© Mathilde Schockaert

Toujours plus haut

L’Espace Catastrophe n’est plus. Dites désormais Up – Circus & Performing Arts et précipitez-vous à Molenbeek pour l’ouverture de son nouveau lieu de six mille mètres carrés, inauguré par le spectacle généreux de Circus I Love You.

Son nouveau nom, Up, qui était déjà celui de son festival international, sous-entend une certaine capacité de rebond, une disposition naturelle à ne pas se laisser abattre, à toujours se relever, quoi qu’il arrive. Ces derniers temps, cette inclination a été bien nécessaire pour l’Espace Catastrophe, qui a fait rayonner le cirque pendant vingt-cinq ans depuis les anciennes Glacières de Saint-Gilles pour les professionnels, les amateurs et le tout-public, mais qui s’y sentait de plus en plus à l’étroit.

Pendant huit années, l’équipe de Catastrophe avait eu l’ambition de construire le Cirk, à Koekelberg: un nouveau bâtiment de trois mille mètres carrés, sur deux sites reliés par une passerelle, pour un budget de près de douze millions d’euros. Début 2019, à la veille de la première phase des travaux, le nouveau collège en place annonçait que la commune se retirait du projet. Une énorme déception. L’ année suivante, la pandémie a déversé son lot de mauvaises nouvelles, en forçant l’annulation, à la dernière minute, du festival biennal Up! , qui devait commencer le 19 mars 2020, au lendemain du début du premier confinement.

Après cette suite de coups du sort, l’Espace Catastrophe voit enfin l’horizon se dégager, grâce à la Région de Bruxelles-Capitale. Au printemps dernier, des camions ont enchaîné les allers-retours entre Saint-Gilles et Molenbeek pour un déménagement qui a duré près de trois mois. Catastrophe quittait les Glacières pour s’installer dans l’ancienne imprimerie du site LionCity, à l’angle des rues Jules Delhaize et Osseghem, à proximité du parc des Muses, du parc Marie-José et de la gare de l’Ouest. Soit un bâtiment de 3 000 m2 complété par une esplanade extérieure de la même dimension. Enorme!

Nouveau départ

Ce déménagement en suit un autre. En février 2019, le groupe Ahold-Delhaize secouait Molenbeek en annonçant qu’il quittait son siège historique afin de regrouper ses différentes activités, logistiques et de distribution, à Zellik, de l’autre côté du ring ouest. Via citydev.brussels, la Région de Bruxelles-Capitale a saisi l’occasion et a acquis la totalité du site, qui s’étend sur plus de quatre hectares.

Pour Delhaize, une page de son histoire se tournait. Créateur du succursalisme (un entrepôt central approvisionne un réseau de magasins) en Belgique, Delhaize, fondé en 1867, avait quitté son dépôt initial de Ransart dès 1883 pour s’installer à Molenbeek, près de la gare de l’Ouest, afin de faciliter la distribution de ses produits. Le site, baptisé plus tard LionCity en référence à l’animal totem de la chaîne, a abrité un entrepôt, des caves, des bureaux, un économat, des fabriques et même une école et une brigade de pompiers. Ce n’est qu’une partie du site, la « zone 2 », en zone de forte mixité, que l’Espace Catastrophe a investi, en changeant de nom pour marquer ce nouveau départ.

Le projet Up se centre sur le cirque, mais avec une intention d’ouverture, notamment aux cultures et aux arts urbains.

Au moment de faire visiter les lieux à la presse à la fin juin, Catherine Magis, fondatrice et codirectrice, avec Benoît Litt, de Catastrophe, reliait la métamorphose actuelle aux origines de sa démarche: « Dans ce nouveau lieu, le projet connaîtra de nouveaux développements. Quand j’ai initié l’Espace Catastrophe, au moment où le cirque ne bénéficiait d’aucune reconnaissance, le but était de lancer un projet interdisciplinaire. » Catherine Magis, formée en théâtre physique et à la pédagogie de Jacques Lecoq, revenait alors de Montréal, où elle était partie étudier dans l’optique de mélanger théâtre, cirque et danse, selon un principe de création collective. Aujourd’hui, le projet Up se centre bien sûr sur le cirque, mais la mention de Performing Arts dans sa nouvelle appellation manifeste son intention d’ouverture, notamment aux cultures et aux arts urbains.

Des agrès sont installés en permanence pour les formations destinées aux 7 à 77 ans.
Des agrès sont installés en permanence pour les formations destinées aux 7 à 77 ans.

Cité du cirque

En menant le petit groupe de visiteurs à travers son nouveau lieu, l’espiègle Catherine Magis semble prendre un malin plaisir à désorienter l’assistance, à travers le dédale de salles petites et grandes, de couloirs, d’escaliers menant au sous-sol ou aux bureaux de coworking du premier étage. « Et ici, on arrive où à votre avis? », « Que pensez-vous qu’il y a derrière cette porte? »… Le bâtiment, dans son architecture très fonctionnelle légèrement remaniée (ouverture de murs, installation de cloisons et même une reconstruction de l’entrée de l’Espace Catastrophe saint-gillois) par ses nouveaux occupants, réunit plusieurs studios. Le 195, le 20, le 68 et le 187. « On n’a pas encore trouvé leurs noms définitifs alors on les appelle tout simplement par le nombre de mètres carrés de leur superficie », précise notre guide.

Open Space divisé en trois zones, dont une avec des agrès installés en permanence pour les formations destinées aux 7 à 77 ans, Black Box pour accueillir des séries de représentations d’un spectacle en fin de résidence d’artistes, bar/resto, stock partagé de matériaux, atelier de costumes se déclinant aussi en friperie, ludothèque sur le thème du cirque, logements pour les artistes…: c’est une minicité du cirque qui s’est déployée ici, dans un esprit de recyclage et de partage. Le plancher en MDF récupéré des Glacières est, par exemple, utilisé sur son autre face dans un studio tandis que certains éléments des conduites d’aération démontées serviront à aménager le potager urbain, géré par les habitants du quartier et les artistes en résidence.

L’objectif à l’horizon 2025? Un nouveau bâtiment de 4 500 m2, pour une occupation pérenne et définitive.

Tout en ouvrant le rideau de fer qui donne sur l’esplanade, Catherine Magis explique qu’elle a déjà fait connaissance avec certains enfants résidant dans les deux tours de logements sociaux voisines, qui n’hésitent pas désormais à interpeller la directrice depuis leur fenêtre. Car la cité du cirque ne veut pas se couper de la cité tout court ; elle entend multiplier les liens, malgré les obstacles. « L’urbanisme doit se concevoir comme quelque chose qui peut évoluer, précise Benjamin Cadranel, administrateur général de citydev.brussels. Il s’agit ici de tester des idées avant de développer la forme pérenne. » Car, le bâtiment actuel étant voué à la démolition, l’objectif à plus long terme (à l’horizon 2025) est un nouveau projet de construction, actuellement à l’étude, sur 4 500 mètres carrés, pour une occupation définitive. Pour l’équipe de Up, c’est donc seulement le début d’un nouveau chapitre. Mais pour l’heure, tous les esprits sont focalisés sur l’ouverture des lieux au grand public, avec l’accueil du Circus I Love You et de son chapiteau sur l’esplanade ( lire ci-contre), avant une nuit du cirque en novembre et un festival Up! en mars prochain, qu’on espère débarrassé de la Covid. L’enthousiasme est au plus haut.

C'est une minicité du cirque qui s'est déployée sur le site de l'ancien entrepôt de Delhaize à Molenbeek.
C’est une minicité du cirque qui s’est déployée sur le site de l’ancien entrepôt de Delhaize à Molenbeek.© Mathilde Schockaert

Avec amour

Au bord de la piste, s’imposant en face de l’entrée comme un manifeste, la déclaration est écrite avec une corde savamment disposée: un coeur et un « love » donnent le ton. Car sous le chapiteau de Circus I Love You, compagnie initiée en 2016 par Sade Kamppila et Julien Auger et mêlant des artistes finlandais, danois, suédois et français, c’est l’amour qui règne. Ici, pas de concurrence dans la prouesse, mais de la solidarité. Ici, quand on vient de réaliser une acrobatie à deux, on ne se quitte pas avant de s’être serrés dans les bras.

Circus I Love You, c’est le cirque débarrassé de toutes les fioritures inutiles, même s’il reste quelques paillettes ici et là. Du cirque simple, un peu hippie, en communauté, où les cheveux longs servent aussi à s’attacher les uns aux autres pour des performances (littéralement) capillotractées à couper le souffle. Du cirque où l’on joue de la musique suspendu ou la tête à l’envers, où la roue Cyr saute à la corde, où l’on tombe en chute libre du sommet du chapiteau, où l’on se perche en haut du manche d’une contrebasse, où la bascule s’élève dans les airs, où l’on s’envole dans une spirale aux déplacements semble-t-il imprévisibles mais néanmoins prévus, où les portés se retrouvent porteurs dans un rapport de force pratiquement incroyable, tout cela dans un flux continu de spectacle qui déborde de générosité.

Humbles et polyvalents, les huit artistes passent des claquettes aux patins à roulettes, de la corde lisse au funambulisme, du main à main au tête à tête, en ne laissant aucun répit aux pupilles, aucun temps mort. On sort de là régénéré, rafraîchi, prêt à croire à toutes les utopies.

Circus I Love You, sur l’esplanade de Up – Circus & Performing Arts, à Molenbeek, du 2 au 23 octobre.

Circus I Love You, c'est le cirque débarrassé de toutes les fioritures inutiles, même s'il reste quelques paillettes ici et là.
Circus I Love You, c’est le cirque débarrassé de toutes les fioritures inutiles, même s’il reste quelques paillettes ici et là.© Minja Kaukoniemi

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