« Trop tard pour boycotter, pas pour poursuivre la Fifa »

Amnesty International a demandé à la Fédération internationale de football de « se montrer à la hauteur de ses responsabilités, afin de prévenir, limiter et corriger les risques en matière de droits humains liés » au Mondial 2022. Pour son directeur en Belgique, Philippe Hensmans, les pressions auraient plus d’impact si elles intervenaient au moment de l’attribution de l’organisation de la Coupe du monde à un pays.

La Coupe du monde 2022 est celle de la honte, d’ores et déjà?

Oui, comme celle en Argentine, sous la dictature militaire, en 1978, et la dernière en date, en 2018, en Russie. Le constat pour la prochaine n’est pas neuf: notre premier rapport sur la situation des droits de l’homme au Qatar date de 2013.Depuis, il y a eu des avancées, au niveau légal: le Qatar a passé un accord avec l’Organisation mondiale du travail et a aboli une partie du système de la kafala, qui fait du travailleur la propriété de son employeur. Mais les lois ne sont pas forcément appliquées et l’inspection du travail est insuffisante. Il a fallu un rapport d’Amnesty pour qu’une centaine de travailleurs sur les stades, qui n’étaient plus payés depuis sept mois, le soient enfin. Les syndicats restent interdits, donc impossible pour les travailleurs de s’organiser, de se protéger, d’améliorer les conditions de travail, l’hébergement. Et le conseil consultatif qatari propose un retour en arrière, en renouant avec le non-respect des droits des travailleurs, à 95% immigrés. Le risque est grand que les progrès, petits mais réels, soient abandonnés dès la Coupe du monde terminée. Voire avant.

Les joueurs ont compris qu’ils allaient jouer au Qatar sur des cadavres.

Un événement sportif a-t-il déjà contribué à la démocratisation du pays hôte?

Non, il suffit de voir ce que la Chine fait à Hong Kong, où tous les opposants sont en prison, alors que les JO à Pékin remontent à 2008. Ces pays-là ont une capacité de gestion de ce genre de manifestations qui empêche la démocratisation par ces événements. Mais leur caractère antidémocratique est mis en lumière. Le travail des ONG, des organisations syndicales internationales, des médias, fait que la Coupe du monde ne sert pas qu’à améliorer l’image de marque du Qatar. En attendant, ça ne justifie pas les milliers de morts ni les conditions d’esclavage dans lesquelles se trouvent des milliers d’autres.

La Fifa, plusieurs fédérations nationales, et le sélectionneur des Diables Rouges rétorquent que leur rôle n’est pas de changer le monde. Qu’en pensez-vous?

Ce n’est pas vrai. Le principe des Nations unies sur la vigilance nécessaire concerne aussi la Fifa, tenue comme n’importe quelle entreprise de vérifier tout au long de ses activités si les droits humains sont respectés. En théorie, elle pourrait être poursuivie devant un tribunal international, pour complicité ou suscitation de violations de droits humains. De la même manière que Shell a été condamnée aux Pays-Bas, fin janvier dernier, pour des pipelines qui fuyaient au Nigeria. S’il n’y avait pas eu l’attribution de la Coupe du monde au Qatar, on n’y aurait pas construit des stades et des infrastructures parallèles. Et il n’y aurait pas eu ces morts. Indirectement, la Fifa est responsable.

Faut-il boycotter cette Coupe du monde?

C’est une arme, l’autre étant l’attaque de l’image de marque. L’ article du Guardian a porté un coup très rude au Qatar, qu’on associe désormais à 6 750 travailleurs morts sur les chantiers. Le boycott est plus définitif mais, vu les enjeux financiers et sportifs, je ne crois pas qu’il soit pensable. C’est trop tard aussi. En revanche, s’il y a suffisamment de pressions au moment de l’attribution du Mondial, si un nombre suffisant de nations annoncent que ce sera sans elles si la Coupe du monde est organisée dans tel pays, ça a un impact maximum.

Est-ce alors aux fédérations nationales à faire pression sur la Fifa?

Oui. On a travaillé avec la fédération belge, qui est intervenue auprès de la Fifa, qui s’est bougée, même si le message des Diables Rouges (« Le football soutient le changement »), le 30 mars, ne valait pas celui des Norvégiens, une semaine plus tôt (« Droits de l’homme, sur et en dehors du terrain »). Mais il y a eu une prise de position. Les joueurs ont compris qu’ils allaient jouer au Qatar sur des cadavres.

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