Topor omnivore

Guy Gilsoul Journaliste

Avec ses yeux ronds comme des phares, ses petites dents assassines et un cigare au bec, Topor aimait, comme il le répétait, déconner. Ses oeuvres n’ont rien perdu de leur humour au hachoir.

Dans le milieu des poètes, des anarchistes et des pourfendeurs de logique, Roland Topor (1938-1997) est un héros. Il fut aussi l’un des artistes les plus conspués par le public. Son humour, même lorsque le trait est patient et assagi, va droit au but : l’assassinat du sérieux qui, écrit-il,  » n’est que de la crasse accrochée dans les têtes vides « . L’homme fut sur tous les fronts : à la radio (Des Papous dans la tête), au cinéma (La Planète rouge), à la télé (les 300 épisodes de Téléchat), sur les murs (comme affichiste), dans les bibliothèques ( Le Locataire chimérique, Pop Rose, Jachère Party…) et, enfin, encadré et mis sous verre comme graveur et dessinateur. C’est précisément cette dernière facette de son talent que rappelle Topor sous la loupe, à la Fondation Folon, via une suite impressionnante de lithographies, linogravures, dessins à l’encre et aux crayons ou encore, peintures.

La première partie de l’exposition souligne les liens d’amitié que Topor entretenait avec les milieux du cinéma (Fellini), du graphisme (Ronald Searle ou Folon) ou encore de la littérature : d’Arrabal à Prévert en passant par Marcel Moreau. L’écrivain belge, évoquant son imaginaire, notait pour sa part :  » A la limite de l’hilarant, l’artiste semble, en une torsion barbare, figer sa verve comique… Le burlesque lentement vire à l’effroi…  »

Oui, chaque dessin de Topor suggère une histoire avec son décor paisible (un pré, un bosquet, un coin de pièce vide, mais aussi quelques bords de précipices) et ses personnages anonymes aux têtes rondelettes, parfois boursouflées, aux longs nez roses et au crâne ras, parfois. On y retrouve le parfum des anciennes illustrations de conte de fées pour enfants sages. Sauf qu’une présence inattendue, un détail, toujours et d’un seul coup, attire davantage l’attention, révulse, choque, intrigue et provoque rires pincés ou déployés. En cause, des appendices, des excroissances ou des blessures béantes posées là où on ne les attendait pas. S’y accrochent ou s’y engouffrent rongeurs et visages suceurs à moins que, par un tour de magie, l’artiste ne fixe un oeil sur une oreille et ailleurs, enracine cette dernière dans une main.

Parfois, il s’agit d’une seule figure. Parfois, de compositions plus complexes dans lesquelles divers personnages, hybrides ou atrophiés, se mêlent à la fête. Le sexe, évidemment, s’invite aux agapes, avec ou sans démesure, souvent peu orthodoxe et parfois franchement anti-clérical. L’amoureux est un anthropophage et le phallocrate bien puni. L’artiste coupe, tranche, arrache. Le petit bonhomme au costume sombre, image du bourgeois sans imagination et donc cible privilégiée, vivait jadis d’espoirs et de fantasmes secrets. Topor y mit bon ordre en rétablissant, comme l’exigeait le poète Tristan Tzara dans le premier manifeste du dadaïsme, et en plein jour, le chaos.

Topor sous la loupe, à la Fondation Folon, à La Hulpe. Jusqu’au 11 mai. www.fondationfolon.be

Guy Gilsoul

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