textes de la rubrique Idées n’engagent pas la rédaction.

par Jean-Claude Paye, sociologue

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