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Présidentielle américaine: Donald Trump peut-il encore gagner ? (analyse)

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

La gestion trumpienne de la crise sanitaire, erratique, et la dégringolade de l’économie américaine ont écorné l’image du président dans son électorat cible. Sa réélection semble compromise, vu la nette avance de Joe Biden dans les sondages. Mais tout n’est pas joué.

Joe Biden deviendra-t-il, le 20 janvier prochain, le 46e président des Etats-Unis ? La course à la Maison-Blanche va-t-elle se poursuivre sans grand suspense, d’ici aux élections du 3 novembre ? Encore considéré comme quasiment imbattable en début d’année, Donald Trump, englué dans la crise sanitaire, se retrouve distancé par son adversaire démocrate dans tous les sondages. Depuis juin, Biden devance le président sortant de 8 à 10 points au niveau national. Au cours de ces quatre dernières décennies, tous les candidats ayant un avantage aussi net au même stade l’ont emporté dans les urnes, à une exception près : celle du démocrate Michael Dukakis, finalement battu par George Bush père en 1988. Surtout, dans les swing states, ces Etats clés où le vote fluctue d’une élection à l’autre et remportés par Trump en 2016 (Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin, Floride…), le candidat républicain est distancé par son rival.

La réélection de Trump est aussi hypothéquée par la dégringolade de l’économie, qui a perdu un tiers de sa valeur au second trimestre.

Donald Trump est critiqué de toutes parts pour ses atermoiements face au coronavirus, surtout depuis que les cas de contamination et de décès sont repartis à la hausse. Les deux principaux piliers de l’électorat du président s’en trouvent fragilisés : les Blancs et les électeurs âgés de plus de 65 ans, les plus exposés au virus. Sur les questions liées à la crise sanitaire, Joe Biden est jugé plus digne de confiance que le locataire de la Maison-Blanche. L’ex-bras droit de Barack Obama l’emporte aussi sur des sujets non liés à la pandémie : les sondés le disent  » plus compétent  » pour apaiser les tensions raciales.  » Sondages bidons « , a commenté Trump.

Virage sur la crise sanitaire

Il n’empêche : le milliardaire redoute désormais une humiliante défaite. Elle ferait de lui le premier président américain d’un seul mandat depuis George Bush senior, battu par le démocrate Bill Clinton lors de la présidentielle de 1992. Une certaine nervosité est d’ailleurs apparue dans le camp Trump après le meeting raté de Tulsa, dans l’Oklahoma, dont on retiendra les images de centaines de rangées de sièges vides. Conséquence du flop : l’éviction de son directeur de campagne. Dans la foulée, Trump a opéré un virage stratégique radical sur le Covid-19 : il préconise désormais le port du masque, qualifié de geste  » patriotique « , alors qu’il refusait jusqu’ici de le porter publiquement. Il reconnaît aussi, après des semaines de déni, que la situation sanitaire va  » empirer avant de s’améliorer « . Mais la réélection de Trump est aussi hypothéquée par la dégringolade de l’économie, qui a perdu un tiers de sa valeur au second trimestre. La reprise, timide, est freinée par la persistance de l’épidémie dans le sud et l’ouest des Etats-Unis. Près de 30 millions d’Américains dépendent aujourd’hui d’un dispositif d’aide sociale. Le taux de chômage atteint 10,2 % en juillet, très loin des 3,5 % d’avant la crise.

Le camp républicain, qui pressent une probable défaite de son candidat, commence à focaliser son attention sur l’autre enjeu majeur des élections : le Sénat. L’avance du  » Grand Old Party  » n’y est que de quatre sièges. Or, dans plusieurs Etats (Arizona, Colorado, Maine, Montana, Iowa…), les sièges conservateurs sont en danger. Les sénateurs républicains pâtissent de la chute de popularité de Trump et recourent à des attitudes d’équilibristes pour s’en désolidariser.

Les chances d’un renversement de majorité sont donc bien réelles. Si, en plus de la victoire de Biden, le Sénat bascule dans le camp démocrate, on assisterait à ce que craignent par-dessus tout les républicains : un contrôle total de l’appareil exécutif et législatif par la  » gauche « .

 » La loi et l’ordre  »

Face à la crise, Trump a choisi son camp : son message est celui de  » la loi et l’ordre « . Son administration pointe une hausse significative des taux d’homicides ces derniers mois à New York, Chicago, Cleveland, Detroit, Milwaukee… Des agents fédéraux ont été déployés dans les villes confrontées à des flambées de violence. Mais la répression récente menée par ces troupes à Portland (Oregon), où se rassemblaient des manifestants qui réclamaient la justice sociale et la fin des discriminations raciales, a soulevé une vague d’indignation et inquiété les maires démocrates d’autres grandes villes, opposés à l’intervention de ces forces. Portland, la plus blanche des grandes villes américaines (77,1 % de Blancs, 5,8 % de Noirs), est décrite par Trump comme un bastion incontrôlable d' » anarchistes  » et d' » agitateurs « , une  » ruche de terroristes  » !

Alors que la crise sanitaire et les émeutes occupent le devant de la scène, le président n’a pas proposé de programme clair et vendeur en vue d’un second mandat. Les procédures de votes anticipés, qui commencent dans certains Etats dès le début septembre, lui seront défavorables, estiment les analystes, qui ne voient pas Trump capable de combler son retard. Il n’y aura très probablement aucun rassemblement de masse dans le cadre de la campagne électorale, ce qui dessert le candidat républicain, qui a pour habitude de jouer sur son magnétisme pour électriser les foules. Joe Biden, lui, a déjà prévenu qu’il n’irait pas en personne accepter sa désignation par le Parti démocrate à la convention de Milwaukee (17 au 20 août), et cela  » afin de protéger la santé publique « . Le maître mot des démocrates, en ces temps de coronavirus, est  » prudence « .

Le 25 juillet dernier, à New York, 200 personnes dénonçaient les violences menées par la police lors d'une manifestation contre le racisme à Portland.
Le 25 juillet dernier, à New York, 200 personnes dénonçaient les violences menées par la police lors d’une manifestation contre le racisme à Portland.© GETTY IMAGES

La stratégie du chaos

En revanche, les trois débats télévisés de nonante minutes entre les deux candidats auront bien lieu. Le premier duel Trump-Biden est prévu le 29 septembre à Cleveland, dans l’Ohio. La commission chargée d’organiser ces débats électoraux a rejeté la requête de l’équipe de campagne de Trump, qui souhaitait un débat télévisé supplémentaire avec Biden plus tôt, espérant inverser ainsi la tendance avant que ne soient envoyés les premiers bulletins par correspondance. Il a aussi propagé dans un tweet l’idée que l’élection de 2020 serait  » la plus inexacte et frauduleuse de l’histoire  » en raison, selon lui, du recours massif au vote par correspondance pour cause de pandémie. Il a donc suggéré de reporter le scrutin jusqu’à ce que les citoyens puissent voter  » en toute sécurité « . Les constitutionnalistes lui ont rappelé que la date des élections est une prérogative du Congrès, et Trump n’a fourni aucun début de preuve que le vote par correspondance serait source de fraudes. Mais la stratégie du chaos qu’il semble avoir adoptée pourrait conduire à des recours multiples pour de prétendues fraudes.

Un retournement de l’opinion en faveur de Trump n’est pas exclu. Ce n’est pas Hillary Clinton qui dira le contraire.

Nous n’en sommes pas là. Pour l’heure, le président en exercice détient d’autres atouts dans son jeu. Les comités du Parti républicain et lui-même disposent d’un budget de plus d’un milliard de dollars pour la campagne, tandis que Joe Biden doit se contenter de quelque 650 millions. Trump espère aussi tirer un bénéfice électoral du nouveau plan d’aide aux Américains en difficulté, qu’il vient de décider unilatéralement par décret, après deux semaines de discussions infructueuses avec les élus démocrates. Par ailleurs, par ses gaffes à répétition et ses déclarations à l’emporte-pièce, Joe Biden prête le flanc aux attaques féroces de son adversaire. Ses propos controversés sur les Afro-Américains, un électorat clé pour tout candidat démocrate, ont à plusieurs reprises inquiété son propre camp. La semaine dernière encore, Biden a été contraint à un rétropédalage après avoir estimé, en substance, que la communauté afro-américaine manquait de  » diversité  » par rapport à celle des Hispaniques. Trump a aussitôt affirmé que Biden venait de  » perdre le vote noir « . De même, les doutes sur la forme physique du candidat de 77 ans servent le président sortant, qui surnomme à l’envi Biden  » Joe l’endormi « , et met en doute sa santé mentale. Les partisans du vétéran de la politique américaine répliquent que ses dérapages et autres bourdes sont le reflet de son  » authenticité « .

Le vote des jeunes et des progressistes

Au sein de l’électorat démocrate, la candidature de Joe Biden ne suscite pas l’enthousiasme qui avait fait triompher Barack Obama en novembre 2008. Si la popularité de Biden auprès des jeunes s’améliore avec l’activisme né des manifestations contre le racisme et les violences policières, beaucoup hésitent encore à se rendre aux urnes. De même, les électeurs qui ont soutenu pendant les primaires les candidats progressistes Bernie Sanders et Elizabeth Warren ne cachent pas leur scepticisme à l’égard d’un candidat démocrate très centriste, même si Biden a  » gauchi  » son programme sur l’environnement.

Plus délicat : Biden est visé par une plainte pour gestes sexuels non consentis, déposée par une ancienne assistante au Sénat, Tara Reade. Ces allégations portent sur des faits survenus en 1993. Sept autres femmes se disent victimes d’attouchements non désirés de sa part dans les années 1990. Autres  » casseroles «  : les affaires de plagiat. Le plan de lutte de Biden contre le changement climatique, présenté en juin 2019, contenait des passages non sourcés, empruntés à des organisations diverses. Il a plaidé l’erreur, mais s’est attiré les moqueries de Trump. Lors de sa première candidature à la Maison-Blanche, en 1988, le sénateur du Delaware avait repris, sans citer l’auteur, des extraits d’un discours de Neil Kinnock, président du Parti travailliste britannique.

Le lobby des armes

Autre avantage pour Trump : il peut compter plus que jamais sur le soutien du lobby des armes, au moment où la procureure de New York, Letitia James, exige la dissolution de la puissante National Rifle Association (NRA), forte de cinq millions de membres. Elle a lancé des poursuites pour fraudes et escroqueries. L’association crie au complot politique de la part d’une procureure démocrate et Trump exploite l’affaire : il prétend que si Biden devient président, il s’attaquera au second amendement, qui garantit le droit de posséder des armes. De même, un brusque durcissement des relations avec Pékin, déjà mises à rude épreuve par le Covid-19, pourrait servir électoralement le candidat républicain, alors que la bataille commerciale et technologique sino-américaine reste intense. Un retournement de l’opinion en faveur de Trump n’est donc pas exclu. Ce n’est pas Hillary Clinton, donnée gagnante par toutes les projections face à Donald Trump lors des élections présidentielles de 2016, qui dira le contraire.

Par Olivier Rogeau avec Maxence Dozin, correspondant Aux États-Unis

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