Stars de spots-chocs

Le cas d’Elio Di Rupo n’est pas isolé : sportifs, acteurs, politiciens… De plus en plus de people (pas toujours consentants !) prêtent leur image à des campagnes publicitaires. Avec quelle efficacité ?

Rocco Siffredi, star du X, condamnant la pornographie enfantine, à l’initiative de Child Focus. Jean-Claude Van Damme opposant un non catégorique au commerce de la fourrure, pour le compte de Gaia. Marine Le Pen, François Bayrou et Nicolas Sarkozy, tous les trois en phase terminale dans leur lit d’hôpital, censés booster la réflexion, en France, sur l’euthanasie. Et notre Elio Di Rupo national, en otage de trois mafieux pronucléaires d’Electrabel, dénoncés par Greenpeace. Les deux premiers ont prêté volontairement (et gracieusement) leur visage pour la défense d’une cause en laquelle ils croient. Les autres, à leur corps défendant, ont vu leur image détournée par des photos-montages ou le jeu d’habiles comédiens, afin que leur renommée donne plus de poids aux messages… On ne compte plus, depuis qu’existe la publicité, le nombre d’affiches ou de spots mettant en scène une idole du sport ou de la scène : parmi beaucoup d’autres, Eddy Merckx, Tia Hellebaut, Tom Boonen, Sandra Kim, Johnny Hallyday, George Clooney, Richard Gere ont ainsi vanté, respectivement, les mérites de la poudre Ariel, du Pizza Hut, de l’essence Q8, des saucisses Mora, des lunettes Afflelou, du Nespresso et de l’Orangina, en déclinant souvent l’humour au second degré, et en touchant le pactole au passage. Les politiques, eux, sont rarement consentants. Ils peuvent même ne pas l’être du tout, comme l’a fait savoir – dans la foulée des vives critiques émises par Joëlle Milquet et Didier Reynders – le Premier ministre lui-même, en condamnant, par le biais d’un communiqué du PS,  » la récupération de son image par Greenpeace, qui dupe les citoyens par des procédés de plus en plus douteux « .

La chevelure d’ébène, le n£ud pap’, la voix chevrotante haut perchée et le prénom  » Elio  » inscrit dans le slogan final ne laissent, eux non plus, aucune place au doute :  » Ce n’est pas la personne du Premier ministre qui est visée, assure Michel Genet, directeur général de Greenpeace Belgique, mais l’ensemble de nos gouvernants. On aurait pu prendre des sosies de Leterme ou Dehaene, mais c’était moins évident…  » S’il n’est pas dépourvu d’humour (les glouglous désespérés du Premier quasiment noyé, la pointe de ses souliers vernis qui rayent le sol…), le petit film, très caricature de série B, a surtout interpellé par sa vraie/fausse violence. C’est par ce biais qu’il entendait frapper les esprits.  » A côté de l’usage du rire et du sexe, la technique des pubs-chocs est bien connue, constate Michael Ghilissen, professeur de marketing et de stratégie à HEC-ULg. Elle produit des résultats généralement significatifs.  » Les campagnes Benetton en lien avec le sida, le soft-porno des jeans Calvin Klein, les bronches nicotinées du lobby antitabac, les clichés sanglants d’accidentés en bord de route… tout ça n’a pas d’autre but que de choquer,  » par effet de surprise, par la violation des normes sociales attendues « . Objectif ? Obtenir, in fine, une modification du comportement du public. La  » sordide  » (ou comique, ou déplacée, selon les avis) mise en scène de Greenpeace (conçue par le bureau flamand Absoluut), ne se lit pas autrement. Sauf qu’il s’en dégage un second message, peut-être plus sournois, celui-là :  » On y voit un Di Rupo à la solde de ses bourreaux : donc, faible, en un sens, et incapable de prendre ses responsabilités, à savoir respecter la loi de « sortie du nucléaire » telle que prévue dans l’accord gouvernemental « , estime le Pr Ghilissen.

Mais… l’objectif de la campagne est-il atteint ? Le danger de toute pub est d’en faire trop :  » Celles axées sur l’humour recourent systématiquement à des stéréotypes… qui blessent toujours quelqu’un. Celles qui font appel à l’érotisme risquent, elles, de heurter les femmes. Avec les pubs-chocs, on peut vite aller trop loin dans le mauvais goût, l’inconvenant, l’outrageant, l’inacceptable. On perd alors en efficacité : les gens se bloquent, et se retournent finalement contre le message de base.  » Aucun danger, apparemment, avec le clip Greenpeace :  » Au lendemain de la diffusion, un sondage Internet a montré que 66 % des francophones ne s’estimaient pas choqués par notre pub, assure Genet. En Flandre, le taux a grimpé au-delà des 80 %.  » Il n’empêche : des employés d’Electrabel ont jugé le clip désobligeant, et le Jury d’éthique publicitaire a instruit un dossier… Le prix du risque ?  » Il ne faut pas oublier, ajoute Ghilissen, que la plupart des publicités, qu’elles emploient ou non des people, sont généralement testées au préalable, vu l’investissement financier qu’elles représentent.  » Le directeur de Greenpeace affirme que ce ne fut toutefois pas le cas, faute de moyens :  » Le budget mondial de notre organisation, 220 millions d’euros, équivaut à celui du marketing de McDo France ! On a donc intérêt à être un peu… créatif et provocateur !  » Aux dernières Pâques, un autre spot Greenpeace, tourné avec Melchior Wathelet, n’avait pas eu le retentissement de la version  » torturante  » avec di Rupo.  » Le message (informer et faire réfléchir, il ne s’agit quand même pas, ici, d’inciter les gens à occuper une centrale !) est incontestablement passé « , assure Ghilissen. Greenpeace, de son côté, se montre satisfait.  » Nous voulions qu’on parle plus du nucléaire, qu’il sorte un peu des cénacles. Sans le clip, on n’aurait pas eu ce buzz.  »

Certes. Mais le ramdam n’est pas tout, rappelle le spécialiste en marketing, et il ne garantit jamais, à lui seul, le succès d’une campagne.  » Contrairement à ce qu’on croit, la pub ne fait pas vendre : elle crée de la notoriété, elle fait juste démarrer un processus. Après, tout dépend du talent du vendeur…  » Sera-ce de nature à consoler un Di Rupo supplicié ?

VALÉRIE COLIN

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