Sur les traces de Bambi…

Guy Gilsoul Journaliste

Mais pourquoi donc Pascal Bernier travaille-t-il à partir d’animaux empaillés au risque d’émouvoir les âmes sensibles ? Rencontre avec le nouvel invité du Mac’s.

Vos parents auraient aimé vous voir mathématicien. Mais voilà, vous aimez dessiner et rêver.

Pascal Bernier : Jusqu’à 18 ans, j’ai suivi en effet des cours de dessin et étudié l’art ancien. Tout naturellement, je me suis même retrouvé à Saint-Luc, mais pour un an seulement, mes parents préférant que j’étudie les mathématiques. En fait, comme j’étais curieux de tout, cela ne me dérangeait pas. Les sciences, la philosophie, le rock, la bande dessinée, j’ai tout dévoré. Mais finalement, c’était par l’image que je voulais m’exprimer. Je suis donc devenu peintre.

Et là, cela coince…

J’ai très vite compris que la peinture est le fruit d’un très long cheminement et j’étais impatient. Donc, ou je persistais au risque de la folie. Ou je cherchais d’autres moyens. Ainsi, en 1990, j’ai réalisé quelques £uvres à partir du procédé de la photocopie. J’aimais bien cette progressive désintégration des objets que je plaçais directement sur la vitre.

C’est peu après la naissance de votre fils que vous découvrez vos premiers  » sujets  » liés à l’enfance ?

Il s’agissait en effet d’objets nostalgiques de la petite enfance que nous portons tous en nous. Un jour que je me promenais au marché aux puces, j’ai acheté un vieux jouet en peluche. J’ai eu envie de protéger son âme autant que mes souvenirs et je l’ai momifié en l’entourant de bandages. J’avais trouvé ma manière : le collage. En associant deux éléments de façon inattendue, je provoquais une image qui s’adressait directement à l’émotion.

Quelque temps plus tard, sur ce même marché, vous tombez sur un petit faon empaillé et bien mal en point ?

Là aussi, les souvenirs émotifs liés à l’enfance resurgissent. C’était Bambi. Qui n’a pas pleuré en regardant le film de Disney ? Je ne pouvais pas laisser là cet objet si connoté. En plus, il était abîmé, donc blessé. Je me devais de le soigner. J’ai alors remarqué combien mes £uvres réveillaient de façon efficace les affects les plus primaires chez le spectateur : la peur, l’agressivité, l’affection, la commisération… Mais n’était-ce pas là le fruit d’une manipulation au parfum de rentabilité politico-économique ?

Une autre étape fut franchie après la visite d’un atelier de taxidermiste…

Ce fut un choc. La mort véritable était bien là, dans les frigos, l’odeur de sang et celle de la tannerie. Parmi les animaux empaillés, certains avaient été commandés par des chasseurs. D’autres relevaient de la relique. Ils m’impressionnaient davantage. D’où, parfois, mon recours à l’humour qui n’est pas le cynisme.

Au Mac’s, vous présentez ce que vous appelez des natures mortes mais aussi des vanités.

Le squelette est un objet à la mode. Je voulais m’en emparer, qu’il soit humain ou animal, et le mettre en scène. Notre environnement quotidien nous le livre en vrac via les jeux, les jouets, les arts, les vêtements et les médias. Elle n’a plus de réalité. Je voulais m’attaquer à cela, critiquer les maîtres du jeu, les chasseurs.

Cette lecture critique de votre £uvre se trouve éclairée dans l’exposition par la présence de deux autres invités.

Oui, avec, d’une part, une £uvre invisible mais sonore réalisée par Patrick Codenys, du groupe rock Front 242, qui construit un environnement où le rejet et la fascination pour la peur se côtoient de façon hypnotique. Avec, d’autre part, un film documentaire et très critique du Tchèque Harun Farocki qui révèle combien la militarisation des images a déjà conquis le monde.

Jeux de massacre, Mac’s, site du Grand-Hornu, 82, rue Sainte- Louise, 7301 Hornu . Jusqu’au 30 juin. Du mardi au dimanche,de 10 à 18 heures. www.mac-s.be

Guy Gilsoul

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