Sur la jetée de Brighton. Comment s'arranger avec son destin? © GETTY IMAGES

Trompe le monde

Avec une rare élégance, le Britannique Graham Swift signe une grande illusion sur le pouvoir de la littérature et les entrelacs du destin.

« Wake up, wake up, you sleepy head! » (« Réveille-toi, paresseux, réveille-toi! ») Le spectacle va commencer. 1959, cet été-là, sur la jetée de Brighton, les vacanciers se déplacent spécialement pour les voir, assister à leur numéro de magie… Vrai couple à la ville, Ronnie et Elvie se sont hissés en haut de l’affiche du spectacle de variétés. Dans la coulisse, Monsieur Un-clin-d’oeil-et-tout-s’arrange, l’ Amuseur- chéri- de-ces-dames, Jack, le maître de cérémonie, n’en perd pas une miette. Il y avait bien quelque chose entre eux, Jack et le couple, trio bancal… Si tout allait bien, Ronnie et Elvie se marieraient en septembre après la dernière du spectacle. Mais les vedettes ne réapparurent plus jamais sur scène. Ronnie ne réapparut même plus du tout. Lorsque la police lui signifia qu’elle était libre de quitter Brighton, Evie se rendit à l’extrémité de la jetée, enleva la bague et la lança dans la mer. « Nul ne devait s’apercevoir de rien, nul ne devait rien savoir. »

Le Grand Jeu, par Graham Swift, traduit de l'anglais par Frances Camus-Pichon, Gallimard, 192 p.
Le Grand Jeu, par Graham Swift, traduit de l’anglais par Frances Camus-Pichon, Gallimard, 192 p.

Un tour de prestidigitation

Avec un art consommé de bonimenteur – « Je vous demande un peu, les amis, je vous demande un peu » – ce ton « à l’ancienne » ébouriffant le plaisir du langage, Graham Swift fait virevolter l’écriture en un numéro de charme, voire, bon sang mais c’est bien sûr, un tour de prestidigitation. Rivalités entres amis, trio amoureux, jeux temporels, on pense à The Prestige, film de Christophe Nolan (d’après le roman de Christopher Priest), où deux magiciens britanniques de la fin du XIXe siècle se livrent une rivalité sans merci. Apparitions, escamotages, double fond, ici aussi la voix off nous entraîne dès l’entame dans les coulisses, là où tout se joue, comme par magie. Virevoltant d’un personnage à l’autre, enrobant un numéro de bonneteau avec les poupées gigognes des flash-back, Swift ( Le Dimanche des mères) décortique le démon de la scène, ingrat et magique, en un tour de force esthétique. Le moment viendrait, un silence, un frisson, où le tour cesserait d’être un tour. Tout le reste n’avait été qu’avant-goût. Comment chacun s’arrange avec son destin? C’est le fameux final, le piment de l’existence. « Que le monde réel aille se faire foutre! Qui a besoin de lui? »

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