TOURNAI OU L’OUBLI DU GÉNIE DU LIEU

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre dossier spécial sur Tournai, dans l’édition du 23 mars dernier. Sans revenir sur les dossiers patrimoniaux, qui mériteraient certes discussion, je voudrais apporter quelques précisions sur un aspect à peine abordé dans votre dossier, celui des aménagements urbains proprement dits. Dans le cadre de la revitalisation du c£ur historique de la cité, les autorités politiques ont décidé de remplacer toutes les voiries de la ville, sur la rive gauche de l’Escaut jusqu’à la Grand-Place. De mémoire d’aménageur public, en dehors de conflit armé et de destruction massive, jamais une municipalité n’a £uvré de mesure aussi radicale – près de 40 000 mètres carrés de sols urbains à éradiquer et à remplacer ! D’un point de vue économique, en ces temps de rigueur et de restriction, la mesure est discutable. Au niveau environnemental, on ne peut pas dire que la démarche aboutisse à un bilan intéressant – absence de recyclage, gestion non parcimonieuse de la ressource, etc. Au terme d’un concours très ouvert, c’est le prestigieux bureau parisien ANMA qui a été désigné comme auteur de projet. Le grand patron, Nicolas Michelin, n’est pas seulement un architecte renommé mais aussi un écrivain éprouvé, qui exprime sa philosophie et explique ses démarches. Ainsi, dans  » Attitudes, propos sur l’architecture, la ville, l’environnement  » (2010), écrit-il :  » Notre attention au site, à l’équilibre de ce qui est déjà là, est fondamentale. Il nous faut, aujourd’hui plus que jamais, travailler avec les données locales particulières pour agir globalement […]. Les urbanistes, les aménageurs et les services des villes oublient parfois le génie du lieu.  » Or, à Tournai, la caractéristique des rues, c’est le pavé –  » les pavés montueux et raboteux de bien des rues font partie de la physionomie de la Ville  » (Walter Ravez, 1934, Tournai, cité royale, Paris / Bruxelles, p. 119). Mais le pavé n’a plus la cote en aménagement urbain, à cause d’arguments discutables d’accessibilité et de confort [à] De plus, à Tournai, Michelin a opté pour le concept à la mode d’espace partagé – on ne délimite plus les aires propres à chacun des usagers, renonçant à la traditionnelle séparation de la voirie circulée et des trottoirs par des bordures en relief – comme c’est de coutume en nos régions depuis plus de 150 ans. C’est donc la formule d’un revêtement uniforme, de façade à façade, qui a été retenue ici. Après maintes tergiversations (choix de granite, de basalte, etc.), il a été décidé de recourir à la pierre bleue. Fort bien dira-t-on : au moins l’utilisation de matériaux régionaux, privilégiant les circuits courts, comme il se doit, et favorisant l’emploi dans les bassins carriers régionaux, proches de la région du Centre, en désindustrialisation sidérurgique et dès lors en crise d’emploi… Bien… si ce n’est que les fournitures des premières phases viennent… d’Irlande ! […] Il est malheureux que, sous prétexte de marché public, on mette en £uvre à grande échelle un matériau étranger au c£ur d’un des plus vieux bassins carriers européens, avec une tradition de qualité locale plusieurs fois millénaire. On dispose par ailleurs de preuves flagrantes qu’un maître d’ouvrage public peut, sans crainte de recours, imposer la volonté d’un matériau régional de qualité – la récente gare des Guillemins avec ses quelque 25 000 mètres carrés de pierres du pays en est témoin – sans doute les autorités tournaisiennes n’avaient-elles pas le même courage politique… En conclusion, on est en train de changer radicalement le visage de la ville, dans son noyau le plus historique, en le banalisant par des matériaux étrangers, sans aucune des plus élémentaires précautions environnementales aujourd’hui incontournables ! Et sans soulever aucun commentaire de quiconque…

Il n’est pas donné suite aux lettres ouvertes ou portant des adresses incomplètes. La rédaction raccourcit certaines lettres pour permettre un maximum d’opinions.

FRANCIS TOURNEUR, PIERRES ET MARBRES DE WALLONIE, FAULX-LES-TOMBES, PAR COURRIEL

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