Tendances France

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

C’est la Méditerranée qui fait l’actu hip-hop avec Akhenaton et, surtout, les Algériens d’Intik. On peut aussi écouter Sully Sefil, frimeur parisien crédible

L’industrie hexagonale, désireuse de ne pas passer à côté du nouveau Solaar ou du prochain NTM (en termes de ventes), investit tous azimuts. Avec le risque d’entretenir l’un des principaux travers du rap français: l’abus de la langue. Une véritable surenchère verbale aux dépens d’idées musicales squelettiques, voire simplement inexistantes. Comme chez les ancêtres Last Poets, le débit des mots pourrait suffir à entretenir le rythme, mais, le plus souvent, les textes sont d’une pauvreté consternante.

Le X Raisons de Saïan Supa Crew (Virgin) ne souffre pas tout à fait de cette maladie, mais entretient un autre syndrome français: la surenchère d’infos. A force de gimmicks, de dialogues touffus, de voix superposées, le nouveau Supa Crew est vraiment dur à tenir sur la distance. D’accord, ça explose dans tous les sens (cf. La Dernière Séance) mais pour aller où, au juste, sinon à l’indigestion? Lorsqu’on tombe sur le premier CD de Sully Sefil, Sullysefilistic (V2 Records), on sait déjà que ce pote à Joey Starr (NTM, pour lequel il a composé et produit) ne fait pas dans le hip-hop de jeune fille. Mais toute sa hargne passe par une diction d’une étonnante clarté et, même, un véritable charisme vocal (cf. La Morale). Sa manière de construire ses morceaux comme des courts-métrages (bruitages et moments dramatiques appuyés par des effets sonores) n’est pas véritablement nouvelle, mais il le fait avec beaucoup d’efficacité. Sully n’échappe pas à un certain « réalisme banlieue », mais son talent dans la narration aboutit à des titres parfaitement achevés, tel J’voulais, histoire d’un braquage qui – forcément – tourne mal. Autre tradition respectée: le morceau dédié à l’enfant chéri ( Luna), histoire de montrer que le rapper a bon coeur. Sully a sans doute moins de talent qu’il ne le chante, mais son premier CD se laisse gober.

C’était le Sud

Le second solo d’ Akhenaton s’appelle Sol Invictus (Virgin) et constitue une tentative de faire exister un rap adulte en France. Bizarrement, cet essai très pensé du chanteur d’IAM charrie quelques travers « gamins » du hip-hop: il est trop long (presque 73 minutes), extrêmement bavard (mais c’est de bonne guerre) et, surtout, ressasse cette mégalomanie commune aux disques rap. Ainsi, dans Intro, Philippe « Akhenaton » Fragione, 33 ans, se croit obligé de rappeler son « authenticité »: « Ce soir, on est là et je fais le bilan/J’ai commencé à rapper et c’était le silence/Il y a pas mille ans mais assez de temps/Pour que je voie le changement/De ceux qui écoutaient des merdes et se branlent sur le hip-hop maintenant/Tu sais: je ne suis pas aigri, au contraire, je suis fier. » Même vieux refrain d’autosatisfaction dans C’est ça mon frère. Si le disque balance quelques bons grooves et n’est pas vide de talent, on se dit qu’il serait temps pour Akhenaton de rejoindre IAM et de pondre un disque qui ne soit pas en granulés, comme celui-ci.

Citoyens d’outre-Méditerranée faisant les allers-retours Paris-Alger, Intik proposent leur deuxième CD, La Victoire (Sony). En français (beaucoup) et aussi un peu en argot arabe, ce quatuor parvient à conjuguer un sentiment de nécessité et un plaisir musical évident. Notamment par l’usage du reggae, traducteur de toutes les urgences mais aussi baume sensuel et danseur perpétuel. Ce qu’on aime justement chez Intik tient à la chaleur, au rythme incandescent et aux textes tellement loin des complaisances hexagonales: « Je m’en fous ce que les gens peuvent penser de moi/Je trace ma route. » Lorsqu’Intik évoque le présent de son pays avec un mordant peu pratiqué ailleurs ( Liberté, Il était une fois l’Algérie…), il est évident que le rap peut encore – vraiment – servir à quelque chose…

Philippe Cornet

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