Alexandra Cooreman, la benjamine, a intégré la Chapelle musicale Reine Elisabeth à... 9 ans. © MICHEL COOREMAN

Tout feu tout flamme

Le festival Midis-Minimes, à Bruxelles, ce sont des révélations musicales tout l’été. C’est aussi un formidable tremplin pour les jeunes solistes… Portraits d’Alexandra, Marteen et Vilmos, ou l’enthousiasme à l’état pur.

Midis-Minimes, quatre syllabes qui font mouche, depuis trente-trois étés : des concerts de qualité, extrêmement bon marché (cinq euros), limités à trente-cinq minutes d’écoute, donnés du lundi au vendredi à 12 h 15 tapantes, dans une salle à l’acoustique épatante (quoique passablement déglinguée) du Conservatoire royal de musique de Bruxelles. Le succès de la formule ne s’est jamais démenti. A quoi tient-il ? Peut-être à l’ambiance détendue d’un public sympathique : des familles avec enfants (entrée gratuite jusque 13 ans : ils furent 600, en 2018) et des mélomanes habitués s’y ruent les yeux fermés, seuls ou entre amis, s’enquérant au guichet de l’affiche quotidienne, comme on demanderait, confiant, la composition du lunch dans son resto préféré. Ou alors, c’est la programmation : éclectique, elle traverse les époques, les cultures et les univers sonores les plus variés (de l’oued oriental au jazz, cette année), en passant évidemment par les chefs-d’oeuvre du répertoire classique.  » Car c’est quand même avec Beethoven, Mozart et Bach que je fais salle comble « , confie Bernard Mouton, son bienheureux directeur artistique. A moins que les musiciens constituent l’argument de vente. Et en particulier ceux de la semaine thématique baptisée  » Place aux jeunes « , toujours très courue : des filles et des garçons au tout début de leur carrière (mais déjà souvent bardés de prix), chaudement recommandés par le partenaire des Midis-Minimes, la section flamande du Conservatoire, ou par la Chapelle musicale Reine Elisabeth, qui s’y connaît en matière d’excellence. C’est d’ailleurs cette dernière qui a proposé, cette saison, d’enrôler le  » bébé  » de la troupe.

la programmation, éclectique, traverse les époques, les cultures et les univers sonores les plus variés.

Météo Paganini

A 16 ans à peine, elle est  » juvénile « , certes, mais la brunette aux yeux en amande impressionne par son professionnalisme : voici plus d’une décennie, le coeur d’Alexandra Cooreman fondait au son du violon (un coup de foudre né d’un coup d’archet donné par une amie), dans une famille qui n’est – fait plutôt rare – aucunement musicienne.  » Avant de le tenir en main, je détestais cet instrument « , s’étonne-t-elle aujourd’hui encore. Mais il s’impose à elle, et elle finit par le dompter, implacablement. Devenue rapidement  » trop douée  » pour l’académie de Berchem-Sainte-Agathe, Alexandra intègre, en 2012, la Chapelle musicale Reine Elisabeth. Elle a un peu plus de… 9 ans. Elle est alors (et reste, d’ailleurs) la plus jeune élève jamais acceptée par l’institution, qu’elle fréquente après les classes. Ses écoles primaire puis secondaire doivent adapter vaille que vaille leurs programmes.  » Ce n’était pas facile « , confie-t-elle. A présent, la jeune fille étudie seule via le jury central, fréquente la Chapelle en journée, y loge quelquefois, voyage beaucoup, déjà.  » Depuis un an, toutes les deux semaines, je suis les cours de violon d’Ana Chumachenco à Madrid. Ma maman m’accompagne systématiquement.  » Partout, l’élève continue d’être la benjamine joviale, dans un monde d’adultes.  » Tous mes collègues sont plus âgés « , constate-t-elle sans regret, elle qui s’entend à rire avec chacun – et en particulier les cuisiniers de la Chapelle, qu’elle initie à la cuisson des gâteaux au pavot, comme en Pologne, dont elle tire ses origines. Entre deux pâtisseries,  » Ola  » médite. Celle qui rafle, depuis plusieurs années, de nombreux concours pour jeunes talents (Grumiaux, Breughel, Kocian…) se verrait bien participer à la prestigieuse compétition Wieniawski, puis au Reine Elisabeth, en 2023. Alors, elle travaille Paganini, qu’elle trouve bien ennuyeux, certains jours.  » C’est un peu comme la météo, en fait !  » Pour les Midis-Minimes, le 9 août, Alexandra abordera Saint-Saëns et la magistrale sonate de Franck :  » Parce que j’adore les jouer, que je les ai bien en main, et que plus on donne de concerts, mieux ça va !  »

Maarten Vandenbemden, initié à la guitare dès 4 ans, est entré au Conservatoire de Bruxelles à 17 ans.
Maarten Vandenbemden, initié à la guitare dès 4 ans, est entré au Conservatoire de Bruxelles à 17 ans.© dr

Puzzle géant

Quand il a reçu un mail lui proposant carte blanche pour se produire le 12 août aux Midis-Minimes, Maarten Vandenbemden, 24 ans, a lui aussi fait des bonds de joie.  » Les guitaristes sont souvent les parents pauvres des concerts, regrette-t-il. Il faut parfois beaucoup chercher avant de trouver des lieux pour se produire, et nous sommes aussi moins bien payés que d’autres. Pourtant, parmi nous, il n’y a pas de divas : on est tous des musiciens sympas !  » Véritable workaholic ( » Le travail me donne énormément de satisfaction ! « ), ce Flamand barbu aux yeux pervenche, entré au Conservatoire de Bruxelles à 17 ans, cumule avec aisance des boulots qui l’enchantent : présent dans plusieurs ensembles (dont le duo piano-guitare Adentro, et Four Aces, le plus fameux quatuor de guitares du nord du pays), il enseigne aussi à l’académie Servais de Hal, et vient de se voir offrir, dans la capitale, la charge du cours d' » harmonie écrite et appliquée pour guitare « , au Conservatoire. A quoi s’ajoutent des concerts dans des hospices et des hôpitaux…  » Mon agenda est un puzzle géant.  » Le son de la guitare exclusivement classique, à laquelle son père professeur l’a initié dès 4 ans ( » avec extrêmement de patience « ), le comble parfaitement. Il vogue de Mozart à Brahms, n’a jamais mordu à la guitare électrique, étudiait déjà ses maths en écoutant des symphonies, ado. Il dit qu’il est heureux comme ça, qu’il n’a pas besoin de grand-chose d’autre,  » sinon d’une bonne table en bonne compagnie, de temps en temps « . Le stress ne l’atteint pas,  » à moins d’apercevoir un musicien estimé dans la salle.  » Celle qu’il enchantera, aux Minimes, lui saura gré d’avoir choisi les Cinq préludes du prolixe Villa Lobos, père du folk brésilien, dont le troisième morceau est dédié à Bach : jamais guitare classique n’aura été aussi tendance…

En famille

A 22 ans, Vilmos Csikos vient juste d’empocher son master de violon au Conservatoire de Bruxelles. Il ne connaissait le festival que de nom, s’en excuse et, après avoir découvert ceux des excellents musiciens participants, a réalisé qu’il jouerait, là, le 13 août, dans la cour des grands.  » On m’a demandé de choisir un partenaire, et comme je voulais éviter un programme violon-piano, trop standard à mon goût, j’ai proposé… ma petite soeur, violoniste. Parce que nous jouons rarement ensemble, et que ces duos-là sont rares – on pense à tort qu’ils sonnent de manière inaccomplie.  » Anett, 21 ans, complète donc ce tandem. Conscient que les concerts  » en famille  » attirent davantage le public, Vilmos sait que ce dernier aime observer leurs interactions :  » Alors, quand je peux emmener ma soeur (qui étudie encore), je n’hésite pas.  » Ensemble ou séparément, ils interpréteront des virtuoses du xixe siècle, Wieniawski et Paganini en tête.  » J’aime les pièces chaudes, pleines de techniques, un peu compliquées « , admet-il. Dans leur foyer hongrois très porté sur la musique (on y compte des générations de contrebassistes et de violonistes), Vilmos a une longueur d’avance. Malgré une tendinite qui le contraint à lever le coude ( » Je ne peux jouer que trois heures par jour, au lieu des six habituelles « ), son été est déjà saturé de concerts et de master classes. Bête de concours (il en totalise 25), il tire aussi profit d’une double expérience de membre de jury :  » Un juge tient compte du jeu, mais aussi de la présentation personnelle et de divers facteurs susceptibles de déranger les spectateurs.  » De quoi aider ce grand insatisfait, fan de cinéma de science-fiction, à bien préparer son Reine Elisabeth, en 2023.

Festival Midis-Minimes, jusqu’au 31 août, au Conservatoire royal de Bruxelles. La semaine  » Place aux jeunes  » a lieu du 12 au 16 août. www.midis-minimes.be.

Les musiciens et les choeurs de la Capella Cracoviensis, grande promotrice de la musique baroque.
Les musiciens et les choeurs de la Capella Cracoviensis, grande promotrice de la musique baroque.© dr

Halka, miniopéra, maxidécouverte

Pour clôturer sa saison, le festival Midis-Minimes change ses habitudes et propose, en soirée, la représentation unique d’une pièce jamais jouée en Belgique : Halka, de Moniuszko.

Pratiquement inconnu ici, mais adulé chez lui, le compositeur polonais Stanislaw Moniuszko (1819 – 1872), dont l’Unesco fête le bicentenaire de la naissance, est un pianiste qui a écrit intensivement pour la voix : une dizaine d’opéras, autant d’opérettes et, surtout, plus de 360 mélodies destinées à être fredonnées dans tous les foyers (même les plus pauvres) de Pologne. Conçu dans l’esprit d’un jeune homme de 28 ans hanté par le folklore local et le romantisme allemand, Halka, créé à Vilnius en 1848, est un petit opéra en deux actes qui sera retravaillé durant dix ans, avant de devenir une oeuvre beaucoup plus longue et… un hit absolu dans son pays. L’histoire, qui n’a pourtant rien de frappant (une paysanne engrossée par un aristocrate sombre progressivement dans la folie) nourrit un patriotisme sans bornes que le temps ne semble pas affadir. Mis chaque année au répertoire des principales maisons lyriques polonaises, Halka reste le canon national. Sa musique, très mélodique, est généralement rehaussée par des chorégraphies spectaculaires… qui ne seront toutefois pas visibles à Bruxelles, puisque le Conservatoire en présentera la version concertante et courte d’une heure trente. Mais ce sera néanmoins coup double pour les auditeurs puisque, à la découverte de cette pièce majeure de l’histoire lyrique polonaise (même si on n’y comprend rien, la langue chantée, pleine de consonnes, est magnifique), s’ajoute celle de l’ensemble performateur : forte de ses 58 artistes (choeurs compris), la Capella Cracoviensis, grande promotrice de la musique baroque à l’étranger, interprétera Halka sous la direction de Jan Tomasz Adamus et, surtout, sur des instruments d’époque.

Halka sera donné exceptionnellement le samedi 31 août à 20 heures.

Vilmos Csikos, 22 ans, est une bête de concours : 25 à ce jour !
Vilmos Csikos, 22 ans, est une bête de concours : 25 à ce jour !© dr

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