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Trop nombreux, trop chers: à qui profitent les tests PCR? Comment sortir de ce casse-tête? (enquête)

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Qui tester, quand, comment, pourquoi? Et à quel prix? Avec la flambée de nouveaux cas de contamination et la multiplication des cas contacts, le nombre de tests atteint des records, risquant une saturation du système. Face à la contagiosité d’Omicron, l’espoir de briser totalement la circulation du virus semble irréaliste. En 2021, niveau coût, on dépasse déjà le milliard.

Belote et rebelote. On change tout ou, plutôt, on recommence. Comme au début de l’épidémie, en mars 2020, ou à l’automne de la même année, les critères de dépistage sont sévèrement resserrés: en gros, depuis le 10 janvier, la règle, c’est « pas de symptômes, pas de test », sauf pour les personnes qui reviennent d’une zone rouge et celles qui souhaitent entrer sur le territoire belge.

L’ obstacle, cette fois, n’est ni le manque de réactifs ni le manque de matériel – aujourd’hui, la capacité de testing s’élève à plus de 100 000 tests quotidiens -, mais un « système qui risquait de péter » face au variant, selon les mots d’Alin Derom, médecin bio- logiste et président de la Commission de biologie clinique. Les contaminations continuent de grimper de façon « fulgurante », d’après Steven Van Gucht, virologue et porte-parole interfédéral de Sciensano. « Nous sommes en pleine cinquième vague », résumait l’expert lors de sa conférence de presse du 6 janvier. Soit un doublement des nouveaux cas chaque semaine, qui, lui-même, entraîne une flambée de cas contacts à haut risque. Au vu de cette donnée épidémiologique, les services de testing, puis de tracing, auraient très vite été saturés, au plus tard dès la mi-janvier. « Nos labos n’auraient pas pu tenir les délais et auraient délivré des résultats trop tardifs. Cela ne sert à rien de dire à quelqu’un qu’il est positif une semaine après son prélèvement« , avance Alin Derom.

Ce dépistage ciblé, est-ce finalement la bonne stratégie? Selon les experts interrogés, pour édifier un plan efficace, les deux questions à se poser sont les suivantes. Un: que veut-on faire? Deux: que peut-on faire? Là, il s’agit, depuis le début de la pandémie, de ne pas saturer les services hospitaliers et de leur permettre de gérer un nombre de patients nécessitant des soins réguliers, hors Sars-CoV-2. Ensuite, il s’agit de tester selon les capacités. C’est bien l’idée, à présent: tester moins et non plus tous azimuts.

Les mêmes scientifiques s’appuient également sur les outils de prévention désormais à disposition: la vaccination, son « booster », l’immunité acquise par infection, bientôt la mise au point de traitements destinés aux adultes susceptibles de développer des formes graves du virus et, enfin, sur des données qui montreraient qu’a priori, Omicron serait plus « sage ». Selon Sciensano, face au variant, il y aurait 50% à 75% moins de risque de présenter une forme grave ; les « boostés », eux, voient ce moindre risque grimper à 88%. « Il n’y a alors plus besoin de tester tout le monde », poursuit le médecin biologiste. Ces propos confirment, en tout cas, le choix de l’exécutif: vivre avec Omicron, quitte à le laisser se propager. Car, si sa contagiosité affole, sa moindre sévérité permet de penser qu’une telle option est devenue possible.

Des forfaits surévalués?

« Effectuer moins de tests et délivrer des résultats plus rapidement reste donc la meilleure chose à faire, du point de vue médical comme du point de vue de la dépense publique », résume Alin Derom. Même si l’élément économique n’aurait pas pesé dans l’adaptation de la politique de dépistage, le coût s’envole toujours plus et dépasse déjà le milliard d’euros en 2021.

En novembre dernier, la secrétaire d’Etat au Budget, Eva De Bleeker (Open VLD), a donné un aperçu des montants supportés par le fédéral pour les tests de détection de la Covid-19. Ainsi, sur la base des chiffres de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami), pour l’année 2021, le montant global des mesures pour lutter contre la pandémie grimpe à 1,512 milliard d’euros. De ce montant, « la part pour les tests » s’élève « à un total de 737 millions d’euros », dont majoritairement des PCR, à hauteur de 713,6 millions d’euros.

L’Inami rembourse tout ou une partie, en fonction du type de test et de conditions à respecter. Pour un test PCR, le remboursement aux laboratoires de biologie était de 47,18 euros, puis, à partir du 1er mai 2021, de 40,44 euros – indexés depuis le 1er janvier d’une trentaine de centimes. Du côté des laboratoires de la plateforme créée par le fédéral en collaboration avec des universités et des hôpitaux, ils facturent à l’assurance maladie 29,96 euros, puisqu’ils peuvent utiliser gratuitement des appareils, des équipements et des réactifs mis à leur disposition par les pouvoirs publics.

Trop nombreux, trop chers: à qui profitent les tests PCR? Comment sortir de ce casse-tête? (enquête)

Sur la seule semaine du 31 décembre au 6 janvier, quelque 455 900 tests – dont presque 90 000 pour les seuls 4 et 5 janvier – ont été effectués en Belgique. A raison de 40,44 euros (ou même de 29,96 euros) remboursés par test, la note s’avère très salée pour l’Inami. Ces 40,44 euros couvrent le test lui-même, le travail du technicien et du biologiste, les frais de transport ainsi que l’équipement et le réactif achetés par les labos – sauf pour ceux de la plateforme fédérale. Ce montant a été fixé, en 2020, par l’Inami, en accord avec les mutualités et les laboratoires. Sur quelle base? On l’ignore, d’autant qu’avant la Covid, il n’existait pas en Belgique une pratique de remboursement de tests moléculaires, à l’exception de ceux, classiques, destinés à diagnostiquer l’hépatite ou l’herpès. A titre d’exemple, en France, le tarif (près de 74 euros) a été déterminé par analogie avec l’acte de détection de l’ARN du virus Zika, pour lequel les biologistes utilisent le même test et la même technique.

Sur la seule semaine du 31 décembre au 6 janvier, quelque 455 900 tests ont été effectués en Belgique.
Sur la seule semaine du 31 décembre au 6 janvier, quelque 455 900 tests ont été effectués en Belgique.© belga image

Ces forfaits seraient-ils surévalués? Au départ, ils devaient surtout permettre aux laboratoires de développer rapidement un vaste dépistage à un moment où les tests n’étaient pas pratiqués hors des labos de pointe. Une baisse de prix a été décidée en mai dernier sur les PCR, pour tenir compte « notamment du coût de l’opération de réalisation, ainsi que des matières premières nécessaires à celle-ci », explique l’Inami, qui estime que le coût de revient pourrait encore évoluer. Selon le président de la commission de biologie clinique, il n’est pourtant pas évident de réaliser correctement le calcul. Il rappelle qu’à l’été 2020, la Belgique était mal équipée. Par comparaison, en juin 2020, sa capacité de testing s’élevait à 18 000 tests Sars-CoV-2 quotidiens. « L’ Allemagne, par exemple, avait déjà des grandes plateformes de biologie moléculaire, pas nous. Les laboratoires ont dû investir dans l’achat de machines dédiées, qui coûtent entre 50 000 et 200 000 euros pièce et dont ils ne se resserviront peut-être jamais une fois la pandémie terminée », commente-t-il, en rappelant que les tests PCR sont très coûteux en réactifs et en ressources humaines car ils nécessitent beaucoup de manipulations. En chiffres, cela représente également quelques huit cents techniciens supplémentaires embauchés et formés.

De 1 000 tests par jour à 18 000

De l’autre côté, celui des bénéfices, le Sars-CoV-2 fait-il la fortune des laboratoires d’analyse médicale? Depuis le début de la pandémie, les volumes de tests ont explosé, si on les compare à la moyenne hebdomadaire observée en 2018 et en 2019, dopés quasi exclusivement par l’activité de dépistage de la Covid-19. Une croissance exceptionnelle: ils sont passés de 1 000 tests quotidiens à 18 000 par jour. En parallèle, il est vrai, les labos ont dû s’équiper vite, en masques, blouses, machines de tests PCR, réactifs… Et se réorganiser complètement pour faire face à l’afflux, avec la mise en place d’horaires de travail 3 x 8 sur les plateaux techniques pour faire tourner les machines en permanence.

Un an et demi plus tard, le pari semble payer. Si la marge réalisée sur les tests a baissé, les volumes sont tels qu’ils ont permis à des laboratoires de rentabiliser leurs investissements, et même d’engranger des profits. Chez Synlab, premier réseau de laboratoires privés en Wallonie et à Bruxelles, le chiffre d’affaires a ainsi augmenté de quarante-deux millions d’euros, avec un bénéfice de quinze millions d’euros. L’ année 2021 devrait s’achever sur un bilan tout aussi positif. « Les laboratoires qui s’en sortiront le mieux seront sans doute les plus gros, qui ont des commandes importantes et réalisent des tests en série, sur des machines à forte capacité », nuance un responsable d’un petit laboratoire, qui juge que les prix, surévalués, ne sont pas adaptés pour les entreprises les mieux équipées.

Les tests antigéniques rapides en pharmacie offrent une alternative moins coûteuse mais ils sont peu utilisés en Belgique car
Les tests antigéniques rapides en pharmacie offrent une alternative moins coûteuse mais ils sont peu utilisés en Belgique car « pas assez performants » au sein d’une population hautement vaccinée.© belga image

Cette euphorie devrait d’ailleurs s’atténuer. Les tests de « confort » ne sont déjà plus remboursés et, depuis le 10 janvier, les personnes qui ont eu un contact à haut risque avec un cas positif ne peuvent plus se soumettre à un PCR. Le nombre de tests pourrait donc très fortement chuter. Une façon, aussi, de limiter la facture. Alin Derom va plus loin, rejoint en off par d’autres experts. Il estime que « les personnes non vaccinées ne devraient plus avoir accès à un remboursement. Elles ont eu l’occasion de se faire vacciner gratuitement. C’est une question de solidarité et il faut l’être également dans la prévention ».

Une fois la pandémie terminée, les laboratoires, eux, espèrent capitaliser sur leurs nouvelles machines pour dynamiser leur activité. Comme pour l’ARN messager, la crise a permis de donner un formidable essor à la biologie moléculaire. De nouveaux tests PCR, pour diagnostiquer rapidement d’autres virus, ont été mis sur le marché, qui pourraient être réalisés dans les laboratoires. Cela permettrait, notamment, aux patients d’obtenir des résultats d’examens plus rapides, et plus fiables, qu’avec les méthodes traditionnelles. Encore faut-il que la sécurité sociale accepte de les rembourser…

Aujourd’hui, les tests antigéniques rapides offrent une alternative moins coûteuse. Si le prélèvement s’effectue de la même manière (par voie nasopharyngée), c’est un test rapide et l’analyse ne doit pas être effectuée en labo. Ils continuent d’être remboursés pour les symptomatiques, à hauteur de 16,85 euros. Ils sont surtout utilisés en pharmacie, et très peu en Belgique. C’est que, notamment, au sein d’une population hautement vaccinée, ayant acquis une immunité, « ils ne sont pas assez performants pour donner des indications fiables, note Yves Van Laethem, porte-parole interfédéral et infectiologue au CHU Saint-Pierre. Cela laisse trop de trous dans la cotte de mailles. »

Autonomes, pas forcément responsables

Moins de tests PCR, pas trop d’antigéniques, mais beaucoup, beaucoup plus d’autotests. En décembre, les pharmacies ont vendu près de 400 000 autotests. Un record, qui ne comptabilise pas ceux vendus en supermarché. Un acte encouragé par une partie des scientifiques et par l’exécutif fédéral, qui, lui, mise sur la responsabilité individuelle. Celle du citoyen, évidemment, qui supporte désormais le coût des autotests, allant de 3,5 euros à 5 euros l’unité, auquel s’ajoute celui des masques et des gels.

Une stratégie qui, ici, ne fait pas l’unanimité auprès des experts. D’abord, en ce qui concerne la fiabilité de l’autotest. Il reste moins sensible au variant Omicron, même en présence d’une charge virale élevée. En début de contamination, il loupe le coche une fois sur deux, selon une étude de la KULeuven, datée de décembre. L’un des écueils est de se faire dépister au bon moment. Et un résultat négatif ne signifie pas que l’individu ne soit pas porteur du virus. En effet, les « faux négatifs » ne sont pas rares, parfois jusqu’à 30%. Chez les asymptomatiques, la sensibilité tombe à 50%: dans cette population, il y a une chance sur deux pour que le résultat soit un faux négatif. Enfin, la sensibilité des autotests, c’est-à-dire leur capacité de détection de personnes contaminées, varie selon les produits.

Un problème déjà évoqué par l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS). Pour être mis sur le marché, ces tests doivent avoir une sensibilité minimale de 80% en prenant comme valeur de référence les tests PCR. Ce critère de sensibilité, rempli par la centaine de tests commercialisés en Belgique, se base sur les données du fabricant, dans des conditions d’études idéales. Mais dans des situations réelles, plusieurs publications montrent que leur sensibilité est beaucoup plus limitée (1). Et d’autres facteurs influent sur la fiabilité des autotests. A effectuer sans l’aide de professionnels, l’individu doit enfoncer l’écouvillon assez profondément et le prélèvement doit durer environ cinq secondes.

Trop nombreux, trop chers: à qui profitent les tests PCR? Comment sortir de ce casse-tête? (enquête)
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D’où cette inquiétude, pointée notamment par Emmanuel André, microbiologiste à la KULeuven: « Cette stratégie, qui peut avoir du sens pour soulager le système sanitaire et socio-économique, est toutefois hasardeuse parce qu’il n’existe pas d’argument scientifique pour justifier une réduction de quarantaine chez les personnes vaccinées. Par ailleurs, le monitoring de l’épidémie, par le testing et le tracing, s’en retrouve affaibli. » Car, à l’inverse des tests PCR et antigéniques, les autotests échappent aux statistiques, puisqu’ils ne sont pas encodés dans la base de données de Sciensano. Sans ces données, il n’y a plus de visibilité, plus d’anticipation possible. Ce « trou dans la raquette » n’inquiète pas tous les experts pour autant. Pour Alin Derom, l’usage renforcé des autotests pour les cas contacts pourra en effet désengorger les laboratoires et les médecins généralistes. Mais, étant donné leur sensibilité beaucoup moins élevée, les autotests présentent une utilité psychologique. « C’est surtout une manière de se rassurer, de se dire qu’on fait quelque chose. »

Faire quelque chose, être autonome, mais pas forcément responsable. Personne, en effet, ne contrôle le résultat d’un autotest. « Certains auront du mal à s’isoler ou prendront des demi-mesures qui n’auront que des demi-effets sur la circulation du virus », juge Marc Van Ranst, virologue à la KULeuven, pour qui, idéalement, il faudrait que les cas contacts à haut risque se considèrent comme potentiellement infectés et appliquent des gestes barrières plus forts, comme porter un masque FFP2 .

Tout l’enjeu est là: un pari d’autonomie, revendiqué par le gouvernement. A lui de définir la politique sanitaire et d’aider à sa mise en place, et à la population de se responsabiliser davantage en adaptant son comportement: vaccination, gestes barrières et tests. Soit vivre avec Omicron.

(1)Sciensano et le laboratoire de la KULeuven viennent d’être chargés d’évaluer les tests en circulation en Belgique.

Chiffres

  • 22 818 684 tests effectués par tous les laboratoires cliniques depuis début mars 2020.
  • 3 356 953 tests réalisés par la plateforme fédérale depuis avril 2020.
  • 1 871 983 tests antigéniques pratiqués hors laboratoire, soit dans les pharmacies, par les médecins généralistes et dans le cadre d’événements.

Par comparaison, le coût par personne vaccinée est de:

  • 9,66 euros en Flandre.
  • 13,71 euros à Bruxelles.
  • 22,42 euros en Wallonie.

La différence s’explique par une rémunération plus élevée du personnel soignant en Wallonie et à Bruxelles.

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