SOCIÉTÉ

A la mort de leur compagne, beaucoup d’hommes, complètement déboussolés, ont besoin d’aide. Après un demi-siècle de services rendus exclusivement aux femmes, Infor-veuvage leur fait un appel du pied

Mis à part le bouche-à-oreille, c’est la méthode la plus efficace: pour entrer en contact avec les épouses qui viennent de perdre un conjoint, rien de tel que les nécrologies. Voilà cinquante ans que les bénévoles d’Infor-veuvage (1) épluchent patiemment les journaux locaux, afin d’offrir leurs services aux femmes endeuillées. Pas toutes. « C’est un peu au vogelpik, admet Rachel Lejeune, 62 ans, présidente de l’ASBL. Nous nous basons sur l’âge du défunt: s’il a atteint 75 ans, on laisse tomber. » Car ainsi va la vie: en général, le décès des messieurs, dans les très vieux couples, prend rarement de court les survivantes. Ce système d’entraide qui a permis, en un demi-siècle, à des milliers de veuves d’être soutenues psychologiquement ou guidées dans leurs démarches administratives, a pourtant subi, récemment, un « repositionnement » délicat. « Depuis septembre 2001, nous relevons les nécros des dames, pour envoyer notre brochure aux conjoints survivants », explique la responsable. Une révolution! Dans cette vénérable institution qui s’appelait jadis « Fraternité des Veuves », il s’est longtemps trouvé des membres pour estimer choquant d’y accueillir les éléments masculins. La raison supposée? Dans notre société, un veuf se doit d’être fort: il est mal vu qu’il cherche du secours, et encore plus qu’il affiche son malheur ( lire le témoignage ci-contre). « Certaines affiliées redoutaient aussi qu’on assimile le mouvement à une agence matrimoniale, poursuit Nadine Godichal, 43 ans, veuve depuis dix ans. Mais la présence des hommes est une bonne chose, puisque ensemble, nous serons mieux écoutés. Jusqu’ici, des parlementaires ne s’intéressaient à nos revendications que lorsqu’eux-mêmes, ou leurs mères, étaient touchés par le veuvage… » Autre concession à la modernité: Infor-veuvage ouvre bien grand ses portes aux veuves et veufs « de coeur », celles et ceux que la mort sépare alors même qu’ils n’étaient pas légalement mariés…

Ces progrès, qui soufflent un vent de fraîcheur sur une association vieillotte et, somme toute, assez méconnue (« C’est parce que la mort fait peur », croit Julia Pilate, 68 ans), répondent toutefois à une nouvelle urgence: longtemps mis de côté pour des questions « morales », les hommes débarquent aussi pour des raisons statistiques. Certes, notre pays compte toujours un plus grand pourcentage de veuves que de veufs (en 1996, elles formaient 5,92 % de la population et les veufs, 1,34 %). Logique: les hommes meurent plus jeunes que leurs compagnes. Mais ces dernières décennies ont aussi correspondu à une augmentation des décès dus aux maladies cardio-vasculaires, aux cancers et aux accidents de la route. Et ceux-là frappent indifféremment hommes et femmes.

La gent masculine plus fragile

Or voilà: il semble que la perte du conjoint fragilise davantage la gent masculine. Alors que les femmes en deuil se débattent le plus souvent avec leurs ennuis pécuniaires, les veufs souffrent essentiellement de la solitude et, lorsqu’ils sont plus jeunes, du stress qu’engendre l’éducation des enfants. Leur détresse est telle que, d’après une étude récente en sciences sociales réalisée à l’université de Gand, « durant les trois années qui suivent le décès de leur compagne, les hommes ont une probabilité de mourir supérieure de 21 % à celle des hommes vivant en couple. Chez les femmes, cet « excès de mortalité » n’est que de 3 % ». Impuissance face aux tâches ménagères et aux difficultés scolaires, réticence à quémander une aide financière, impossibilité de montrer leur désarroi aux collègues ou aux proches… Bref, rien ne va. Après la perte du conjoint, les hommes accusent davantage le coup que les femmes. « Les veufs semblent mettre plus de temps à s’adapter à leur nouvelle situation. Ils glissent plus facilement dans un état d’isolement social », affirme l’enquête. En outre, leurs diplômes ne leur seraient d’aucun secours. Bien au contraire: durant la période qui suit immédiatement le décès, les hommes dotés d’un haut niveau d’étude présenteraient un risque accru de mortalité. Explication des chercheurs: chez ces hommes, le choc du décès, moins facilement accepté, est plus rude. Or le stress déclenche des maladies psychosomatiques et amplifie des comportements à risque (laisser-aller, violence, alcoolisme, toxicomanie, suicide).

« Actuellement, lorsque des hommes appellent pour un banal renseignement en matière de succession, ils restent une demi-heure au téléphone », constate-t-on chez Infor-veuvage. Pas de doute: qu’il s’agisse d’angoisses qui leur sont propres, ou des soucis inhérents au veuvage (et ils sont nombreux, des surtaxations à la sexualité bannie), ils ont besoin d’aide. Reste toutefois à les convaincre d’oser en demander. « En général, il faut quelques mois avant qu’une personne endeuillée, qui souhaite un soutien psychologique, nous contacte via notre brochure, explique Marie Simon, assistante sociale à Infor-veuvage. C’est donc maintenant que nous attendons les hommes. »

Une demande timide

Qui, cependant, ne se pressent guère. Pour toute la Wallonie et Bruxelles, l’association ne totalise, à ce jour, qu’une dizaine d’intéressés. « Très peu d’entre eux acceptent d’en parler, ajoute Marie Simon. Mais nous sentons réellement leur demande, timide. » Etienne, 53 ans, confirme. Quand son épouse est décédée, il n’existait, en Belgique francophone, que des groupes de parole pour dames. Aujourd’hui, huit ans après, il ne manquera pas la première assemblée masculine ou mixte: « Parce que la cicatrice du départ de Betty est toujours là, mais qu’il m’importe de la rendre la plus belle possible. »

Infor-veuvage compte des sections à Bruxelles et dans toutes les grandes villes de Wallonie. Rens.: 02-513 17 01 ou veuvageasbl@hotmail.com

Valérie Colin

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