Un Belge pour le financement du stade national

Oui, des investisseurs privés étrangers sont prêts à assumer la construction et l’exploitation du futur stade national, à Grimbergen. Mais un Belge propose de prendre tout le projet à sa charge. Malgré les principaux obstacles, politiques, juridiques et linguistiques.

C’est un puzzle. Une équation à plusieurs inconnues. L’avènement du futur stade national, qui devrait voir le jour pour accueillir le match d’ouverture de l’Euro 2020 de football, est tout sauf un long fleuve tranquille. A quatre mois de l’introduction officielle de la candidature belge auprès de l’UEFA pour participer à ce rendez-vous hautement symbolique, appelé à être organisé dans treize villes européennes, les réunions se multiplient, les consultants se démènent et les politiques fourbissent leurs armes.

Sans garantie de réussite à ce jour.  » Mais il y a désormais plus qu’une lumière au bout du tunnel « , nous confie l’un de ses principaux artisans, Alain Courtois (MR), ancien secrétaire général de l’Union belge aujourd’hui échevin des Sports de la Ville de Bruxelles.  » Nous avons reçu de nombreuses offres d’investisseurs, belges et étrangers, poursuit-il. Cela nous a rassurés : oui, ce projet pourra bien être financé à 100 % par le secteur privé. S’il échoue – ce que je n’exclus pas dans ce pays de fous qui ne se soucie guère du sport -, ce sera en raison du seul écueil principal que je perçois aujourd’hui : la psychologie et les egos.  »

Le 25 mai 2013, à l’issue d’une grande réunion à Ostende, le gouvernement du nouveau ministre-président Rudi Vervoort (PS) annonçait sa décision d’installer le futur stade national sur le parking C du Heysel, un terrain appartenant à la Ville de Bruxelles, mais situé sur le territoire de Grimbergen, une commune flamande sans facilités. Le 3 décembre, le bourgmestre Freddy Thielemans (PS) posait un dernier geste symbolique avant de céder le flambeau à son successeur Yvan Mayeur en annonçant un premier accord politique majeur sur le chemin du stade national. En fait d’accord, il s’agissait plus précisément d’un cadre aussi précis que possible pour entamer à marche forcée des négociations ultra-délicates dans un délai très court. De la poudre aux yeux, en somme. Ou une stratégie pour coincer les négociateurs.

Les certitudes actuelles ? Le stade sera bel et bien installé sur le parking C.  » Je me fous où ce stade se trouvera, que ce soit à Bruxelles, en Flandre ou en Wallonie, l’important, c’est qu’il voit le jour « , souligne Alain Courtois. Même s’il reconnaît qu’avant la décision régionale, la Ville de Bruxelles  » gardait comme option principale le site de l’ancienne gare de Bruxelles-Formation « . Financé uniquement par le privé, le stade consistera en une enceinte de 50 000 places (+ 10 000 rétractables) sans piste d’athlétisme ni toit rétractable. Dont coût : 314 millions d’euros. Au-delà de ça, tout reste à négocier en cinq petits mois.

Le noeud principal, de l’avis de tous les observateurs, c’est le financement d’un tel mastodonte. Chargé du groupe de travail mis en place pour réunir les fonds et préparer les permis de bâtir, Alain Courtois rassure :  » Oui, nous aurons la capacité de financer cela par le privé. La rentabilité du projet choisi est élevée, elle se situe entre 3,5 % et 5,9 %. Aucun choix définitif n’a été fait, aucun investisseur n’est directement associé aux discussions, mais nous avons déjà reçu plusieurs actes de candidature qui sont actuellement étudiés par nos consultants Deloitte.  »

Parmi les candidats, un Belge avec des capitaux étrangers

Selon nos informations, les candidatures émaneraient de fonds d’investissements privés étrangers,  » des financiers purs « . Certains sont américains, à l’image de ceux qui ont repris les clubs anglais de Liverpool et de Manchester United. D’autres proches des Qataris, qui inondent les milieux footballistiques de leurs pétrodollars, à l’image de la compagnie aérienne Emirates à qui l’on doit déjà le stade du club anglais d’Arsenal ou les performances du Paris-Saint-Germain.

Mais ce n’est pas tout. Un investisseur belge est déjà venu frapper à la porte d’Alain Courtois en se disant prêt à mettre la totalité de la somme sur la table, avec le soutien de capitaux étrangers. Crédible, proche des milieux sportifs, celui-ci l’a définitivement rassuré sur sa capacité à remplir la mission qui lui a été confiée. Reste à voir si un marché public ne s’imposera pas en raison du fait que le terrain sur lequel sera construit le stade est public. Des avocats planchent actuellement sur le dossier. Il pourrait être question de créer une société privée chapeautant le projet, le terrain lui étant confié comme une participation de la Ville. Un montage, quoi qu’il en soit, inédit. Jamais un tel cas de figure ne s’est présenté dans notre pays.

La condition sine qua non pour la construction du futur stade, c’est la participation d’un club de football professionnel qui occuperait les lieux quotidiennement. Le Sporting d’Anderlecht participe aux discussions et s’est montré intéressé, sans avoir pour autant renoncé pour l’instant à rénover le stade Constant Vanden Stock.  » Je comprends qu’il garde ces deux fers au feu pour ne pas se retrouver sans stade, en cas d’échec « , dit Alain Courtois. Qui prolonge :  » Faute de volonté publique de financer un stade national, ce que l’on fait partout ailleurs, on doit quasiment mendier. Les négociations seront ardues pour déterminer les pourcentages que toucheraient ces investisseurs dans l’exploitation du stade.  » L’enceinte ne serait pas que sportive : on pourrait aussi y organiser des concerts ou des événements nationaux, voire… y accueillir le pape comme ce fut le cas dans l’ancien stade du Heysel en 1985.

Si des fonds d’investissements étrangers se disent prêts à pointer le bout du nez en Belgique, c’est en raison des perspectives de rentabilité offertes par un parking de 12 000 places logé aux portes de Bruxelles et par la création annoncée d’un centre de communication  » sur le mode d’Amsterdam  » désengorgeant la ville, en lien avec le projet Néo de réaménagement de l’ensemble du plateau, qui comprend centre commercial, salle de spectacles… Plus de 350 millions d’euros ont déjà été engagés pour creuser un tunnel sous le ring et prévoir l’arrivée du métro.  » L’élargissement du ring voulu par la Région flamande et le projet de centre commercial U-Place, à Machelen, font évidemment aussi partie du projet « , confirme Alain Courtois.

 » Cela ne reste… qu’une idée « , dit-on au gouvernement flamand

Pourtant… L’enthousiasme politique n’est toutefois pas le même partout.  » Ce projet de stade national est surtout bruxellois et flamand, grince le ministre wallon des Sports André Antoine (CDH). Au cabinet de son homologue flamand Philippe Muyters (N-VA), on glace aussi les enthousiasmes un petit mois à peine après l’accord du 3 décembre.  » Pour nous, ce n’est encore qu’une idée, un projet lancé par le gouvernement bruxellois un jour lors d’un grand show à Ostende. Mais sur le fond, rien n’est encore réglé. Comment sera-t-il financé ? Qui l’utilisera ? Comment cela fonctionnera-t-il ? Quelle sera la politique en matière de mobilité et d’accès ? Comment se passera la collaboration avec la commune concernée ? Franchement, c’est difficile d’être partisan de quelque chose qui n’existe pas encore et dont nous ne sommes pas les maîtres d’oeuvre ! »

La réticence des nationalistes flamands s’exprime aussi de façon plus symbolique.  » Nous serons évidemment très attentifs à la loi sur l’usage des langues, prolonge-t-on chez Philippe Muyters. Certains nous demandent si l’on devra annoncer les remplacements du match uniquement en néerlandais : c’est tellement caricatural que l’on ne répond même pas. Mais la loi sur l’emploi des langues, c’est la loi ! Il n’y a pas de marge de négociation à cet égard. Et cela serait la même chose à Bruxelles ou à Liège.  »

Alain Courtois reconnaît que  » le fait que ce stade se situe en Flandre pourrait encore susciter des problèmes. Des investisseurs étrangers qui veulent rentabiliser le stade vont évidemment vouloir jouer la carte des langues internationales. Ce serait un comble que cela échoue à cause de ça « . L’agenda viendra-t-il au secours du projet ? Le projet de stade doit être confirmé à l’UEFA pour avril, soit un petit mois avant les élections régionales, fédérales et européennes du 25 mai prochain. Un scrutin majeur pour la N-VA, qui lui laisse peu de marge de négociations. Le projet définitif, lui, doit être présenté en septembre, quand l’électeur se sera prononcé. De quoi permettre de lâcher un peu de lest ?

 » Un symbole de mauvaise gouvernance « , dit un opposant très fâché

S’il y a bien un dossier qui  » fâche  » le député d’opposition Emmanuel De Bock (FDF) en ce début d’année, c’est celui du futur stade national.  » Cela risque de devenir le symbole de la mauvaise gouvernance. Le scénario du gouvernement bruxellois représente un scandale financier inadmissible en période de crise qui fera de nous la risée internationale. Soixante millions d’euros ont été investis dans le Stade Roi Baudouin en pure perte il y a quinze ans, et un investissement privé d’au moins 300 millions d’euros est promis dans un nouveau stade alors que tous les exemples étrangers montrent l’indispensable intervention publique, ce que l’étude Deloitte confirme par ailleurs.  »

 » A Bordeaux et à Nice, poursuit-il, la construction des nouveaux stades de l’Euro 2016 n’a été possible que par l’intervention des pouvoirs publics qui ont payé 40 % de la facture, ce qui représenterait l’équivalent de 120 millions d’euros pour Bruxelles. Par ailleurs, le tout nouveau stade Allianz Riviera de Nice (35 000 places) qui accueillera des matchs de l’Euro 2016 est un stade trois étoiles aux yeux de l’UEFA tout comme le Stade Roi Baudouin ! Il est donc tout à fait possible, contrairement à ce que racontent les décideurs de la Ville, de voir l’actuel Stade Roi Baudouin accueillir l’Euro 2020 moyennant des rénovations moins coûteuses que le scénario construction-démolition.  »

Emmanuel De Bock dénonce le manque de transparence du processus actuel.  » Le gouvernement bruxellois doit être transparent et mettre en ligne toute l’étude Deloitte ainsi que les études de financement des infrastructures d’accès. Il en train de masquer sa participation dans le stade en la noyant dans les budgets Néo de réaménagement du Heysel. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le budget 2014 a vu apparaître pour la première fois un engagement de 60 millions d’euros ainsi que la garantie de tous les emprunts par la Région. Enfin, je dénonce le risque immense de se voir imposer un grand  » troc  » avec la Flandre : l’élargissement du Ring contre le nouveau stade. C’est à se demander si le gouvernement bruxellois ne joue pas contre son camp…  »

 » 300 millions, c’est le coût d’un hôpital  »

Alain Courtois, lui, confirme être favorable à la dynamique globale du projet et coupe l’herbe sous le pied des détracteurs.  » En matière sportive, clame-t-il, l’incurie des pouvoirs publics est préjudiciable depuis toujours et le secteur privé ne fait que suppléer à un manque d’ambition politique typiquement belge. Après le drame du Heysel, en 1985, quand je suis devenu secrétaire général de la Fédération belge de football, je me souviens avoir eu ma première engueulade avec le bourgmestre de Bruxelles Hervé Brouhon parce que j’avais osé dire que le stade du Heysel ne devait pas rester un cimetière. A l’époque déjà, je voulais un nouveau stade. Nous avons finalement obtenu sous Jean-Luc Dehaene un accord minimaliste pour la rénovation du Heysel. Notre idée, pourtant, c’était encore de construire un nouveau stade ! Lors d’une conversation historique au 16, rue de la Loi, Dehaene nous a rétorqué : « On n’a pas les moyens pour ça, c’est quelque chose que je ne saurais pas faire passer au gouvernement. » Et il nous avait demandé de nous débrouiller tout seul, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Ce dossier du stade illustre l’inconsistance de la politique par rapport au sport en Belgique. Dans d’autres pays, construire un stade, ce serait vu comme un symbole pour la nation.  »

 » 300 millions, termine-t-il, c’est le coût d’un hôpital. Or, nous n’en manquons pas. Et le sport est vital pour la santé. Le stade national doit être aussi l’expression de cela. Si en septembre, nous n’aboutissons pas, ce sera la preuve définitive que l’on abandonne toute volonté de mettre notre pays en marche.  »

Par Olivier Mouton

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