Téléchargement illégal : le haut dépit des artistes

95 % des chansons téléchargées sur Internet le seraient illégalement. La Belgique est dépourvue de réglementation claire. Les artistes veulent responsabiliser les fournisseurs d’accès. Lesquels disent ne pas pouvoir épier leurs abonnés. Eclairage.

Impossible à quantifier, le piratage sur Internet ne fait que l’objet d’estimations. Selon une étude menée par la Haute Ecole anversoise Karel De Grote auprès d’un millier d’étudiants, deux tiers des fichiers musicaux que ceux-ci téléchargent le sont illégalement. La Belgian Anti Piracy Federation, qui regroupe les maisons de disques, rapporte des estimations européennes encore plus pessimistes : 1 téléchargement légal pour 19 illégaux.

D’un point de vue légal, la notion de piratage numérique demeure floue. S’il est interdit de mettre un fichier musical dont on n’est pas l’auteur à disposition d’autrui, le télécharger pour son usage privé n’est pas formellement répréhensible. Deux propositions de loi ont récemment tenté de réglementer la pratique (voir Le Vif/L’Express du 12/03). La première, déposée par Philippe Monfils (MR), s’inspire de la loi française dite Hadopi : une riposte graduée où se succèdent avertissement, amende et sanction judiciaire. Elle prévoit aussi des dispositions à l’égard des fournisseurs d’accès à Internet qui ne collaboreraient pas suffisamment avec les autorités.

La seconde, corédigée par Benoit Hellings (Ecolo), exclut la répression et privilégie un système de licence globale.  » Les fournisseurs d’accès paieraient une somme forfaitaire aux sociétés gérant les droits d’auteur, explique Benoit Hellings. Couvrant tous les échanges de fichiers, elle éviterait de s’immiscer dans la vie privée des internautes en allant vérifier ce qu’ils téléchargent « . Une idée que rejette la Sabam, la principale société qui représente les auteurs, compositeurs et éditeurs belges :  » Ce serait donner un feu vert inconditionnel aux internautes, s’insurge son directeur de la communication, Thierry Dachelet. Un tel blanc-seing interdirait d’intervenir en cas de piratage massif « . Et de plaider pour une convention collective négociée entre les sociétés d’auteur et les opérateurs Internet.

Problème : ceux-ci refuseraient de discuter.  » C’est faux, réplique Haroun Fenaux, porte-parole de Belgacom. La réalité, c’est que certaines revendications soulèvent des problèmes juridiques et que la loi actuelle nous interdit d’épier nos abonnés. Une des solutions, bien que partielle, pourrait être que tous les fournisseurs d’accès belges bloquent l’accès aux sites litigieux, généralement hébergés à l’étranger.  » Reste que les techniques de filtrage semblent difficiles à mettre en place et que celles qui ont été demandées par les détenteurs de droits font l’objet de procédures judiciaires qui s’éternisent.

A la Sabam, on déplore le surplace du dossier et on réclame un cadre juridique. Lequel ne devrait pas se concrétiser rapidement : les 2 sénateurs auteurs des propositions de loi ne siègent plus depuis le scrutin de juin.  » On court à la catastrophe « , prédit Thierry Dachelet qui fustige certaines campagnes publicitaires vantant le haut débit et les offres de téléchargement illimité. Telenet avait ainsi publié le hit-parade de ses abonnés selon leur volume de téléchargement mensuel : le premier atteignait 2,6 téraoctets, soit l’équivalent de 680 000 chansons ou de 570 films !

 » Il faut responsabiliser les fournisseurs d’accès « , assène encore la Sabam.  » Nous soutenons les alternatives légales, notamment en offrant à nos abonnés des chansons sur iTunes, rétorque-t-on chez Belgacom. Mais notre rôle est limité. Ce serait comme demander aux gestionnaires d’autoroutes à péage de vérifier si les véhicules qui les empruntent n’ont pas été volés. « 

Seul point positif : le téléchargement musical payant est en hausse. Mais il est évidemment loin de compenser l’érosion provoquée par le piratage. Entre 1998 et 2008, les ventes de produits musicaux se sont effondrées de 40 % en Belgique.

LAURENT HOVINE

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