La Fille qui brûle, par Claire Messud, trad. de l'anglais (Etats-Unis) par France Camus-Pichon, Gallimard, 256 pages.

Tout feu tout femmes

Tels des dieux, nous inventons un monde qui a du sens « , conclut Julia, dix-sept ans, à la fin du cinquième roman de Claire Messud, semblant abandonner son désir de comprendre ce qu’il est arrivé à son amie, l’énigmatique Cassie. Grandir, ce sera, pour la jeune fille, apprendre à saisir cette part de fiction qui balise nos existences. Travaillée par la question des apparences et surtout ce qui se cache derrière, l’auteure de La Femme d’en haut raconte ici le lent délitement d’une amitié entre deux jeunes filles. Portraitiste hors pair, elle livre une radiographie vaporeuse de ces relations exclusives et cruelles, et au-delà de l’Amérique.

La première partie décrit une passion innocente : inséparables, les deux fillettes vivent d’aventures, jouent à la vétérinaire, vont en cachette s’exiler dans la vieille bâtisse d’un ancien asile psychiatrique caché au fond d’une forêt : là,  » nous pouvions transformer n’importe quoi en ce que nous voulions « , se souvient avec nostalgie Julia. Mais à mesure qu’elles grandissent, qu’elles entrent dans l’adolescence, cette amitié qui paraissait inoxydable se lézarde irrémédiablement.

Julia est sage, disciplinée, de bonne famille. Cassie, fragile et secrète, vit seule avec sa mère – et bientôt son inquiétant beau-père. Ses fréquentations changent, son style vestimentaire aussi. Bientôt elle évite son ancienne amie, endosse un nouveau rôle. La rupture est consommée quand, quelques mois plus tard, Cassie disparaît sans explication.

Récit intime et sensible d’adieux à l’enfance, La Fille qui brûle explore les liens entre amitié et construction individuelle, s’intéressant à la part de projection et de fantasme qui hante le rapport à l’autre. L’écriture ciselée et enveloppante de Claire Messud maintient le lecteur dans un état de doux flottement d’où émergent des héroïnes à la personnalité complexe et entière, mélange de fragilité et de puissance sourde, indomptée et incandescente.

La Fille qui brûle, par Claire Messud, trad. de l’anglais (Etats-Unis) par France Camus-Pichon, Gallimard, 256 pages.

Retrouvez l’actualité littéraire aussi dans Focus Vif : cette semaine, Le Monde selon Barney, le roman de l’écrivain canadien Mordecai Richler adapté au cinéma en 2010, édité aujourd’hui dans une nouvelle traduction, page 64.

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