Train de nominations

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

La SNCB change de pilote: Christian Heinzmann succède à Etienne Schouppe. La nouvelle culture politique, elle, fait des sauts de puce

Curieux, cette habitude que le personnage a de parler de lui à la troisième personne du singulier. « Il est clair qu’Etienne Schouppe serait volontiers resté administrateur délégué de la SNCB. Mais on ne lui en a pas donné l’occasion… Vous en avez donc fini avec moi, lance l’ex-patron de la SNCB à l’adresse des journalistes, comme j’en ai fini avec vous. » Le ton se veut humoristique mais personne n’est dupe. Avec le départ d’Etienne Schouppe, figure de proue de la SNCB depuis seize ans, c’est bel et bien une page de l’histoire du rail qui se tourne, même si l’homme présidera encore aux destinées de ABX, la filiale « petits colis » de l’entreprise.

Un rideau tombe, un autre se lève. A partir du mois de septembre, la SNCB sera officiellement dirigée par Christian Heinzmann, un Anversois de 49 ans, débauché auprès de la compagnie aérienne Luxair. Ce nouvel administrateur délégué, qui rêvait d’être pilote, a effectué la majeure partie de sa carrière dans le secteur aéronautique (Air Europe, Sobelair, VLM et Luxair). « Nous avions repéré Heinzmann lors de l’affaire de la Sabena, explique-t-on au cabinet de la Mobilité et des Transports, essentiellement en raison de son discours anti-langue de bois et de son indépendance d’esprit. » Sa nomination, à l’issue d’une procédure de recrutement à rebondissements, en a surpris plus d’un. « Le Parti socialiste et les syndicats ont toujours cru qu’Etienne Schouppe conserverait son poste, analyse un observateur libéral. A vrai dire, il était temps que cela change, à la SNCB. »

Dans un premier temps, Christian Heinzmann ne figurait pourtant pas parmi les candidats: l’appel à candidatures pour le poste d’administrateur délégué avait débouché sur la sélection de quatre noms, dont celui d’Alain Deneef, ancien de Canal + Belgique et de Belgacom. Francophone, naguère étiqueté libéral mais aujourd’hui présenté par Ecolo, il n’a pas eu l’heur de plaire aux socialistes. Dans le cadre d’un deuxième appel à candidatures, le cabinet de la Mobilité et des Transports, épaulé par un bureau de chasseurs de têtes, a finalement approché Christian Heinzmann. Très heureux chez Luxair, celui-ci a d’abord refusé la proposition, avant de céder aux sirènes du chemin de fer belge, encouragé dans cette voie par le ministre luxembourgeois des Transports, Henri Grethen.

Christian Heinzmann sera associé à Alain Deneef, nommé à la présidence du conseil d’administration, et épaulé par 7 directeurs généraux. Parmi eux figurent le socialiste Vincent Bourlard, déjà présent à ce poste sous l’ancien régime, et le remuant libéral Jean-Claude Fontinoy, ancien vice-président de la SNCB. « Il était essentiel que le changement puisse être mené par une équipe nouvelle. L’ancienne ne l’aurait pas fait », estime Henri Monceau, chef de cabinet de la ministre Isabelle Durant (Ecolo).

Quant au conseil d’administration (CA), rajeuni et féminisé (4 administratrices y siègent), il présente un savant dosage entre les différentes tendances politiques du pays. Parmi les partis démocratiques, seul le PSC en est absent, contrairement au CD&V qui dispose d’un administrateur. « Vu les enjeux qui l’attendent, la SNCB aurait mérité que toutes les tendances politiques y soient représentées, dans une approche d’union nationale », estime Philippe Mattis, secrétaire national à la mobilité au sein du PSC. »

Au cabinet de la Mobilité et des Transports, on ne nie pas la composition politique du conseil. « Nous n’avons jamais dit que le CA de la SNCB devait être dépolitisé, dans la mesure où il est logique qu’il reflète les choix exprimés par les électeurs, souligne Henri Monceau. En revanche, nous tenions à ce que le choix de ses gestionnaires s’opère en fonction de critères strictement professionnels, et non politiques. Un administrateur délégué et un président sans carte de parti, c’est une première dans l’histoire des entreprises publiques », se réjouit-il.

Administrateurs indépendants

Il n’empêche. D’aucuns auraient été agréablement surpris de voir nommer des administrateurs indépendants, comme le prévoient les règles du gouvernement d’entreprise (corporate governance), tellement à la mode. L’intervention d’une autorité de régulation réellement indépendante, qui disposerait d’un pouvoir d’avis contraignant, aurait donné davantage de crédit à ces nominations. Mais une telle institution n’existe pas (encore) en Belgique.

« La dissociation – voulue – du comité de direction et du conseil d’administration relève effectivement des règles de corporate governance, observe Nicolas Thirion, assistant en droit commercial à l’ULg et spécialiste des entreprises publiques. En revanche, la politisation du CA prouve qu’un texte de loi ne peut balayer d’un coup des années de pratique politique. Les nouveaux administrateurs sont probablement compétents, mais ils sont aussi étiquetés politiquement. Quant à l’administrateur délégué, il sera entouré de directeurs généraux dont l’appartenance politique est avérée. Dès lors, la direction pourra-t-elle faire abstraction des influences politiques ? L’Etat la laissera-t-elle gérer la SNCB en toute indépendance, à présent qu’elle dispose d’une structure décisionnaire qui le lui permettrait plus aisément que par le passé ? On peut être optimiste, mais il faut rester lucide. »

Du côté du PS, qui était favorable à un renouvellement partiel des organes de direction du rail, on ne cache guère son amertume. « Dans ce dossier, on a parlé plus de vengeance personnelle que de projet d’entreprise, lance un de ses représentants. Ça fait un an que le fonctionnement de la SNCB est mis entre parenthèses. Il est temps que l’on s’en occupe. Que ceux qui ont voulu mettre les mains dans le cambouis y aillent et nous prouvent que la transformation qu’ils ont mise en place est bonne pour la SNCB. J’ai quelques doutes à ce sujet. Quelqu’un qui fait voler des avions dans une société de 2 000 personnes aura plus de mal à faire rouler des trains dans une boîte de 42 000 salariés. De notre côté, nous garderons en tout cas notre liberté de ton. » Ambiance.

On peut compter sur les organisations syndicales, qui ne siègent plus au conseil d’administration, pour faire de même. Leurs chefs de file ne se sont d’ailleurs pas privés de railler la procédure de recrutement des nouveaux patrons de la SNCB, ni de souligner leur manque d’expérience en matière ferroviaire. « Ça ne coûtait rien de garder des représentants syndicaux au CA, estime Philippe Matthis (PSC). Si le climat social tourne à l’aigre, le navetteur risque de le payer. » Ce n’est pas exclu. Etienne Schouppe et les syndicats avaient, en effet, conclu une sorte d’alliance objective, qui garantissait une certaine paix sociale à la SNCB, première entreprise du pays en termes d’emplois. Mais l’ère Schouppe est révolue et les syndicats ne siégeront plus, dorénavant, qu’au comité stratégique de la SNCB, dont les contours restent flous. « Christian Heinzmann devra déployer tous ses talents de communicateur, avertit un observateur. Les premières rencontres entre la direction et les syndicats seront déterminantes. » Soucieux de ne pas jeter de l’huile sur le feu, le nouvel administrateur délégué a d’emblée annoncé qu’il ne remettrait pas en cause la convention collective de travail signée par les syndicats et Etienne Schouppe quelques jours à peine avant le retrait de celui-ci. Ultime provocation.

« La nouvelle équipe aura les mêmes problèmes que l’ancienne », analyse Jacques Modenne, auteur de l’ouvrage Entreprises publiques et privatisation, à paraître au Crisp (Centre de recherche et d’informations sociopolitiques). Au rang des obstacles: l’endettement de la SNCB, qui se chiffrait, l’an dernier, à 3,9 milliards d’euros, le risque de régionalisation du rail (après les prochaines élections, la Flandre pourrait vouloir subventionner l’augmentation du nombre de trains sur son territoire, comme cela se fait déjà en France) et la libéralisation du rail. Savoureux menu…

Laurence van Ruymbeke

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