Un attentisme de bon aloi ?

Les enquêtes administrative et judiciaire avancent avec une prudence exacerbée. Mais, surtout, les 54 dossiers ont été divisés. Ce qui pose question.

Le 27 juin 2008, l’administrateur de l’ISI Frank Philipsen se rend seul, en voiture, à Bonn, pour y rencontrer Silke Kalisch, patronne de l’administration fiscale allemande. Il reçoit en main propre la liste de 54 résidents belges ayant un compte ou une fondation au Liechtenstein. La transmission des informations se fait en vertu de la directive européenne 77-799-CEE qui implique une assistance mutuelle entre Etats membres en matière d’impôts directs.

De son côté, Olivier Coene, substitut à la section financière du parquet de Bruxelles, introduit une demande de commission rogatoire pour avoir une copie des documents. Les autorités allemandes lui signifient que l’ISI est déjà sur le coup. Il requiert alors la police judiciaire fédérale pour interroger Philipsen. Malgré un étonnant retard à l’allumage (quatre mois entre la révélation du scandale dans les médias et le début des enquêtes), le démarrage est classique et effectué  » dans les règles de l’art « , insistent nos interlocuteurs. Tant à l’administration qu’au parquet, on sait que les contribuables qui placent leurs biens au Liechtenstein ne sont pas des petits épargnants. Ils peuvent se payer les avocats fiscalistes les plus redoutables.

Dès le 29 juin, l’administration centrale de l’ISI lance une pré-enquête : les informations sont disparates et datent de 2002 ( lire p. 40). Ces infos sont jugées intéressantes, mais il faut d’abord les considérer objectivement, notamment examiner si on y trouve des noms déjà repérés dans d’autres enquêtes. Un mois plus tard, les 50 dossiers sont répartis au sein des directions régionales de l’ISI (Bruxelles, Anvers, Gand, Namur), en fonction des lieux de résidence des contribuables listés.

Mais pourquoi séparer les dossiers ?  » Quelque 530 personnes travaillent à l’ISI, dont 30 à la centrale et 500 dans les services extérieurs. Il était donc logique qu’on dispatche les dossiers. Cela ne nous empêche pas de coordonner les enquêtes pour que celles-ci évoluent de la même manière « , justifie Frank Philipsen. C’est ainsi que les notifications d’indices de fraude et les lettres de demande de renseignement aux contribuables ont été expédiées le même jour, fin septembre. Une réunion de coordination est, en effet, prévue toutes les six semaines, sous la houlette de l’administrateur lui-même. Un responsable régional nous a confirmé que cela fonctionnait.

 » Il a fallu choisir entre deux maux « 

Le fisc en est, pour le moment, à la phase de négociation : certains contribuables ont déjà accepté de payer, d’autres ont été absous car, depuis 2002 (date des documents de la LGT), ils avaient rapatrié leurs biens en Belgique lors de la Déclaration libératoire unique (DLU), d’autres, enfin, ne répondent pas ou, sous les conseils de leur avocat, nient, voire se taisent dans toutes les langues, lorsqu’ils sont interrogés par l’ISI.

Côté justice, les choses paraissent plus problématiques. Le parquet financier de Bruxelles, qui reçoit une copie des informations allemandes, décide de répartir immédiatement les cinquante dossiers dans les arrondissements correspondant aux lieux de résidence des contribuables. A l’instar de l’ISI. Sauf que la justice n’est pas une petite administration comme l’ISI et que la coordination des enquêtes sera, ici, quasi nulle.  » Nous n’avions pas vraiment le choix, explique Olivier Coene, substitut au parquet de Bruxelles. Dans les dossiers qui sont au menu de la commission d’enquête parlementaire sur la grande fraude fiscale – KB-Lux, QFIE, Beaulieu -, tout avait été centralisé à Bruxelles. On a vu le résultat. Si nous avions gardé les cinquante dossiers, on nous aurait reproché d’être trop lents. Bien sûr, chaque procureur du roi décide de l’opportunité des poursuites et, donc, la suite donnée aux différents dossiers pourrait ne pas être la même partout. Il a fallu choisir entre deux maux. « 

Six dossiers classés sans suite puis ressuscités

En effet, les six dossiers envoyés au parquet de Nivelles ont été classés sans suite, sans même qu’un enquêteur de la police judiciaire se penche sur leur contenu. Suite à une dénonciation de l’ISI, ces dossiers ont été ressuscités.  » La situation a évolué en raison d’une intervention de l’administration, confirme Bernard Ghoethals, substitut financier à Nivelles. Nous avons classé ces dossiers, au départ, pour des questions de moyens d’enquête. Depuis janvier, nous disposons d’un assistant fiscal. Les six dossiers sont actuellement actifs. « 

A Gand, les enquêtes pénales paraissent avancer normalement. Dans les parquets de Bruxelles et d’Anvers, on se montre attentiste. La légalité des documents fournis par le fisc allemand est controversée ( lire ci-contre). Le discret mais courageux substitut anversois Peter Van Calster, qui s’est déjà plusieurs fois frotté au milieu diamantaire, semble vouloir être sûr de son coup. Des diamantaires d’Anvers figurent dans la liste des cinquante. Van Calster et Coene attendent donc copie officielle du jugement du tribunal allemand de Bochum, qui s’est prononcé sur la validité des documents de la LGT, avant d’aller plus avant.

Dans les milieux de l’enquête, certains regrettent que la justice n’ait pas préféré une opération coup de poing surprise auprès des contribuables concernés. Pour cela, il aurait fallu centraliser les dossiers. C’eût été d’autant plus opportun que les noms de mêmes rabatteurs apparaissent dans plusieurs dossiers. Or c’est un tout autre scénario qui a été envisagé : les perquisitions judiciaires ont été opérées sur consentement. Les contribuables ont pu bien se préparer à la visite des policiers…  » Mais, autrement, pour des perquisitions classiques, il aurait fallu ouvrir une instruction par dossier et nous n’aurions pas la possibilité de classer sans suite les contentieux qui se règlent par ailleurs avec le fisc « , justifie le substitut Coene. Une appréciation qui n’a pas que des adeptes.

Th.D. et Ph.E.

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