Les Femmes d'Alger, © photomontage le vif/l'express/dr

Toubib or not to be

Une personnalité dévoile ses oeuvres d’art préférées. Celles qui, à ses yeux, n’ont pas de prix. Pourtant, elles en ont un. Elles révèlent aussi des pans inédits de son parcours, de son caractère et de son intimité. Cette semaine : la star de la médecine anti-âge, Frédéric Saldmann.

Tel un seigneur dans sa baronnie, Frédéric Saldmann himself vient vous accueillir dans le hall d’un magnifique hôtel particulier du XVIe arrondissement de Paris, siège de sa revue de nutrition et épicentre de la société de conseils alimentaires de son épouse (Sprim). Planté au milieu de son bel escalier, le médecin du Tout-Paris vous scanne ( » C’est fou tout ce qu’un visage peut dévoiler « ), vous hugge ( » Savez-vous que Pasteur ne serrait jamais les mains ? « ) et, après le câlin à l’américaine, vous emmène dans une grande salle de réunion, au premier. Cette interview, ça lui fait plaisir. Lui, il aime bien la Belgique, l’art. Et puis, parler à la presse ou à la télévision, c’est comme écrire des livres, ça lui permet, s’enthousiasme-t-il, de sauver encore plus de vies. Son truc ? La médecine préventive ou comment, par des gestes simples, augmenter votre longévité. Avec sa bonne douzaine de bouquins traduits parfois en 22 langues et dont certains s’écoulent au-delà du million d’exemplaires, Frédéric Saldmann, finalement, c’est un peu le Marc Levy de la santé. Un médecin cardiologue chez qui se pressent tous les grands de ce monde mais qui continue à exercer en hôpital public, au tarif sécu, plusieurs matinées par semaine.

L’homme plaît, des plateaux télé à ses nombreux patients (deux ans d’attente pour un premier rendez-vous). Et est une véritable success story, dont on connaît peu l’histoire. Des parents fripiers polonais au Havre, une scolarité catastrophique avec des professeurs le diagnostiquant carrément  » handicapé physique et mental « , un décrochage scolaire total et une résurrection à Paris où il entreprend de passer son bac. Pari réussi. A 17 ans. Direction la faculté de médecine. Un choix qui s’imposait. Naturellement :  » Avec une mère juive dont les deux expressions favorites étaient « Ouille mon coeur », en se frappant la poitrine, et « Mange mon fils », j’étais prédestiné à me lancer dans la cardiologie et la nutrition. Bon, il faut dire que depuis toujours, je pensais que ma mère allait mourir du coeur et que moi-même j’aurais des problèmes cardiaques. Sans doute ai-je voulu être un bon fils ?  » Frédéric Saldmann sourit comme un gamin découvrant ses dents de la chance. Pourtant, pendant deux ans, il s’ennuie et délaisse ses syllabi pour mener la grande vie, faite de petits boulots à droite et à gauche, d’expériences diverses et variées et de beaucoup de fêtes.  » La vie, quoi ! Deux ans plus tard, je me suis ressaisi. J’ai passé mes concours et me suis lancé dans la médecine.  » Il raconte avoir, au passage, tenu la plume pour un magazine féminin durant ses années d’internat. Entre le courrier du coeur et la page astro. Le Docteur Frédéric vous répond. Déjà.

La parabole du cordonnier

Avec son air de Francis Huster, son costume bleu marine, ses chaussettes en soie et sa chemise ouverte sur son torse bronzé, Frédéric Saldmann fait un peu songer à son grand ami, le philosophe Bernard-Henri Lévy. Pattes en arrière, bras derrière le dossier de sa chaise, il ressemble à un petit bouddha souriant – très à l’aise, naturel et sans tabou. Pour évoquer ses oeuvres d’art préférées, il se saisit de sa paire de lunettes rondes aux branches épaisses et de l’air de celui qui a tout compris. Puis, il les repose d’un geste rapide à côté de cette image de L’Homme qui marche, la célèbre sculpture d’Alberto Giacometti.

 » Pour moi, la vie c’est le mouvement. Nous, les êtres humains, nous ne sommes jamais que des montres automatiques qui se rechargent et disparaissent dès que le mouvement s’arrête « , explique-t-il à grand renfort de phrases choc, toutes tirées de son dernier livre, Votre santé sans risque (Albin Michel, 270 p.), où, de l’hygiène à la libido, en passant par le sommeil réparateur ou le ventre plat, Frédéric Saldmann fera de vous  » une force de la nature « . Une prescription de vie dont même le célèbre docteur n’a pu faire l’économie : à 40 ans, alors que sa vie semble sur des rails, il explose en plein vol. Divorcé pour la seconde fois, fauché comme les blés avec quatre pensions alimentaires sur le dos, de surcroît en surpoids, il vit à l’hôtel :  » C’est ce qui arrive quand on est en décalage entre ce que nous sommes en profondeur et la vie telle que nous la vivons. De ce décalage va naître la maladie, qui ne signifie rien d’autre que « mal à dire ». Concrètement, ça peut se manifester par le fait de fumer, se droguer, passer par une dépression ou, pire, engendrer de vraies maladies. Moi, c’était le surpoids.  »

Cette ancienne vie, Frédéric Saldmann la qualifie aujourd’hui de circulaire.  » A cette époque, je refaisais constamment les mêmes choses, un peu comme la parabole du cordonnier.  » Que l’intéressé résume, la mine grave :  » Deux hommes meurent et doivent récapituler leur vie. Le cordonnier, qui décède à 120 ans, a exercé le même métier que son père, dans le même village que son père et est devenu lui-même père de trois enfants. Le récit de sa vie prend trois minutes. L’autre mort, un jeune, 20 ans, a vécu plein d’aventures, exercé plein de métiers, il a même fait le tour du monde. Son récit dure trois ans.  » Sa voix douce se tord un peu.  » Moi, à 40 ans, j’avais une vie de cordonnier. Je n’étais pas connecté sur « mon centre », sur ce que j’étais vraiment…  »

Frédéric Saldmann se redresse alors et, telle une balle magique, rebondit sur la nouvelle direction qu’il a ensuite donnée à sa vie,  » linéaire  » cette fois :  » la recherche scientifique « , pour faire reculer la mort, et l’écriture de ses livres, pour diffuser au maximum son message de prévention.  » Le pire, c’est de voir arriver un patient dans mon cabinet et de constater qu’il va mourir et que je ne peux rien faire pour l’empêcher. C’est atroce ! Surtout de penser que si je l’avais connu plus tôt, j’aurais pu éviter qu’il ne tombe malade. Donc, plus je suis médiatisé, plus je fais mon job, plus j’aide les gens à ne pas tomber malade.  »

Une médiatisation nécessaire, selon lui, mais qui ne le dérange pas.  » Il faut le reconnaître : la télé, c’est très gai. Tout le monde chante et danse autour de vous, qu’est-ce qu’on s’amuse… Un peu comme si, au lieu de regarder le spectacle, vous y participiez directement….  » Et qui dérange encore moins ses patients qui, en choeur, clament :  » Avec Frédéric, ça marche !  »

A l’évocation du secret de la  » méthode Saldmann « , qui semble changer l’eau en vin ou faire maigrir ceux ayant déjà consulté en vain une bonne cinquantaine de spécialistes, le médecin se cale dans le fond de sa chaise et réfléchit. Longuement. Puis :  » Je pense que quand les gens viennent chez moi, ils ont surtout rendez-vous avec eux-mêmes (silence). Pour beaucoup, je suis la première personne qui, depuis très longtemps, les regarde vraiment. Car ils ont beau être très entourés, personne ne fait véritablement attention à eux alors que moi, quand je les regarde, je vois l’enfant qu’ils ont été et l’adulte qu’ils sont devenus. Je suis tellement  » présent  » dans la relation au patient que je finis par le « ressentir ».  »

De fait, même en interview, le regard bleu acier du docteur se fixe juste au-dessus de vos yeux. Pour mieux vous séduire. C’est une des astuces du livre (p. 145), auxquelles il recourt. Comme la pratique du silence (p. 203), cet allié aux multiples bienfaits.

Le secret du rat-taupe nu

Sa seconde oeuvre est Oiseau dans l’espace, de l’artiste espagnol culte Joan Miró. L’occasion d’aborder son rapport à l’art, l’imaginaire et le rêve.  » Ado, je suivais beaucoup de cours à l’académie, je sculptais, je peignais mais uniquement la même chose, de grosses femmes nues, lâche-t-il dans un éclat de rire. Puis, j’ai laissé tout ça de côté. Jusqu’au jour où j’ai rencontré, par hasard, David Nahmad (NDLR : collectionneur et marchand d’art monégasque), un homme extraordinaire qui, à chacun de ses passages à Paris, m’emmène visiter des expositions. Avec lui, j’ai découvert des nuances que je ne soupçonnais pas. Un peu comme un sommelier qui décortique pour vous les saveurs d’un vin.Grâce à lui, j’ai découvert cette toile de Miró. Une oeuvre avec laquelle j’aimerais me lever chaque matin tant elle m’invite à imaginer un monde où les oiseaux ne ressemblent pas à des oiseaux, un univers de tous les possibles où le rêve est roi.  »

Coudes sur la table, visage entre les mains, le médecin songe alors à son rat-taupe nu, une petite bébête qui, contrairement à ses congénères, meurt à 30 ans (l’équivalent de 600 ans pour un humain) sans jamais avoir connu les affres de la maladie ; bref, une souris qui disparaît très âgée et en bonne santé.  » Il n’y a pas de jour où je n’y pense pas. Cette souris détient la clé de la longévité et je veux trouver ce truc.  » Frédéric Saldmann sautille presque sur sa chaise en évoquant ses recherches qui, peut-être un jour, aboutiront à nous offrir à tous  » l’immortalité « . Entre-temps, il lève des fonds pour sa Fondation pour la recherche en physiologie pour laquelle il travaille en tant que bénévole et se tient prêt pour le Nobel.

La résistance, cette clé

Frédéric Saldmann rêve grand. Et rien ne semble lui faire peur. Cette indéfectible confiance en lui, il la doit sans doute à ses parents. Contrairement au courant dominant d’alors, ils ont refusé de porter l’étoile jaune et se sont engagés dans la résistance.  » C’est en rejoignant le même réseau qu’ils se sont rencontrés. J’ai la chance d’appartenir à une famille où c’est en s’opposant à la soumission, aux règles établies, que l’on a réussi à survivre. S’ils avaient accepté de porter l’étoile, ils seraient morts dans les chambres à gaz (silence). Quelque part, il m’en reste quelque chose.  »

Comme le souvenir de ses parents qu’il aimait tant et dont la mort –  » la seule chose qui m’ait foutu par terre  » – remplit ses yeux de larmes, cet après-midi encore. Poursuivant sur sa religion d’origine, Frédéric Saldmann précise ne pas en avoir conservé grand-chose :  » Je suis un terrien avant tout et je déteste qu’on oppose les religions ou les nationalités. Je me sens de toutes les religions, et les spiritualités en général m’intéressent beaucoup.  » Un intérêt qui le poussera à épouser sa troisième femme selon plusieurs rites, d’une abbaye catholique à une chapelle de Las Vegas, en passant par une cérémonie hindouiste ou bouddhiste. Le docteur pense que, puisqu’on ne sait pas ce qui nous attend  » là-haut « , mieux vaut être prudent. C’est cette même précaution qui l’a fait, il y a quelques années déjà, congeler son sang. Pour le jour où il sera possible de régénérer nos organes ou de réparer notre corps.

Mais son prochain rendez-vous vient d’arriver. Frédéric Saldmann, qui campe dans le moment présent, décide de le faire attendre.  » C’est tellement rare de pouvoir parler d’autre chose.  » D’autant qu’il y a encore une oeuvre à commenter : Les Femmes d’Alger, de Pablo Picasso.  » C’est merveilleux. Ici, je retrouve toutes les dimensions de la femme, on peut la regarder de face, de profil, de trois quarts, à l’intérieur ou à l’extérieur… C’est un être tellement complexe, une femme, tout le contraire de l’homme finalement. Ce qui est beau, c’est de penser au premier abord que ce sont plusieurs femmes et de réaliser ensuite qu’il ne s’agit jamais que de la même, qui se décline… J’aimerais beaucoup m’endormir le soir en regardant ce tableau.  »

Dans notre édition du 2 juin : Philippe Herreweghe.

PAR MARINA LAURENT – PHOTO : DEBBY TERMONIA

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