Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d'observation. Et un tiers de réalité.

Tout va très bien, Madame la banquise !

Où il est question d’un vortex polaire, du salon de l’auto, d’un sous-marin nucléaire russe, d’ours de toutes sortes et d’un sculpteur.

Lorsque le rationnel a été dévoré par la folie, que reste-t-il, sinon la fuite ? Pas grand-chose. Ainsi, il y a peu, dans le labyrinthe de banquises fracassées, un ours blanc livré au courroux du climat remarqua un sous-marin nucléaire russe en train de se délester de ses ordures. Une fois l’étonnement dissipé, l’ours affamé prit une décision héroïque. Décision qui le précipita sur – et puis dans – l’écoutille du submersible restée ouverte, sous les flashs d’une agence de presse. Tel est le dossier.

Pour résumer, disons qu’à l’inattendu débarquement du sous-marin dans le canal de Willebroek, le carnivore dut essuyer de ses babines quelques miettes d’uniformes russes. Un tram passa derrière l’ours, dans un grand bruit de ferraille. L’animal sursauta, avant de lambiner à travers Bruxelles, le front ridé par la désolation. Partout, des lignes de ciment, des routes grises, un horizon puant l’essence et des affiches vantant le salon de l’auto. Au niveau de la Bourse, il fut happé par une marche animée, mêlant sur le verglas des jeunes à des nounours parisiens (2). Les premiers défendaient le climat. Les seconds avaient fui les paparazzi, en quête du paisible vortex polaire annoncé en Belgique, par les médias.

Bientôt, les ours formèrent une petite armée. Comme des explorateurs, ils arrivèrent là où aucun ursidé n’était jamais venu : le bataillon poilu entra au Geyser d’un pas décidé, sans éveiller l’attention du vieil Heinrich, l’homme à tout faire du café, qui peinait depuis des semaines sur une grille de mots croisés centenaire. Hormis lui – jugé  » trop vieux  » – tout le personnel du Geyser était en marche pour le climat. Dans la grande salle, ne restait donc plus que ce qui reste quand il ne reste plus rien. Une vague odeur. Un parfum évaporé. Celui de la consternation teintée de défi.

L’ours polaire commandait un verre de glaçons, lorsque l’unique client du Geyser, un sculpteur français (3) qui cherchait l’inspiration, l’apostropha :

–  » C’est comment, la banquise ?  »

–  » Comme une bouche pleine de dents cassées.  »

–  » Moche ?  »

–  » Tragique.  »

Alors, l’ours polaire baissa les yeux et mâchouilla ses glaçons. En se dirigeant vers la sortie, il lança, en langue inuite, à l’attention du Français :  » Au revoir, camarade !  »

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer à 20h15, sur la Une…

(1) En raison du réchauffement climatique, le dernier bastion gelé de la planète, la banquise arctique, s’est brisée deux fois, en 2018, ce qui n’était jamais arrivé. En parallèle, la zone de Svalbard a perdu 40 % de glace, par rapport à 1981.

(2) Une invasion de nounours a lieu, depuis octobre 2018, dans le quartier parisien des Gobelins, à l’initiative d’un libraire fatigué de voir les gens faire la tête.

(3) Le sculpteur Pascal Bejeannin a façonné un ours blanc en acier qui sera installé sur la banquise de Svalbard, pour sensibiliser à la disparition des ours polaires. Nom du projet : Atsunaï Kammak ( » Au revoir camarade « , en langue inuite).

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