tintin business

Le  » petit reporter  » a 80 ans. Riche anniversaire, marqué non seulement par l’ouverture du musée Hergé, mais aussi par le tournage du film de Spielberg consacré au Secret de la Licorne et par un bras de fer commercial entre éditeur et héritiers… Derniers épisodes.

Tintin ne fait pas ses 80 ans. Musée, adaptation au cinéma par Spielberg et inévitable polémique lancée par ses héritiers : l’inusable petit héros à la houppette, créé par Hergé en 1929, est plus que jamais reparti pour de nouvelles aventures.

Voilà dix ans que la veuve du dessinateur, Fanny Rodwell, portait en elle le projet d’un musée Hergé. La manière très ferme dont elle gère les droits de Tintin, avec son nouvel époux, Nick Rodwell, au sein de la société Moulinsart, suscite, on le sait, bien des critiques. Malgré de faramineuses perspectives financières, elle a pourtant toujours scrupuleusement respecté la volonté d’Hergé de ne pas voir les aventures de Tintin continuer après sa mort. Dès lors, l’équation est à la fois simple et compliquée : comment faire vivre Tintin sans nouvel album ?

Ce musée, dans lequel elle a investi sur ses deniers personnels 20 millions d’euros (il est vrai qu’elle figure dans le classement des  » 300 Suisses les plus riches « , avec une fortune estimée entre 100 et 200 millions d’euros), constitue une première réponse.  » Elle a choisi de rendre hommage à un artiste et non de proposer un parc d’attractions à la Disney « , apprécie le biographe d’Hergé, Benoît Peeters. Les milliers de planches et de dessins en possession de Moulinsart devraient permettre de faire tourner les £uvres tous les six mois et d’organiser des expositions temporaires (la première, en octobre, sera consacrée à Tchang et Hergé). On peut se faire une petite idée de la richesse de ces collections avec la parution, ces jours-ci, du sixième volume de la monumentale Chronologie d’une £uvre couvrant les années 1950 à 1957 – celles d’Objectif Lune et de L’Affaire Tournesol – peut-être le plus bel hommage éditorial jamais rendu à un dessinateur de bande dessinée.

Tout aurait pu continuer ainsi paisiblement au royaume de Belgique. C’était compter sans l’Amérique. Après une première incursion au pays d’Al Capone en 1931, Tintin va y faire son retour en 2011, sur grand écran. Depuis quelques mois, Steven Spielberg tourne une adaptation du Secret de la Licorne, avec Jamie Bell en Tintin, Daniel Craig en Rackham le Rouge et un petit frenchie, Gad Elmaleh, en Omar Ben Salaad. Deux autres longs-métrages devraient suivre. Cette trilogie pourrait tout changer : Tintin va-t-il enfin percer aux Etats-Unis – avec les colossales retombées financières que l’on imagine ?

Peut-être est-ce cette perspective alléchante qui est l’origine de la dernière  » sortie  » de Nick Rodwell, le big boss de Moulinsart, qui s’en est violemment pris à Casterman, l’éditeur historique et international de Tintin :  » Il est impossible de travailler avec Casterman « , a-t-il brutalement lancé fin avril à l’hebdomadaire Trends-Tendances. Une attaque tactique : il semble que l’époux de Fanny Rodwell, qui a déjà récupéré l’ensemble des droits dérivés de Tintin, rêve de gérer directement les éditions en anglais et en chinois du petit héros – deux marchés prometteursà Casterman ne semble guère disposé à ce Yalta (voir l’interview de son PDG page 73). Pourtant, selon nos informations, la maison d’édition avait fait un geste, en proposant de créer une structure indépendante en association avec Moulinsart pour gérer les droits étrangers. Mais Nick Rodwell a refusé cette main tendue.

Mieux, les Rodwell multiplient les piques : un jour, ils retirent la distribution de leurs ouvrages de l’escarcelle Flammarion, maison mère de Casterman ; un autre, ils exigent une nouvelle traduction chinoise des aventures de Tintin ; un troisième, ils bloquent le projet d’une édition du Lotus bleu en grand formatà Pour Casterman, l’enjeu est stratégique : les 2 millions d’albums de Tintin vendus par an représentent entre 15 et 20 % de son chiffre d’affaires global. Un trésor jalousement protégé depuis trois quarts de siècle, tel celui de Rackham le Rouge dans les caves du château de Moulinsart. Les vaisseaux lancés par Hollywood vont-ils donner le signal de l’abordage ?

Chronologie d’une £uvre, tome 6, par Philippe Goddin. Moulinsart, 420 p., 105 euro. Vient également de paraître : Carnets de Syldavie, par Jacques Hiron, une amusante (quoique un peu longuette) monographie de ce pays cher à Hergé (Mosquito, 15 euro).

jérôme dupuis; J. D.

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