Super Merkel

Affaiblie et isolée, la chancelière ? Allons donc ! Ses appels à la discipline et à la responsabilité au sein de la zone euro font l’unanimité outre-Rhin.

Qui est le plus fort ? Un président français, appuyé par un parti qui dispose d’une majorité absolue au Parlement, ou une chancelière allemande obligée, pour gouverner, de composer en permanence avec son opposition ? Un François Hollande disposant de nombreux alliés en Europe, ou une Angela Merkel isolée et honnie, dans de nombreuses capitales, en raison de son inflexibilité ? Lequel des deux est le mieux à même d’imposer ses vues à Bruxelles ? Si l’on en croit ce qui se chuchote à Paris, Merkel n’aurait plus les moyens d’avancer ses pions : trop faible politiquement dans son pays et en position défensive sur la scène européenne, elle serait engluée à Berlin, à la recherche d’une dynamique de succès qui aurait changé de camp.

Vu d’Allemagne, une telle analyse est plus proche de la caricature que de la réalité. Certes, après sept années au pouvoir et à quinze mois des élections, la chancelière a perdu de sa superbe. Les conservateurs de son parti, la CDU, ont subi une longue série de défaites électorales régionales retentissantes. La dernière en date, le 13 mai dernier, a tourné au désastre : dans le Land le plus peuplé d’Allemagne, la Rhénanie du Nord-Westphalie, les candidats de la CDU ont réalisé leur pire score depuis la guerre. Depuis que le Bade-Wurtemberg, contrée prospère dirigée par la droite durant cinquante-huit ans, est  » tombé  » aux mains des Verts, en mars 2011, les troupes de Merkel ont perdu du terrain, scrutin après scrutin, dans une demi-douzaine de provinces allemandes. Elles n’ont plus aujourd’hui de majorité à la chambre qui représente les Länder, le Bundesrat, dont le feu vert reste indispensable à l’adoption de la plupart des lois. En un mot, celle que la presse européenne aime à présenter comme un personnage impérieux affublé d’un casque à pointe se serait transformée en tigresse de papier. De fait, Angela Merkel ne peut gouverner qu’en sollicitant l’accord de son opposition sur la majorité de ses dossiers.

Une grenouille échaudée qui n’aurait pas senti le danger Dans son propre camp politique, la situation n’est guère plus simple. Partenaire de la CDU au sein de la coalition, le Parti libéral-démocrate (FDP) lutte pour sa survie.  » Cette menace existentielle le rend imprévisible, constate Gerd Langguth, politologue et biographe de Merkel. Les libéraux ont besoin de s’affirmer en permanence, souvent aux dépens de la chancelière.  » Ainsi, alors qu’elle n’en voulait à aucun prix, le FDP est parvenu à lui imposer le très populaire Joachim Gauck comme président de la République. Afin de fêter sa victoire avec fracas, le chef du parti libéral, Philipp Rösler, est ensuite allé fanfaronner devant les caméras de télévision, comparant sa coéquipière au pouvoir à une grenouille échaudée qui n’aurait pas senti venir le danger. La boutade en dit long sur l’état d’une coalition qui, depuis ses débuts, en 2009, n’a jamais vraiment réussi à trouver son cap. Sur sa droite, enfin, Merkel doit composer avec un autre allié, la CSU, branche bavaroise du parti conservateur, dont le chef de file, Horst Seehofer, jouera sa survie politique lors des élections à haut risque au Parlement du Land de Bavière, en septembre 2013. Ce baron local, réputé pour ses emportements belliqueux, a exigé un projet de loi prévoyant le versement d’une prime aux mères qui veilleraient à la maison sur leurs jeunes enfants plutôt que de les inscrire en crèche. La chancelière, soucieuse de ménager un attelage tirant à hue et à dia, défend ce que ses détracteurs ont baptisé la  » prime aux fourneaux « .  » Cette coalition tiendra-t-elle jusqu’à la fin ? s’interrogeait récemment un éditorialiste du quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung. Le peut-elle ? Le doit-elle ?  » Dans les rues de Berlin, certains croient sentir un parfum de fin de règne. Mais ils pourraient se tromper.  » L’Allemagne est une démocratie où les querelles et la négociation sont permanentes, répond Henrik Uterwedde, vice-président de l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg. Cela fait partie du quotidien d’un chancelier. Merkel est moins faible qu’il n’y paraît : elle reste extrêmement populaire.  » C’est tout le paradoxe de cette chancelière caricaturée en caporale-chef, voire en nazie, en dehors de ses frontières, mais dont le travail est approuvé par la majorité de ses compatriotes. En pleine crise de l’euro, ils sont 62 % à souhaiter qu’elle garde le cap de la discipline budgétaire.  » Elle n’est perçue comme méchante qu’à l’étranger, de la Grèce aux Etats-Unis « , confirme Josef Joffe, éditorialiste à l’hebdomadaire Die Zeit. Chez elle, en revanche, nombre de ses compatriotes se reconnaissent dans son discours :  » Sauvons l’Europe, oui, mais pas seulement grâce à l’argent venu d’Allemagne.  » L’opposition ne la critique pas sur le terrain européen Dans une crise devenue un enjeu de politique intérieure parce qu’elle engage les deniers du contribuable, Angela Merkel prône les valeurs d’une culture économique perçue, outre-Rhin, comme synonyme de succès : effort, rigueur et vision à long terme.  » Chanter les louanges de la solidarité, c’est facile. Appeler à la discipline est plus ingrat. A long terme, cependant, remettre les finances de la zone euro en ordre reste la base d’un développement économique sain « , résume Henrik Uterwedde. D’autres peuvent la comparer à Bismarck et parler de diktatà Auprès des siens, Merkel passe pour celle qui ne veut pas céder à la facilité. Son opposition ne s’y est pas trompée et ne se risque pas à la critiquer sur le terrain européen : après avoir un temps prôné l’instauration d’euro-obligations, dans le sillage de l’élection de François Hollande, le Parti social-démocrate (SPD) a rapidement fait marche arrière. Il votera même le fameux pacte fiscal que le président français avait dit vouloir renégocier. La gauche allemande ne peut faire autrement : le consensus est quasi général outre-Rhin sur la politique européenne d’Angela Merkel. En cas de duel électoral, au demeurant, aucun leader social-démocrate ne représenterait, pour la chancelière, un adversaire crédible. Face à François Hollande, celle-ci dispose d’un argument choc : la puissance d’une économie qui ne souffre d’aucune comparaison. B. M.

De notre correspondante Blandine Milcent

62 % des Allemands souhaitent qu’elle garde le cap de la discipline

budgétaire

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