Rosanne Mathot

SuperVagilisticExpialiDocious

Où il est question de vagins, de footballeuses, d’un jeu à boire et d’une Mary Poppins féministe.

Elle semblait avoir jailli d’un orage. Comme suspendue en apesanteur au bord d’un tourbillon, la femme tenait fermement son parapluie. L’inconnue chaloupait dans le ciel. Et puis, avec l’élégance furtive du vif-argent, elle précipita sa descente vers le Geyser, pieds écartés, centre de gravité centralisé. Dans un bruissement textile, les jupons austères de la visiteuse se déployèrent sous elle, en corolle vive, offrant tout le confort moderne d’un atterrissage réussi, pile devant la porte du café. L’inconnue plana encore quelques secondes à quelques centimètres du sol. En touchant le trottoir, la femme put voir que gisait, devant la porte du Geyser, un tas colossal de crampons de foot : 238 paires, exactement. Bouseuses. Toutes, sans exception. Par mimétisme social, Mary Poppins (puisque c’était elle) se déchaussa, avant de faire son entrée au Geyser, en chaussettes (1). Etait-ce une bonne idée ? C’était une idée bizarre.

Dans le café, Ulysse, le serveur linguiste, en blouse d’instituteur, se débattait, un livre à la main, dans une sorte de chaos sauvage. Devant lui, un chien (une louve ? ) tapait à la machine, alors que des centaines de jeunes filles (dont 238 joueuses des Red Flames) – toutes en chaussettes, parquet fragile oblige – riaient de bon coeur dans une sororité débridée où l’alcool avait sa place.

–  » Je dis « vagin » parce que j’ai lu les statistiques « , lut alors Ulysse d’une voix aussitôt emportée par une déferlante de  » Allleeeeez !  » alcoolisés : les coudes des femmes se levaient au rythme infernal des godets de vodka déversés dans les gosiers, à chaque fois qu’était prononcé le mot  » vagin « . Et, vu qu’Ulysse, en ce 8 mars, avait décidé de lire Les Monologues du vagin à haute voix, ça arrivait souvent.

–  » Partout, les vagins subissent de mauvais traitements.  »

–  » Allleeeeez !  »

–  » Je dis « vagin » parce que je veux que cessent ces horreurs : les viols et les mutilations sexuelles.  »

–  » Allleeeeez !  »

Lorsqu’une jeune fille gorgée d’ivresse tomba de son tabouret, la femme en noir se sentit happée par la colère : ainsi, par commodité, par habitude, par mollesse, cette jeunesse semblait estimer que la femme, tout comme le cheval, la Lune, ou le Far West, était la conquête de l’homme. Les jeunes avaient oublié pour quoi se battaient leurs aînées : l’égalité des sexes, tout simplement. Elles avaient fait du féminisme un jeu à boire.  » Mais ne jetons le fusil à personne, qu’elle se dit, Mary, il est déjà bien trop chaud. Que celui (celle ? ) qui n’a jamais été imbécile, lève sa pétoire.  » Et d’un grand geste unanime le café hurla, en levant les coudes :

–  » Allleeeeez !  »

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer sur la Une, à 20h15.

(1) Dans Mary Poppins. Magia, leyenda, mito, par l’historienne espagnole María Tausiet (Abada, 2018), on rencontre une Mary Poppins aussi fantasque que sa créatrice, Pamela Travers. Une Mary Poppins extraordinairement libre, ne dépendant d’aucun homme.

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