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Traiter les TOC par stimulation cérébrale profonde

Un trouble obsessionnel compulsif perturbe considérablement la vie de celui ou celle qui en souffre. Lorsque la thérapie comportementale n’apporte pas les résultats espérés, la stimulation cérébrale profonde peut apporter un soulagement.

Les personnes atteintes de TOC investissent énormément de temps dans des actions que la plupart d’entre nous réalisent sans même y penser. Poussées par un perfectionnisme exacerbé et la peur de perdre le contrôle, assaillies de doutes permanents, elles vont répéter de nombreuses fois ces gestes, ce qui peut donner lieu à des comportements d’évitement, à l’épuisement et à la dépression.

 » Les personnes atteintes d’un TOC souffrent beaucoup, explique le psychiatre Chris Bervoets du Centre psychiatrique universitaire de la KU Leuven et responsable d’un département spécialisé en TOC. Obsessions et compulsions persistantes entravent le fonctionnement social ou l’activité professionnelle.  »

Électrodes implantées

Les traitements classiques, composés de thérapie comportementale et de médicaments, s’avèrent inefficaces dans 10% des cas. Certains patients peuvent alors bénéficier d’une stimulation cérébrale profonde (SCP). Cette technique consiste à implanter deux électrodes dans une région bien ciblée du cerveau et reliées à un stimulateur qui délivre des impulsions électriques modifiant l’activité neuronale.  » Nous paralysons les neurones qui envoient des impulsions depuis ce circuit cérébral compulsif. Les impulsions électriques peuvent être de fréquence plus ou moins élevée en fonction de l’effet souhaité « , précise le psychiatre.

Chaque électrode peut faire l’objet d’un réglage différent.  » Il existe en théorie 70 000 variations électriques possibles. Nous ne les testons évidemment pas toutes, mais nous pouvons arriver à un ‘voltage sur mesure’. Généralement cet ajustement des paramètres de voltage aux besoins de la personne peut prendre plusieurs mois. Il faut à chaque fois mettre en balance d’éventuels effets indésirables du traitement et son effet positif sur le TOC.  »

En collaboration avec le neurologue Bart Nuttin et le psychiatre Loes Gabriels, Chris Bervoets a été étroitement impliqué dans une étude clinique récente (UZ Leuven) sur la stimulation cérébrale profonde. Il s’agit de la dernière étude d’une série qui remonte à plus de 20 ans.  » À la fin des années 1990, notre collègue Bart Nuttin a testé ce traitement neurochirurgical chez 4 patients. Au fil des ans, l’effet positif et durable de la technique s’est confirmé. Les personnes qui ont réagi positivement à la SCP contrôlaient toujours leur trouble 15 ans après. D’éventuels effets secondaires tels que palpitations, apathie ou fluctuations de température sont aisément maitrisables. Dès que le bon dosage de courant est trouvé, on est parti pour longtemps.  »

Le principe est de la stimulation magnétique transcrânienne (TMS) similaire à la scp, mais les impulsions électriques sont délivrées au cerveau de l'extérieur. à droite Choi Deblieck, Phd. en neuromodulation non-invasive à UPC KULeuven.
Le principe est de la stimulation magnétique transcrânienne (TMS) similaire à la scp, mais les impulsions électriques sont délivrées au cerveau de l’extérieur. à droite Choi Deblieck, Phd. en neuromodulation non-invasive à UPC KULeuven.© WWW.UPCKULEUVEN.BE

35% de symptômes en moins

Les patients présentant des TOC graves obtiennent généralement un score de 31 à 40 points sur l’échelle de sévérité des symptômes. Après un traitement par SCP, ce score baisse de 35% en moyenne.  » La majorité des patients évoluent finalement vers un score de 20 à 25 points. Ceux qui descendent sous la barre des 25 points expérimentent généralement un basculement : leur qualité de vie augmente de façon spectaculaire. Ils se sentent moins dépressifs et angoissés, les symptômes compulsifs diminuent. Ils retrouvent un peu de liberté.  »

Fait remarquable, cette liberté retrouvée se traduit aussi en de nouvelles possibilités de traitement :  » C’est comme si les patients recevaient un nouveau cerveau : la thérapie comportementale qui ne marchait pas auparavant peut tout à coup porter ses fruits. Il arrive que des patients demandent l’autorisation, après l’opération SCP, de redémarrer d’anciennes thérapies. Il serait dommage de ne pas essayer.  »

Technique sans danger

Les médecins utilisent la stimulation cérébrale profonde depuis déjà un certain temps pour traiter la maladie de Parkinson et les douleurs chroniques. En Allemagne et en Angleterre, la technique est utilisée pour lutter contre la dépression et l’anxiété. Pourtant, la SCP pour des syndromes psychiatriques ne perce qu’assez difficilement.  » Les interventions neurochirurgicales pour des problèmes psychiatriques pâtissent d’un sombre passé, explique Chris Bervoets. Jadis, les neurochirurgiens réséquaient certains tissus à hauteur du circuit cérébral concerné, ce qui avait un impact sur les tendances compulsives mais entraînait parfois une apathie durable. Ce danger n’existe pas avec la SCP. En cas d’effets indésirables, il suffit de diminuer le voltage ou de simplement couper le courant. La circulation neuronale reprend alors comme avant.  »

Traiter les TOC par stimulation cérébrale profonde

Relativement méconnu

Actuellement, seul un petit groupe de patients TOC peut bénéficier de cette technique.  » Il s’agit de patients qui ont déjà parcouru un long trajet thérapeutique, sans résultat. Beaucoup d’entre eux connaissent bien la SCP. Ce sont même parfois les patients qui en parlent à leur thérapeute, ajoute Chris Bervoets avec un clin d’oeil. Tous les médecins ne sont pas informés de cette technique.  »

Le psychiatre espère à terme pouvoir aider davantage de patients grâce à la SCP. D’ici là, la stimulation magnétique transcrânienne (TMS) peut éventuellement leur apporter un soulagement.  » Le principe est similaire, mais les impulsions électriques sont délivrées au cerveau de l’extérieur. Il n’est donc pas nécessaire d’opérer. Ici aussi les premiers résultats sont encourageants. La TMS peut éventuellement prédire dans quelle mesure la SCP marchera pour des patients présentant des symptômes plus légers. Cela pourrait conduire à une application plus large « , conclut-il.

 » J’ai senti mon humeur s’améliorer. Mon anxiété invalidante a semblé diminuer un peu. J’ai ressenti un peu plus de calme. « 

 » Pas un remède miracle mais bien de nouvelles chances « 

Ilse Haex, de Bree, est l’une des patientes de Chris Bervoets. Elle souffre d’une forme grave de TOC. Après un long parcours de plusieurs traitements aux maigres résultats, elle a décidé de donner une chance à la stimulation cérébrale profonde.

 » À l’école primaire et secondaire, tout le monde pensait que j’étais perfectionniste. C’était le cas, mais cette tendance résultait d’un trouble compulsif sous-jacent. Lorsque j’avais une interro à l’école, mes parents devaient me faire réciter à de multiples reprises. Je n’arrêtais pas d’étudier jusqu’à tout connaître par coeur. Cela me rassurait, me donnait un sentiment de contrôle. Je suis tout le temps dans le doute, je ne me sens jamais sûre de moi. C’est à cause de cela que j’essaie de tout contrôler.  »

Cette insécurité paralyse la jeune femme :  » Je ne me fie pas à mes propres sens. Quand je me demande si j’ai bien fermé la voiture à clé, le doute s’insinue en moi. Ai-je bien entendu la porte se fermer ? Ai-je bien vu que les feux ont clignoté deux fois ? Et après la énième vérification, ai-je bien senti que la porte était fermée ? C’est un cercle vicieux. Je n’arrête donc pas de contrôler que la voiture est effectivement verrouillée.  »

Peur de son propre appartement

Son besoin de contrôle est lié à tout ce qui peut représenter un danger potentiel.  » Si la voiture n’est pas bien fermée, on pourrait la voler. Un robinet mal fermé peut provoquer une inondation, ma cuisinière à gaz causer un incendie. Il y a tellement de choses à propos desquelles je me fais du souci et que je veux maîtriser… De plus, je suis confrontée à une sérieuse obsession de la symétrie et à une forme légère de compulsion de lavage. Lorsque je nettoie, j’essaie de bouger le moins possible les chaises, armoires ou bibelots… car tout est placé au millimètre près. Lorsque je déplace un meuble, je passe un temps fou à le remettre à sa place exacte. À cause de cela, j’ai longtemps logé chez mes parents. Je n’osais plus entrer dans mon appartement.  »

Ces obsessions et gestes compulsifs récurrents occupent de nombreuses heures, chaque jour.

Dernière chance

Après une décennie de traitements peu fructueux, son psychiatre lui a parlé de la stimulation cérébrale profonde.  » L’idée qu’un chirurgien m’implante des électrodes dans le cerveau me terrorisait. Et s’il touchait quelque chose qui pourrait me paralyser ? Finalement, mon désespoir a pris le dessus et j’ai vu dans la stimulation cérébrale profonde une dernière chance.  »

 » Après une opération invasive, que j’ai vécu partiellement consciente, et la quête d’un voltage adapté, j’ai senti mon humeur s’améliorer. Mon anxiété invalidante a semblé diminuer un peu. Cette combinaison a fait que j’ai pu entreprendre de nouvelles choses. Aller nager une fois par semaine, par exemple. J’ai réussi aussi à réintégrer mon appartement, bien qu’avec un soutien important d’aides familiales et d’aidants proches.  »

 » Mon psychologue, qui m’accompagne depuis 10 ans, a lui aussi remarqué du changement. Actuellement, je travaille avec lui la confiance en moi et l’assertivité. J’apprends à mieux mettre des limites et je comprends mieux mes schémas de comportement et mon histoire. C’est mon traitement de SCP qui m’en a donné la possibilité. C’est une idée qui doit encore faire son chemin, mais j’espère redémarrer une thérapie comportementale d’exposition. Vous vous exposez graduellement aux choses dont vous avez peur. Lors de mes hospitalisations en psychiatrie, je bloquais là-dessus, mais grâce à la SCP, cela pourrait peut-être marcher.  »

Ilse souligne que la SCP n’est pas un remède miracle :  » Même après mon opération, j’ai connu des périodes difficiles et des rechutes. Il y a encore des moments où je craque. Mais le lendemain, je me relève et je réessaie.  »

Manque de reconnaissance

Le combat pour la reconnaissance est presque aussi dévastateur que la maladie, estime Ilse.  » Pour bénéficier d’une SCP, on doit être gravement atteint et avoir traversé tous les traitements possibles. Et malgré cela, la mutualité a jugé que je n’avais pas droit à la prime de soins. Et ce, sur la seule base d’un questionnaire, imposé par les autorités, qu’elle utilise aussi pour les personnes âgées. ‘Pouvez-vous cuisiner et nettoyer ? ‘ me demandait-on par exemple. Oui, en théorie, parce que je suis une jeune femme en bonne santé physique. Mais dans la pratique, mon trouble compulsif obsessionnel ne me le permet pas. Même après ma SCP, je ne peux pas retravailler, ni entamer une relation avec quelqu’un. La mutualité m’a mal évaluée dans différents domaines. Je viens d’introduire une nouvelle demande et j’espère qu’elle reverra son jugement. Car les factures du service d’aide familiale doivent être payées tous les mois.  »

Cette même absence de reconnaissance, Ilse l’a ressentie de la part du SPF à l’égard des personnes handicapées. Elle n’a reçu une allocation d’invalidité qu’après un long combat, jusqu’au tribunal.

Stigmatisation

Au premier abord, Ilse est une jeune femme spontanée et souriante.  » On ne remarque pas que je souffre de TOC, ce qui est à la fois une chance et un handicap. C’est pratique, parce que les gens ne me regardent pas comme une bête curieuse mais d’autre part, ils ne voient pas combien mon trouble peut être invalidant. Les jugements ne sont pas loin : ‘Pourquoi ne travailles-tu pas ? ‘, ‘Tu as droit à une allocation ? ‘ Et les gens minimalisent : ‘Oh, moi aussi, j’ai des manies’. Désolée, mais ils n’ont pas la moindre idée de ce que j’endure. J’ai cessé d’expliquer les limites que m’impose ce trouble… tout en restant souvent blessée.  »

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