Suède Pirates à l’abordage

Au pays de la saga Millénium, le parti des adeptes du téléchargement gratuit sur Internet fait une vraie percée. Il pourrait créer la surprise dans les urnes.

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL

S’il était encore de ce monde, nul doute que Stieg Larsson trouverait, dans la campagne électorale, les ingrédients d’un tome IV, suite possible de sa trilogie policière Millénium – dont le personnage central, Lisbeth Salander, est, comme on sait, une virtuose du piratage sur le Net. Créé le 1er janvier 2006 par Rick Falkvinge, 37 ans, un fondu d’informatique, le Parti pirate (PP) est, en tout cas, en position de réaliser un magistral hold-up électoral. Crédité de 5 à 8 % d’intentions de vote, contre moins de 2 % voilà quelques semaines, Piratpartiet séduit tout particulièrement une génération d’électeurs qui n’a jamais acheté un CD ni un DVD. Et pour laquelle télécharger un film ou un disque est aussi naturel que d’ouvrir un robinet d’eau.

Ainsi, le 7 juin, le Parti pirate pourrait envoyer deux députés au Parlement européen (sur un total de 18 sièges attribués à la Suède). Or, par une troublante coïncidence, il se trouve que la n° 2 de la liste PP, âgée de 21 ans, ressemble étrangement à la  » hackeuse  » Lisbeth Salander de Millénium : même air boudeur et même tignasse noire.

A Stockholm, dans le lobby au mobilier design de l’hôtel Nordic Light, le pirate en chef Rick Falkvinge, qui se définit volontiers comme un simple chef de projet, résume sa vision du monde :  » La révolution Internet, c’est comme l’invention de l’imprimerie au Moyen Age. A l’époque, l’Eglise catholique ne supportait pas que le monopole de l’information lui échappe ; aujourd’hui, les maisons de disques craignent la même chose. Mais tant mieux si elles disparaissent ! Elles auront bientôt autant d’utilité que les vendeurs de pains de glace lors de l’avènement du réfrigérateur « , ironise ce blogueur à succès qui – c’est son projet – entend  » réviser la législation sur les droits d’auteur et les brevets à l’avantage des consommateurs  » et  » protéger le droit à la vie privée sur la Toile « .

Dans la société à haut débit qu’est la Suède – un pays plus libéral qu’on ne l’imagine – ses arguments font mouche. Surtout auprès des moins de 25 ans, qui ont massivement rejoint Piratpartiet au lendemain de la condamnation, début avril, du site de téléchargement suédois Pirate Bay (lequel n’a pas de lien avec le parti du même nom).  » En quelques heures, reprend Falkvinge, le nombre d’adhérents a été multiplié par 2,5.  » Avec ses 45 000 membres, le Parti pirate est devenu, en nombre d’adhérents, la troisième force politique du pays.

Mais le vrai succès de Rick Falkvinge, c’est d’avoir transformé la controverse sur le téléchargement en débat sur les libertés publiques en danger.  » Autoriser un Etat à fouiller dans la correspondance privée de deux internautes qui s’envoient des fichiers revient à lui permettre de lire le contenu des enveloppes que vous postez au courrier « , s’indigne Falkvinge. Loin de susciter des sarcasmes, son argumentation a déclenché une réflexion sur les contours de la démocratie à l’heure d’Internet. Lors du principal débat électoral télévisé, le 17 mai, c’était l’un des grands thèmes abordés par les têtes de liste.

Pour le reste, le Parti pirate ne possède pas de programmeà Ni de droite ni de gauche, Falkvinge balaie d’un revers de main ceux qui lui reprochent son absence de substance politique :  » Dans les années 1920, l’on a pareillement tenté de discréditer le mouvement ouvrier au motif que son unique objet était l’amélioration des conditions de travail. Dans les années 1970, on a moqué les écologistes avant de comprendre la pertinence de leurs idées.  » Un tantinet mégalo, Falkvinge livre le fond de sa pensée :  » Le Piratpartiet est l’avant-garde d’une révolution technologique qui va changer la face du monde.  » A Stockholm, la lutte finale, sous Windows, a déjà commencé.

AXEL GYLDÉN

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