Sweetlove et gourmandise

Guy Gilsoul Journaliste

C’est à Coxyde que William Sweetlove imagine et réalise la plupart des ouvres qui, aujourd’hui, sont présentées dans le monde entier.

Cela se passe sur une petite route de campagne. La mer n’est pas loin. D’un côté du long bandeau d’asphalte, les terres agricoles et des moutons. De l’autre, isolée, une maison basse et, pour la garder, un chien immense en plastique rouge. A ses côtés, un monumental crocodile jaune portant une écharpe, une rangée de lapins bleu pâle, verts, bleus puis des pingouins et quelques cochons bottés dont la taille ne correspond en rien à celle de nos roses suidés.

Dans la maison vit en famille William Sweetlove, un des artistes les plus pétillants de Belgique. Entre surréalisme, kitsch et pop art, contestations et propos ludiques, son £uvre amuse autant qu’elle irrite et scandalise.

A l’abbaye des Dunes toute proche de son domicile, il vient de déposer deux géants rouges habillés en moines. Bientôt, nous affirme-t-il, des pingouins les rejoindront. A la frontière hollandaise, là où s’interrompt une nouvelle digue qui devrait défendre les terres de la montée prochaine des eaux, il construit un édifice de 14 mètres de hauteur qui sera prochainement gardé par une colonie de phoques, toujours en plastique. Mais que veut-il nous dire ? D’où cela lui vient-il ? De l’enfance ? Peut-être lui reste-t-il de cette époque la fascination pour les jouets en plastique et tous ces autres, moulins à vent, bateaux miniatures, ballons et bouées, figurines et animaux entassés dans les boutiques de souvenirs qui sont légion entre Knokke et La Panne. De son environnement ? Sans aucun doute. Sweetlove aime la mer, les poissons, les mouettes, les pingouins, les coquillages et les fossiles qu’il ramasse sur la plage. Mais Sweetlove est aussi un artiste qui a eu 20 ans en 1969, l’heure de gloire pour Andy Warhol, ses Marilyn aux couleurs de bonbons sucrés, Claes Oldenburg et ses hamburgers géants, Lichtenstein et ses grands comic’s. La bonne humeur était de mise. Tout autant qu’une vision critique sur la société. Sweetlove n’allait pas l’oublier.

Ses premières £uvres sont pourtant en partie autobiographiques, voire nostalgiques, puisqu’elles mettent en scène, via des photographies, ses petites amies ou encore sa grand-mère, une femme qu’il adorait surtout lorsqu’elle jouait la comédie et se déguisait en chef indien. Mais c’est dans la manière de les présenter, emprisonnées et engluées dans des blocs de plexi (à la manière des poissons séchés, des coquillages ou des fleurs en papier des boutiques de la côte), que les photographies révèlent l’intention :  » Je voulais fossiliser ma grand-mère.  » Boutade ? Pas sûr.

Dans les années 1980, il entame une nouvelle série d’£uvres sur la thématique des natures mortes qui, depuis le xviie siècle, évoquent autant la gourmandise que la vanité. Avec elles naissent les premières £uvres tridimensionnelles, mélange d’assemblages baroques et de peintures vives mettant en scène des éléments de cuisine, des galets trouvés et bientôt de petites saynètes avec maisons miniatures, voitures américaines et tortues de passage. Petit à petit, notre homme qui est aussi un grand gourmand, opte pour des compositions avec fruits et légumes en plastique, morceaux de peinture et étoffes trouvées.

Alors que, dans les années 1990, éclatent quelques scandales liés à la malbouffe (viande aux hormones, crise de la dioxine), Sweetlove imagine des tableaux en forme de coussins épais et accueillants sur lesquels il peint des assiettes garnies : crevettes mayonnaise, boudin noir compote, mousse de poisson ou dessert glacé et autres subtilités alimentaires qu’il expose dans les plus grands restaurants du pays. Suivront des pains et brioches montés sur motos miniatures et autres carrosses brillants. C’est à ce moment-là qu’il fait la connaissance des membres du groupe italien Cracking Art, dont le goût pour les sciences, sinon la science-fiction, alimente les réflexions sur le devenir de l’homme et de la planète. Et comme Sweetlove, ils aiment l’action, la provocation et le sourire qui fait réfléchir. Ils deviendront comparses.

Ensemble, ils vont alors élaborer des manifestations publiques. A Bergame par exemple, ils envahissent une des plus grandes surfaces commerciales d’Italie avec 4 000 animaux menacés par les changements climatiques dont 300 crocodiles de six mètres qu’ils accrochent tout le long de la façade. Résultat : six millions de visiteurs en plus en cinq mois. Et, par-delà l’étonnement et le plaisir presque enfantins provoqués par le spectacle, un paradoxe : pourquoi servir la cause d’une écologie en déroute avec… du plastique et des £uvres toutes identiques produites en grande série ? N’y aurait-il pas une contradiction entre l’intention et la manière, si proche de l’idéal de la société de consommation ?

Explication. Le but visé (faire réfléchir) doit, afin d’être perçu, user des moyens connus de la communication : simplicité, répétition, séduction. D’où le recours à la multiplication, aux couleurs vives et surtout à l’usage d’un matériau banalisé et bon marché : le plastique. Or celui-ci, au même titre que les produits pétroliers, est issu d’un magma organique fossile dont on sait la fin annoncée. Mais, contrairement au fuel et à ses dérivés, le plastique est une matière qui ne vieillit pas et ne pollue pas davantage les sols. Pourtant, il faut en éviter la dispersion autant que le gaspillage. D’où l’idée du recyclage. Les £uvres par exemple, sitôt l’exposition terminée, sont sciées et conduites en tas compact jusqu’à une usine de traitement des déchets d’où elles sortent en milliers de petites billes qui, à leur tour, seront utilisées pour de futures sculptures.

Mais pourquoi alors, direz-vous, le surdimensionnement des animaux ? Pourquoi, d’autre part, Sweetlove met-il une écharpe autour du cou d’un crocodile ou des bottes aux pieds de ses cochons ? On pourrait évoquer la fantaisie de l’art, le clin d’£il.

 » Darwin parle d’adaptation, précise Sweetlove. Mais pour cela, il faut du temps. Or les changements annoncés et déjà observables sont trop rapides. L’homme va donc devoir agir s’il veut survivre. La solution passera donc inévitablement par les acquis de la génétique et, donc, le clonage. Pour assurer leur survie, les animaux vont émigrer (d’où les bottes aux cochons). A défaut, ce ne sont pas eux mais les hommes qui vont garantir leur avenir. Et cela passera sans doute par des changements de taille. Du coup, la viande que nous mangerons ne sera plus la même. D’où mes lapins géants et mes chiens aussi gros que nos b£ufs. « 

Et là-dessus, Sweetlove part d’un grand éclat de rire….

Guy Gilsoul

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