Tchao Berri

Avec le producteur et réalisateur Claude Berri, le 7e art français de ces trente dernières années perd son maître à jouer. Celui qui, derrière le personnage du bourru invétéré, a su concilier tous les genres, tous les publics : Coluche et Chéreau, Germinal et Bienvenue chez les Ch’tis.

Tout le monde lui a dit merci un jour ou l’autre. A l’image d’Alain Chabat, qui, recevant le césar de la meilleure première £uvre, en 1998, pour Didier, rendit un hommage appuyé à son producteur, car  » il faut toujours remercier Claude Berri « . Réalisateur, scénariste, acteur, producteur, collectionneur et galeriste, Claude Berri est mort lundi 12 janvier, à la suite d’un accident vasculaire cérébral survenu dans la soirée du samedi précédent. Il avait 74 ans.

Pour se rendre compte de la place qu’occupait Claude Berri dans le cinéma français, il suffit de pointer, dans sa carrière, une période d’un à trois ans d’affilée. Année 1983, par exemple : il produit L’Africain, de Philippe de Broca, L’Homme blessé, de Patrice Chéreau, La Femme de mon pote, de Bertrand Blier, Garçon !, de Claude Sautet, Banzaï, de Claude Zidi, et met en scène Tchao Pantin. Plus différents, on ne fait pas. Du cinéma d’auteur et du populaire à grosses entrées.

Période 1993-1995 ? Il produit Une journée chez ma mère, La Reine Margot, Gazon maudit, Les Trois Frères et réalise Germinal. Soit Patrice Chéreau, Josiane Balasko et les Inconnus sur la même carte de visite. Qui dit mieux ? Qui dit plus ? Personne. Jusqu’à ces deux dernières années, tellement symboliques de sa carrière : il met en scène Ensemble, c’est tout, d’après le roman d’Anna Gavalda, produit La Graine et le mulet, d’Abdelatif Kechiche – succès critique et public récompensé aux Césars – avant de financer Bienvenue chez les Ch’tis, dont il est inutile de rappeler ce qu’il en advint.

Qu’on l’admire ou qu’on le dénigre, qu’on loue son instinct ou qu’on lui reproche ses coups de gueule, qu’on s’incline devant sa capacité à travailler avec Pialat autant qu’avec Coluche ou qu’on s’énerve de ses bougonneries d’interviewé revêche, Claude Berri fut la pièce maîtresse du 7e art français pendant trente ans. C’est un fait qui ne se discute pas.  » Je ne saurai jamais filmer comme Scorsese, mais les acteurs n’ont pas à se plaindre de mon cinéma, le public non plus « , déclarait-il au magazine Première, en 1997. On peut y entendre une lucidité certaine sur ses capacités artistiques et un contentement évident à s’en foutre royalement, du moment qu’il y a du plaisir ailleurs.

 » Je ne me considère pas comme impudique, disait-il au Vif/L’Express en 2005. Je n’ai pas de problème pour raconter des choses personnelles. Voilà tout.  » De tous les producteurs et réalisateurs que compte la planète cinéma, Claude Berri a été celui qui, le plus souvent, a mis en scène sa vie. De son enfance, où il fut recueilli par un vieil antisémite pendant l’Occupation et dont il tira Le Vieil Homme et l’enfant, son premier film, en 1966, et du portrait de son père, dans Le Cinéma de papa, en 1970, à ses problèmes d’érection dans La Débandade, en 1999, et à l’évocation de l’accident de son fils devenu tétraplégique, dans L’un reste l’autre pas, en 2005. Son fils Julien, qui se laissa mourir en 2002. Il avait deux autres enfants, Thomas Langmann, le producteur de Mesrine, et Darius.

Claude Berri a trouvé dans sa vie le ressort de ses histoires, lui qui n’avait jamais imaginé devenir réalisateur ou producteur. D’ailleurs, ce fils de fourreur né Claude Langmann, le 1er juillet 1934, à Paris, ne voulait qu’une chose : ne pas faire le même métier que son père. Il a opté pour la comédie. Versant acteur. Au théâtre, surtout. Dans Tchin-Tchin, par exemple. Mais le manque de rôles, malgré quelques apparitions sur grand écran, affame son homme. Voilà Claude Berri, un stylo à la main, occupé à écrire des histoires. Des gens du métier l’encouragent : Maurice Pialat, qui deviendra son beau-frère et racontera la vie des Langmann dans A nos amours, ou Alain Cavalier. Il écrit, réalise et produit son premier court-métrage, Le Poulet. Résultat : un oscar. Un vrai.

Premier long-métrage, premier succès : Le Vieil Homme et l’enfant, avec un Michel Simon génial. L’année suivante, en 1968, il produit L’Enfance nue, de Maurice Pialat. Un auteur. Une grande gueule. Il aime ça, les types qui ont du caractère. Chéreau, Polanski, Montand, Coluche, Gainsbourg, Sautet, Kechiche. Claude Berri devient le dernier nabab du cinéma français.  » C’est vous qui le dites, répond-il au Vif/L’Express, en 2005. Je l’ai été dans les années 1980 et 1990, parce que j’ai eu pas mal de succès.  » Coquetterie, sans doute, pour un homme dont toute la profession s’accorde à dire que, oui, s’il n’a pas été nabab, au sens  » après moi le déluge « , au moins est-il au centre de tout.

Comme si cette vie ne lui suffisait plus, Claude Berri fonda, en 1987, l’ARP, la plus importante organisation professionnelle du métier, fut président de la Cinémathèque française de 2003 à 2007, élevé au rang de chevalier de la Légion d’honneur, grand prix national du cinéma en 1986, et joua à l’acteur ici ou là. Surtout, cet autodidacte passionné d’art contemporain ouvrit une première galerie en 1990, Renn Espace. Qu’il remplace, en 2008, par l’Espace Claude Berri. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?

La torture des interviews

Interviewer Claude Berri n’était pas chose facile. L’homme mâchait souvent ses mots dans sa barbe et ne souriait absolument jamais. Le passage obligé de l’entretien ne lui était pas agréable. Mais il l’acceptait pourtant facilement, dès qu’il avait un film à défendre. On avait alors l’impression de vivre une situation totalement schizophrène, face à un homme qui rechignait à y mettre de la bonne humeur, tout en répondant à tout. Il excellait dans l’art de plomber immédiatement l’ambiance en jouant les ours ayant beaucoup mieux à faire que de parler de soi, mais prenait l’interview avec suffisamment d’importance pour ne jamais écarter une question d’un revers de main, sous prétexte qu’il était le grand Claude Berri face au petit journaliste.

En gros, la première réponse tenait en un mot marmonné la clope au bec, à la seconde, il mettait un verbe dans sa phrase, puis se risquait à l’adjectif, avant de se laisser aller dans une proposition relative, pour finir, au bout d’une heure, avec un avis circonstancié, complet, pertinent et sans langue de bois. Enfin, il quittait soulagé cette séance qu’on imaginait de torture, repartant vers d’autres affaires plus importantes. L’au revoir était poli, pas chaleureux, pas désagréable non plus. Malgré tout, la majuscule de Monsieur allait de soi. Le journaliste rentrait à son bureau, rassuré et certain de l’intérêt de ce qui fut dit. Le cinéma français retrouvait un homme qui faisait beaucoup pour lui. Et qui lui manquera. L’un et l’autre, le journaliste et le cinéma, reprendront à leur compte cette belle phrase des Contrebandiers de Moonfleet, de Fritz Lang, lorsque, à la fin du film, le jeune John Mohune relate ses aventures à Jeremy Fox :  » L’exercice a été profitable, monsieur.  » l

éric libiot;E. L.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire