Un air de pirates de la finance

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Accusés d’écumer les marchés financiers, les  » hedge funds  » n’ont plus la cote.Les autorités veulent mettre le grappin sur ces  » corsaires  » débridés. Un trio belge qui évolue dans cette galaxie ne se sent pas l’âme de flibustiers.

Panique à bord. De dangereux corsaires continuent impunément d’écumer les marchés financiers à la dérive. Ces individus dépeints comme sans foi ni loi opèrent aux quatre coins du monde, à la tête de flottes battant pavillon  » hedge funds « . Ils actionnent des fonds à effet de levier d’une puissance telle qu’ils auraient mis en danger tous les autres navigateurs de la finance et seraient en bonne partie responsables de leur naufrage. Et pour cause : ces fonds d’investissement n’ont pas d’autre raison d’être que la spéculation. Pas d’autres mobiles que l’appât rapide du gain, la cupidité et la prise immodérée de risques. La seule évocation des  » hedge funds  » sème aujourd’hui l’effroi parmi les économistes, banquiers et gouvernants de la planète, pourtant jusqu’ici plutôt complaisants à leur égard. Tous se disent déterminés à passer à l’abordage. A soumettre ceux que l’économiste en vue Geert Noels qualifie de  » pirates sur l’autoroute de la finance  » (1).

A l’abri dans leur discret repaire situé dans un quartier chic d’Uccle, trois de ces prétendus flibustiers ont plutôt envie de ricaner en écoutant cet impressionnant acte d’accusation. Bienvenue chez HDF Finance Benelux, société spécialisée en gestion alternative. Façon pudique de dire que l’on évolue dans la galaxie des hedge funds. HDF Finance propose aux épargnants belges des fonds qui sont à leur tour investis en hedge funds. Gestionnaire de fonds de fonds ? Aïe, voilà que déjà tout se complique….  » Au contraire, c’est très simple, rétorquent en ch£ur Jean-Paul Gruslin, Philippe Lhoest et Olivier Eyben. Notre job consiste à préserver le capital du client, à gérer le rendement de son investissement. Bref, à gagner de l’argent.  » Ni plus ni moins que les ressorts qui animent tout banquier traditionnel. Toute la différence est dans la manière d’aider ainsi le client à faire fortune. Le filon des hedge funds a séduit ces trois ex-cadres de Fortis et les a décidés à se lancer pleinement dans l’aventure en 2004. Avec la bénédiction de la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA), précisent-ils.  » La gestion alternative est dynamique. On peut y exprimer toute sa créativité sur le terrain financier « , s’enthousiasme Jean-Paul Gruslin. Sans s’embarrasser de toutes les contraintes réglementaires qui n’autorisent pas les institutions bancaires classiques à faire n’importe quoi.

Non à Madoff

L’univers des hedge funds, lui, est largement livré à lui-même. Pour le meilleur et pour le pire.  » Comme partout, on n’y trouve pas que des enfants de ch£ur « , admettent nos trois mousquetaires belges de la finance alternative. Ils en savent quelque chose : dans leur quête inlassable du bon placement à débusquer, ils ont un jour croisé la route d’un certain Madoff. Pour, d’emblée, prendre leurs distances avec l’intrigant Bernie.  » Lors de nos rencontres, il se retranchait derrière le secret commercial pour ne pas dévoiler les mécanismes qu’il mettait en £uvre et que nous ne parvenions pas à comprendre. Ce qu’il proposait nous paraissait trop beau pour être vrai. Donc, trop dangereux « , se souvient Philippe Lhoest. Séparer le bon grain de l’ivraie, flairer le coup foireux : nos briscards de la finance ne se sentent nullement l’âme de flibustiers. Pourquoi, donc, subitement tant de haine à l’égard de leur métier ?  » Il faut toujours trouver un bouc émissaire à une crise. Le hedge fund fait office de mouton noir « , soupire Jean-Paul Gruslin.

Un grossiste des finances

Sur un grand écran se succèdent des graphiques truffés de courbes multicolores, des tas de colonnes chiffrées, des amas de boules. Tout le réseau financier tissé par la succursale belge de HDF Finance s’affiche. Il mène aux quatre coins du monde. Et s’articule sur une myriade de hedge funds eux-mêmes logés dans une gamme de quelque 25 fonds baptisés de noms barbares :  » HDF Global Opportunities « ,  » Xiphias International 1990 « ,  » HDF Optimix 2000 « . On devine que toutes ces boules chatoyantes valent leur pesant de millions, si pas de milliards… Tout l’art consiste à jongler en permanence avec ces masses d’argent, afin d’amplifier leur rendement dans les meilleurs délais. En exploitant systématiquement toutes les opportunités de marché. Moyennant une certaine dose de risque, mais toujours calculé, paraît-il…  » Nous jouons les intermédiaires, à la manière d’un grossiste « , explique Philippe Lhoest. L’£il rivé sur les positions et les faits et gestes de quelque 160  » hedge funds managers  » triés sur le volet et retenus sur une liste de 450 candidats potentiels.  » Ils nous font rapport de leurs activités toutes les semaines. Et ceux qui ne filent pas droit sont éjectés.  » Car toute erreur d’appréciation se paie cash. On devine le but du jeu, mais on peine à en saisir toutes les règles. A identifier la nature et le parcours de ces pactoles qui se baladent aux quatre coins du monde. Non sans des détours réguliers par des paradis fiscaux. C’est que les hedge funds sont une grande famille. Il y a les  » Equity « , cantonnés dans l’achat et la vente d’actions. Les  » Global macro « , qui  » font un peu de tout « .  » Les Event drivers « , qui cherchent à tirer profit d’événements spéciaux. Le brasseur belgo-brésilien InBev se met-il en tête de racheter le géant US Anheuser Bush ? Branle-bas de combat ! Flairant la bonne affaire, le hedge fund manager avisé vendra les titres du prédateur pour acheter des actions de celui qui va être mangé. En empruntant des voies moins orthodoxes qu’un banquier normal.

Toute une bande de vilains spéculateurs (une galaxie de 9 000 gestionnaires) s’agiterait ainsi sur les marchés financiers.  » Assez d’hypocrisie ! Dès que vous prenez un risque, vous spéculez. Si spéculer, c’est essayer de gagner de l’argent, alors oui, on spécule « , rétorque l’équipe de HDF Finance. Qu’on se le tienne pour dit : derrière le mot  » hedge  » ne se cacherait pas une volonté dévoyée de spéculer, mais un désir louable de… protéger.  » La gestion alternative, c’est la F1 de la finance !  » s’enflamme Jean-Paul Gruslin, 49 ans, flanqué de ses deux associés quadragénaires. Ce bolide financier atteint des vitesses telles qu’il va jusqu’à procéder à des ventes à découvert de titres qu’il ne possède pas mais qu’il emprunte. Gare à l’embardée financière…

Les autorités financières et politiques sont décidées à mettre un frein à des comportements parfois dignes de chauffards.  » Un cadre réglementaire aurait le mérite d’officialiser les hedge funds et de les sortir d’une certaine  »clandestinité  ». Mais pour autant que la liberté de gestion ne soit pas entravée.  » Cette façon de voir les choses aurait pu utilement enrichir la réflexion des parlementaires qui viennent de plancher, au sein d’une commission spéciale, sur les mécanismes de la crise financière. Encore aurait-il fallu que ces spécialistes en  » hedge funds  » soient invités à s’y exprimer.  » On ne nous a rien demandé.  » Le trio ne s’en plaint pas trop. Pour vivre heureux, autant vivre caché.

(1) Econochoc, Geert Noels, L’Echo-Anthemis.

Pierre Havaux

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