Théorèmes

Paru voici quelques mois, Mathématiques congolaises, de In Koli Jean Bofane, revient sous les projecteurs avec l’attribution du prix Jean Muno. Ce n’est que justice pour ce roman qui restitue avec humour, originalité et lucidité le contexte de vie en République démocratique du Congo, et en particulier à Kinshasa. Né là-bas en 1954, Bofane s’était déjà distingué comme écrivain pour la jeunesse (largement traduit et primé, notamment, par la Communauté française de Belgique, en 1997, avec Pourquoi le lion n’est plus le roi des animaux).

L’action des Mathématiques se développe dans la capitale congolaise à l’époque où le pays moyenne tant bien que mal avec les exigences internationales d’un processus de démocratisation. Célio est un jeune homme pauvre, mais brillant et généreux, pour qui les mathématiques piochées dans un vieux manuel scolaire représentent la clé de la vie et du destin. D’où son surnom de Célio Mathématik. Séduit par son intelligence, le directeur du Bureau Information et Plan – en fait, spécialiste en désinformation – engage Célio, aveuglé par cette promotion sociale. Et qui, armé de ses théorèmes et autres algorithmes, prend un plaisir naïf à concocter des complots machiavéliques et des provocations pour soutenir le pouvoir vis-à-vis d’une population affamée. Jusqu’à ce qu’il découvre que son directeur avait naguère fait tuer sciemment un de ses amis lors d’une manifestation bidon afin d’en faire un martyr et une victime de l’opposition. Il agira en conséquence et comprendra aussi que la raison mathématique ne résout pas le théorème de la vie.

Au-delà de ce scénario où la corruption des puissants entraîne logiquement celle des sous-fifres et des militaires dont ils se servent, c’est tout l’ordinaire d’une population, mais aussi toutes ses souffrances, que Bofane rend visibles et presque palpables. Qu’il s’agisse du calvaire des enfants-soldats, de la peur du pouvoir, de la misère et des contraintes de la débrouille et, surtout, de ce personnage récurrent : la Faim, qui rôde partout et qui peut  » compter sur des alliés sûrs et efficaces « . Sans oublier des pages éclairantes (si l’on ose dire), étonnantes en tout cas, sur la magie noire et quelques clins d’£il sarcastiques à l’époque coloniale. Pas de pleurnicheries pour autant, mais le regard le plus pertinent : celui du vrai romancier qui peut, mieux que personne, à travers son expérience, son sens de l’humour et sa créativité, camper une réalité de chair échappant au convenu du discours ou aux faux-semblants de l’anecdote.

Mathématiques congolaises, par In Koli Jean Bofane. Actes Sud, 320 p.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire