Trois nuits à se blottir

Un vieux qui pionce (sagement ?) auprès de corps tendres : le roman de Kawabata, Les Belles Endormies, inspire au compositeur avant-gardiste Kris Defoort une nouvelle ouvre lyrique énigmatique.

Dans une maison close, perdue quelque part au Japon, la règle vaut pour tous les clients : dans chaque chambre, il est permis de dévorer des yeux, uniquement, les jeunes filles engourdies par des somnifères. Mais pas touche ! Eguchi, 67 ans, résiste vaillamment, le premier soir, aux contorsions envoûtantes d’une adorable assoupie. Peu à peu, cependant, un désir antédiluvien lui revient. Plonge-t-il les doigts dans certains orifices de la jeune personne ? Ou en rêve-t-il seulement ? Inutile de chercher une réponse : House of the Sleeping Beauties, le deuxième opéra du compositeur flamand Kris Defoort, cultive cette ambiguïté avec obsession. Conforme au roman de Yasunari Kawabata – assez explicite, lui, quant aux tripotages du papy libidineux -, le livret, coécrit avec Guy Cassiers, fait admettre par un ch£ur féminin réduit (deux sopranos et deux mezzos) qu’Eguchi tombe effectivement  » sur le signe évident de la virginité  » de sa somnolente. Mais, comme la mise en scène de Cassiers épargne aux spectateurs les investigations corporelles du vieux – les différentes dormeuses sont  » dansées « , toujours à grande distance, par la chorégraphe Kaori Ito, renversante d’acrobaties -, le mystère reste entier. Il s’épaissit en outre par d’incessantes références au passé d’Eguchi. Le souffle des belles-de-nuit lui rappelle l’haleine laiteuse de ses propres filles, bébés ; leur sommeil agité évoque le décès de sa mère, ou une relation tumultueuse, plutôt non consentante (filée par la soprano Barbara Hannigan)… Ces éclairs de souvenirs qui zèbrent la mémoire, ces dédoublements constants de personnages introduisent dans l’£uvre des  » décrochages  » pas simples à décoder. Dans un décor net et carré comme un jardin zen, où (sur vidéo) tombe la neige et tremblent les feuilles d’érable rouge laque, un Eguchi chante (le baryton Omar Ebrahim), tandis qu’un autre récite (l’acteur anversois Dirk Roofthooft). La fin de l’histoire, très  » polar  » (Eguchi a-t-il, oui ou non, tué sa dernière endormie ?), reste d’ailleurs  » ouverte « , comme la mort solitaire de Kawabata, découvert en 1972 asphyxié chez lui (suicide ou accident), au bord de la mer…

House of the Sleeping Beauties, en création mondiale à la Monnaie, à Bruxelles, jusqu’au 16 mai, avant une tournée en France et dans le Benelux. Infos : www.lamonnaie.be

V.C.

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