Sur les traces D’ÉRASME

Qu’impliquerait donc un déménagement éventuel du RSCA, sur le plateau du Heysel, pour la commune d’Anderlecht ? Sport / Foot Magazine s’est promené dans les rues de Neerpede, Cureghem, Bon Air et La Roue, en quête de réponses.

« Je veux être un citoyen du monde, pas le citoyen d’une ville.  » Ce sont les paroles du célèbre intellectuel, philosophe et humaniste Desiderius Erasmus, lisez DidierErasme, qui a vécu quelques mois à Anderlecht, près du vieux béguinage, dans l’ombre de l’église Saint-Guidon, au 16e siècle. Anderlecht comptait alors quelque 300 âmes mais il était très fréquenté, car il se trouvait sur le célèbre chemin de pèlerinage menant dans le nord de l’Espagne, à Saint-Jacques de Compostelle.

Erasme n’hésitait pas à fustiger les pratiques de la caste au pouvoir, il avait une vision large du monde et il requérait la séparation de l’église et de l’Etat, déjà à cette époque. Pourtant, il n’était pas considéré comme un rebelle. Au contraire, on vantait sa convivialité et son érudition, de même que son pragmatisme.

Cinq cents ans plus tard, le Royal Sporting Club Anderlecht veut calquer son comportement sur celui du philosophe néerlandais. Leslogesdelafolie ont tout simplement remplacé l’élogedelafolie. Anderlecht est ambitieux et tout entier tourné vers l’avenir. Comme les projets de construction d’un nouveau stade national, sur le parking C du Heysel, se concrétisent, il devient de plus en plus probable que le RSCA troque sa terre contre celle de Grimbergen. Le dossier de financement du nouveau stade doit être clôturé en avril prochain. D’ici là, c’est l’attente, y compris pour le bourgmestre Eric Tomas :  » J’ai eu un entretien avec Roger Vanden Stock début décembre. Il m’a dit que l’élargissement du stade actuel restait une priorité. Quant au déménagement, je n’en sais pas plus que vous. Évidemment, je serais très déçu si le club venait à quitter la commune.  »

Plus de plaintes que de satisfactions du RSCA

Le maïeur va donc à l’encontre de l’impression qu’on a qu’Anderlecht préférerait se débarrasser de son célèbre club de football. Pendant des années, l’agrandissement du stade a été bloqué ou, du moins, découragé. Les pétitions – rassemblant 1.200 signatures – et les actions de protestation des riverains du Parc Astrid n’ont fait que renforcer ce sentiment.  » Pas assez de places de parking, des rues fermées à la circulation, le vandalisme, le tapage « , voilà en résumé la nature des plaintes. Donc, le Royal Sporting Club Anderlecht incommode plus son voisinage qu’il ne lui offre de satisfactions.

Le club, fondé en 1908 par quelques enthousiastes, parmi lesquels le futur président, Charles Roos, réunis autour d’une table en bois du Café Concordia, rue d’Aumale, joue depuis 1912 sur un terrain situé à 500 mètres de l’établissement, au Parc Astrid.  » L’histoire ne représente rien « , a jadis déclaré le constructeur automobile américain Henry Ford. Une partie des Anderlechtois partage son avis.

Durant la dernière décennie, les liens entre le club et la population se sont distendus. Moins de 10 % des abonnés du club sont originaires de Bruxelles. Le temps est révolu où des natifs de la capitale comme Georges Heylens (qui a même reçu le Brésilien Pelé dans son magasin de sport, près de saint-Guidon) ou Frank Vercauteren (qui a même travaillé, à ses débuts, à la Brasserie Belle-Vue) faisaient rêver les Anderlechtois.

De nos jours, l’Anderlechtois authentique vient de Dilbeek et du Pajottenland. C’est là un étrange paradoxe : si, au début du 20e siècle, beaucoup d’habitants de la périphérie flamande cherchaient leur salut dans la prospère Bruxelles, un siècle plus tard, la plupart de ces familles ont fui le centre. Les  » nouveaux Belges  » les ont remplacés : le nombre d’étrangers issus du Maghreb dépasse la moyenne régionale à Anderlecht, de même que le nombre de personnes provenant du reste du continent africain. La commune compte désormais 115.000 habitants, ce qui est supérieur à une ville comme Malines.

Le Parc Astrid est réputé auprès des amateurs de football mais il ne constitue qu’une petite parcelle de la commune. Sport / Foot Magazine a arpenté celle-ci, à la recherche de l’identité du véritable Anderlechtois. Son cher ( ?) club risque-t-il de lui manquer ?

Un patrimoine culturel sacrifié à l’agrandissement du club

Commençons place de la Vaillance, au coeur historique de la commune. L’église Saint-Guidon, le béguinage et la maison d’Érasme constituent son patrimoine culturel, comme ses brasseries et ses bistrots, qui portent le même nom depuis 50 ans et plus. À la Ville de Bruges, au Pavillon et à la Brasserie Belle-Vue, on entend encore parler bruxellois, un mélange savoureux de français et de néerlandais – pensez à Raymond Goethals. L’Anderlechtois n’a que faire des problèmes linguistiques.

Ce qui le préoccupe, c’est l’afflux croissant des étrangers. La vieille génération d’Anderlechtois déménage vers l’Ouest et la périphérie flamande, comme Marcel Jacobs (66 ans), historien et membre d’Anderlechtensia (www.anderlechtensia.be), une association qui s’intéresse à l’histoire de la commune. Il nuance l’importance du Sporting Anderlecht dans la formation de l’identité de la population locale.  » Je n’ai jamais beaucoup apprécié le football. J’étais fier des succès du club mais je regrettais en même temps qu’on témoigne si peu de respect au patrimoine culturel de notre commune. Avant, le stade était constitué d’un terrain au milieu d’un parc. Maintenant, c’est le contraire. La superbe Maison des Artistes, le monument de commémoration des dix joueurs d’Anderlecht qui sont tombés pendant la Première Guerre mondiale, tout ça a été sacrifié à l’agrandissement du club.

Ajoutons-y que le football devient de plus en plus un business, et pas seulement à Anderlecht, et nul ne s’étonnera que le lien entre le club et ses voisins ne soit plus très solide. Ce n’est plus la population locale qui va au stade mais des hommes d’affaires et des politiciens. Je ne pense pas qu’un déménagement au Heysel aurait un impact sur le lien du club avec les habitants d’Anderlecht, surtout si le nom du club ne change pas.  »

On nous tient à peu près le même discours au café Belle-Vue, proche de La Roue. Dans les années 50, les amateurs de jardins citadins et de maisons art déco raffolaient de l’endroit. Désormais, le quartier n’est plus très animé. Les habitués boivent leur pinte du dimanche entre plaisir et ennui. Malgré le nom de la taverne, on n’y ressent guère d’attachement particulier à la famille Vanden Stock et à son club de football. Un poster des Mauves est accroché juste à côté d’une affiche de l’Union Saint-Gilloise.

Supporters du Raja Casablanca plutôt qu’Anderlecht

Les trois habitués ont passé toute leur vie dans ce quartier. L’un d’eux est supporter d’Anderlecht, sans fanatisme. L’autre soutient le Standard et le troisième se fiche du football. Danny, l’Anderlechtois, ne trouve pas très importante la discussion sur un éventuel déménagement du Sporting :  » L’équipe première et les jeunes passent la plupart de leur temps au nouveau complexe de Neerpede et c’est ce lien qui compte. Que l’équipe joue une fois toutes les deux semaines dans le stade d’une commune voisine ne fera pas de différence.  »

Le boulanger turc, le boucher halal, les gens de la rue ne savent même pas que le RSCA projette de déménager dans une autre commune. Nous interpellons un jeune Africain qui sort de la boulangerie. Ali, un Guinéen, est supporter d’Anderlecht mais il ne sait pas que son club pourrait prendre possession d’un autre stade.

Cette tendance se confirme quand nous nous dirigeons vers Cureghem, le quartier qui relie Anderlecht au centre de Bruxelles. Les allochtones ne s’intéressent guère aux Mauves. Ils sont supporters de Galatasaray, de Barcelone, du Raja Casablanca ou du Real. Ici et là, on voit des jeunes en survêtement d’Anderlecht mais globalement, les habitants ne sont pas attirés par la fierté footballistique locale.

Pourtant, le RSCA accomplit son devoir social. Il a fondé l’ASBL FEFA, en association avec la commune et avec l’Athénée Léonard de Vinci. Cette initiative offre aux jeunes la possibilité de jouer pour un club à condition d’avoir de bons points à l’école. On recense 165 inscriptions. Les jeunes reçoivent des maillots mauves officiels et se produisent en championnat régional du Brabant. Les matches se déroulent au stade Frank Vercauteren, sur un terrain synthétique situé derrière l’athénée.

Cet établissement, qui s’appelait jadis l’Institut Chomé-Wyns, était une école réputée pour ingénieurs mais depuis dix ans, elle fait l’actualité de manière négative : grèves des professeurs qui ont été molestés ou ont fait l’objet de menaces, bagarres… Jeanvion Yulu-Matondo, Anthony Vanden Borre et Vincent Kompany ont usé leurs pantalons sur les bancs de cette école, de même qu’un certain Mariusz O., condamné pour le meurtre de Joe Van Holsbeeck.

Aucun gadget mauve à Cureghem

Tous ces jeunes Bruxellois font de la corde raide. L’un devient footballeur professionnel, l’autre finit derrière les barreaux. Cureghem a le taux de chômage des jeunes le plus élevé de Bruxelles. Pourtant, au début du siècle précédent, c’était un quartier apprécié et prospère de Bruxelles. Commerçants et industriels aimaient à s’y installer. Maintenant, Cureghem forme presque un village à lui seul, une destination exotique en plein milieu du pays mais tout sauf un parc de vacances. La commune est consciente qu’elle doit agir face au désespoir latent des habitants. Eric Tomas :  » Plusieurs initiatives ont été déposées sur la table. Par exemple, nous allons centraliser la vente de voitures d’occasion sur un terrain le long du canal, loin de la ville. Nous nous attaquons plus sévèrement au trafic de drogue : depuis que je suis bourgmestre, j’ai fermé plus de dix cafés. Enfin, un grand projet commercial va être réalisé à proximité des Abattoirs.  »

La Rue Wayez, jadis une artère commerciale très fréquentée, a perdu son lustre. Les Abattoirs sont donc devenus le coeur de la commune.  » Là où vit Bruxelles « , lit-on à leur entrée principale. Ce n’est pas exagéré. Même un dimanche après-midi, l’endroit est animé. Les commerçants s’interpellent en marocain et en arabe. Ils vendent essentiellement des légumes et des fruits mais on trouve aussi des vêtements de seconde main, des jouets et même des ustensiles de jardinage. Pourtant, nulle part nous ne trouvons trace d’un maillot ou d’un gadget quelconque du RSCA.

Anderlecht est composé de deux parties. Le contraste est terrible quand, en quittant Cureghem, on traverse le ring de Bruxelles en direction de Neerpede et de Bon Air. Plus on approche du Pajottenland, plus les maisons sont vastes, les prairies étendues et les chemins de campagne étroits. Le Luizenmolen fait la fierté de cet endroit idyllique, tout près du terrain de football de Bon Air.

Golf, ski et rugby

Plus bas dans la vallée, à côté du ring, la Drève olympique. Le RSCA rugby club, champion de Belgique à vingt reprises, est installé ici. Des terrains en synthétique sont réservés à l’entraînement des jeunes, il y a un club de hockey, un de golf et même une piste artificielle de ski. Beaucoup d’habitants de Neerpede et de Bon Air viennent se promener autour des étangs. Cette partie d’Anderlecht est soigneusement protégée. Maints promoteurs immobiliers ont déjà tenté de s’approprier une partie de ces terres mais ils se sont heurtés, à juste titre, au refus de la commune.

Nous nous arrêtons au Royal Amicale Golfclub Anderlecht, le chic Anderlecht. Ici, on parle football mais sinon, pas trace de lien avec le RSCA.  » Nous ne rencontrons pas de joueurs ni de dirigeants ici. Les sympathisants du Standard, du Club Bruges et d’Anderlecht se mêlent sans que nul ne s’en offusque.  »

C’est le résumé d’une journée à Anderlecht, un mélange complexe d’industrie (Coca-Cola, IKEA, Westland Shopping Center), de quartiers colorés et de terres agricoles, une commune habitée par des habitants fiers mais divisés. Un déménagement de leur club de football ne changera pas grand-chose. Tant que le club ne tombe pas aux mains d’un oligarque russe ou d’un cheik arabe, tant que Neerpede reste le centre névralgique des Mauves et tant que la famille Vanden Stock reste aux commandes, l’histoire continuera à unir la commune aux Mauves, quoi qu’en pense Henry Ford.

PAR MATTHIAS STOCKMANS – PHOTOS: IMAGEGLOBE

Moins de 10 % des abonnés sont Bruxellois et 3 % à peine Anderlechtois. Les amateurs de foot locaux supportent plutôt les grands clubs étrangers : Barcelone, le Real, Galatasaray…

 » Le lien avec Neerpede est l’essentiel. Peu importe que l’équipe première joue dans le stade d’une commune voisine une fois toutes les deux semaines.  » Danny, habitant d’Anderlecht

Le club, élitiste, remplit aussi un rôle social en permettant aux élèves de l’athénée Léonard De Vinci de jouer en championnat régional. Pour peu qu’ils aient de bons points !

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