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Supprimer, freiner, forfaitiser… Comment enrayer la flambée des suppléments d’honoraires en chambre particulière d’hôpital ?

Le dossier atterrira fatalement sur la table politique sous la pression de l’opinion publique. Comment mettre fin à l’explosion des suppléments d’honoraires ? Voici la gamme des solutions.

Dès le début de son mandat, la ministre fédérale des Affaires sociales et de la Santé publique, Maggie De Block (Open VLD), s’est attelée à la mise en réseaux des hôpitaux et a signé un pacte avec une industrie pharmaceutique boulimique, dans l’espoir de faire baisser de deux milliards d’euros la facture santé de l’Etat. Les suppléments d’honoraires à charge des patients ? La ministre ne voulait pas en discuter, bien qu’elle ait posé quelques jalons dans cette direction avec les soins à basse variabilité (au forfait), qui restent néanmoins susceptibles, en chambre individuelle et en cas de complications, d’être accompagnés de suppléments.

L’accord médico-mutualiste 2018-2019 proposait de concerter tous les acteurs en vue d’arriver à un gel de l’augmentation des suppléments jusque fin 2019. Les mutuelles étaient d’accord, l’Association belge des syndicats médicaux (Absym), aussi. Divisées, les fédérations d’hôpitaux ont refusé. Paul d’Otreppe, le président de l’Association belge des directeurs d’hôpitaux considère  » la question des suppléments d’honoraires comme intimement liée au financement à l’acte, qui est un débat du passé. Il plaide pour un  » financement au forfait et par pathologie « .  » Notre proposition tient toujours, rappelle au Vif/L’Express Philippe Devos, président de l’Absym. Pendant un certain temps, rien n’irait dans la poche du médecin, mais rien non plus dans la caisse des hôpitaux.  »

Un financement au forfait et par pathologie. » Paul d’Otreppe

Fragilisés par l’envol des suppléments d’honoraires à leur charge, les assureurs belges veulent avoir voix au chapitre et laissent planer la menace d’un désengagement.  » Le choix ne se limite pas à être présent ou non sur le marché belge, nuance le porte-parole d’Assuralia, Wauthier Robyns. Il y a aussi la possibilité de mettre en sourdine notre portefeuille.  »

Face à ces intérêts contradictoires, le remède de Jean Hermesse (Mutualité chrétienne) est radical.  » Faisons de la chambre particulière la norme, interdisons tous les suppléments d’honoraires et réinjectons la masse des 600 millions d’euros dans l’assurance obligatoire. Cette manne supplémentaire serait répartie à parts égales entre les hôpitaux et les médecins. Elles permettraient de refinancer les établissements hospitaliers et de corriger les écarts de rémunération entre les médecins.  » Magique ?  » Les employeurs ne devront plus payer de primes aux assureurs, ceux-ci seront débarrassés d’une activité risquée et déficitaire. La médecine à deux vitesses ne s’étendra plus. Et les pensionnés qui ont souscrit une assurance hospitalisation qui leur coûte de 500 à 900 euros par an retrouveront du pouvoir d’achat. Ce n’est pas une question de moyens, mais de choix politique.  »

Supprimer, freiner, forfaitiser... Comment enrayer la flambée des suppléments d'honoraires en chambre particulière d'hôpital ?

Solidaris arrondit le discours, mais la direction indiquée par Jean-Marc Laasman, directeur du service d’étude de la mutualité socialiste, est identique.  » Avec la masse d’argent payée par les gens, pourquoi ne pas réinvestir dans l’assurance obligatoire pour compenser le sous-financement objectivé des hôpitaux et de certaines activités médicales, en échange de la limitation des suppléments d’honoraires, voire de leur suppression à terme ?  »

 » En somme, les mutuelles proposent de nouveaux impôts. Je doute que les gens et les partis politiques soient d’accord…  » : Philippe Devos (Absym) réfléchit à une autre méthode.  » Idéalement, les médecins devraient pouvoir travailler avec une enveloppe fermée pendant quelques années. Ils ont déjà montré qu’ils étaient capables de s’autoréguler en réalisant une économie de 84 millions d’euros dans le budget fédéral des honoraires en 2018. Avec l’argent de cette enveloppe, on refinancerait des spécialités sous-payées comme la gériatrie et on identifierait les besoins de refinancement de l’hôpital. Ce serait un jeu à sommes égales. Malheureusement, on ne peut pas se permettre de vivre dans l’incertitude pendant des années, alors,  » un tiens vaut mieux que deux tu l’auras « , commençons par geler les suppléments d’honoraires en échange du gel des rétrocessions à l’hôpital. Ou réfléchissons à un système par tranches d’honoraires en fonction de la capacité contributive du patient, les nantis étant solidaires des moins nantis dans le cadre d’une assurance complémentaire qui serait un second pilier de santé.  » Les médecins proposent aussi la formule de l’  » offre non contraignante  » – une indication de devis – pour que les patients soient mieux informés de la facture qui les attend, tout en gardant une marge pour les imprévus.

La réflexion se poursuit. L’étude sur la nomenclature confiée par l’Inami à Magali Pirson et Pol Leclercq (Ecole de santé publique de l’ULB) est attendue avec impatience. La nomenclature des actes médicaux ( » codes Inami « ) attribue une valeur à chaque acte médical. Actualisée, elle tiendrait compte des réalités médicales et permettrait de cerner le salaire des médecins libéré des frais de fonctionnement de l’hôpital.  » La partie correspondant aux frais de fonctionnement pourrait, alors, ne plus être soumise à des suppléments « , suggère Philippe Devos. Cette codification dont dépend le  » salaire  » des médecins n’a pas été revue en profondeur depuis la grève de trois semaines des médecins, vent debout contre la loi Leburton. La pax medica de 1964 avait consacré le caractère libéral de la médecine belge, tout en posant des balises pour la rendre accessible. Des balises manifestement inadaptées en 2019.

Mystère communautaire

Les médecins bruxellois et wallons prélèvent plus de suppléments d’honoraires que les médecins flamands.

Relevons au passage une singularité communautaire : les suppléments d’honoraires sont plus élevés à Bruxelles et en Wallonie qu’en Flandre. Ainsi, pour un accouchement en chambre privée, le supplément d’honoraires est de 300 % à Bruxelles, 200 % en Wallonie et 150 % en Flandre (voir les tableaux ci-dessus et par ailleurs). Plus récent, le parc hospitalier flamand offre davantage de chambres à un lit (25 % contre 18 % en Wallonie). Le nombre de travailleurs bénéficiant d’une assurance-groupe y est plus important ; la rémunération des médecins flamands (toutefois en phase de rattrapage) serait donc mieux répartie entre des patients globalement plus aisés, alors que les francophones feraient  » payer les riches pour épargner les pauvres « . L’hôpital de jour est aussi plus développé en Flandre et les spécialistes y sont moins nombreux qu’en Wallonie et à Bruxelles (16 pour 10 000 habitants contre 22 pour 10 000 habitants). De plus, la capitale concentre les hôpitaux universitaires et les professeurs rémunérés en conséquence. Pour ajouter à cet irritant mystère des disparités régionales, les hôpitaux flamands enlèvent moitié moins d’honoraires aux médecins que les hôpitaux wallons. Deux Communautés et trois Régions, plusieurs systèmes de santé.

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