SOCIÉTÉ

Le contrôle des procédures d’adoption va être renforcé. Objectif: prévenir les abus et les échecs. Au risque de limiter, pour les enfants, les chances de retrouver une famille?

« Je n’ai jamais « digéré » mon adoption, raconte Christian Demortier, 36 ans, auteur de Adopté dans le vide (éd. Fayard). Je me suis toujours senti « étranger » à ma famille adoptive. D’origine indienne, j’étais physiquement différent de mes parents belges. Mais, surtout, je ne ressentais rien comme eux, ni les odeurs ni les émotions. J’en souffre encore aujourd’hui. Un enfant adopté est déraciné à vie. »

Le témoignage de Demortier a des allures de réquisitoire ( lire également ci-contre). « L’adoption est trop souvent considérée comme un acte merveilleux, poursuit l’auteur. Mais, dans mon cas, si mes parents avaient suivi une thérapie, ils ne m’auraient sans doute pas adopté. Ils auraient pris conscience qu’ils recherchaient, dans l’adoption, une « mauvaise réponse » à leurs problèmes de couple. De façon plus générale, je me demande pourquoi les Occidentaux veulent tellement s’occuper des enfants du tiers-monde. Cherchent-ils vraiment le bonheur des petits Vietnamiens ou Thaïlandais? Ou tentent-ils, avant tout, de régler leurs problèmes de dénatalité? »

Ces propos-là mettent mal à l’aise. Comme d’autres histoires qui viennent souligner, parfois, la légèreté de certains parents. Voici quelques semaines, le cas de Belinda et Kimberley a fait le tour du monde. Ces jumelles métisses, originaires de Saint Louis dans le Missouri (Etats-Unis), avaient été présentées à l’adoption sur Internet. Elles avaient d’abord été confiées à des parents californiens, avant d’être « acquises » par une famille galloise, qui a offert une somme deux fois supérieure, pour revenir, finalement, auprès de leur mère biologique (28 ans), dont la situation s’était, depuis, améliorée. Et ce, en attendant la décision du tribunal.

En tout cas, en Roumanie, après la chute du mur de Berlin, les dérives ont été à ce point importantes que le pays a suspendu, un temps, tout dossier d’adoption.

Le souci de prévenir le vol, la vente ou le détournement d’enfants, à une échelle internationale, s’est concrétisé en 1993, à La Haye (Pays-Bas), par une convention sur la protection des enfants et sur la coopération en matière d’adoption internationale. Sa philosophie de base repose sur l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect de ses droits fondamentaux. Désormais, chaque Etat signataire s’engage à mettre tout en oeuvre pour maintenir l’enfant dans sa famille d’origine, présentée comme garante de son épanouissement. En cas d’abandon ou de décès des parents, une solution doit être prioritairement recherchée dans le pays d’origine, afin de ne pas ajouter, au déchirement familial, un déracinement culturel. Dans la hiérarchie des solutions, l’adoption internationale n’intervient qu’en dernier recours, à titre « subsidiaire ».

Les Etats d’origine ont alors pour mission de vérifier que l’enfant est « adoptable ». Dans ce but, ils doivent obtenir le consentement des parents qui seraient encore en vie, ainsi que celui du mineur qui aurait atteint un certain degré de maturité. Les pays d’accueil sont, quant à eux, tenus de constater les qualifications et les aptitudes des parents candidats.

Ce dernier point est l’une des principales nouveautés contenues dans l’avant-projet de loi sur l’adoption que Marc Verwilghen, ministre (VLD) de la Justice, doit présenter avant l’été.

Entrée en vigueur en 1995, suite à sa ratification par le Mexique, la Roumanie et le Sri Lanka, la convention de La Haye n’a toujours pas été ratifiée par notre pays. La Belgique en a pourtant été l’un des maîtres d’oeuvre. Mais elle doit, au préalable, réviser sa législation pour prévoir, notamment, l’attestation de capacité à adopter. Cette dernière devrait être délivrée par une « autorité centrale », qui deviendra l’interlocuteur privilégié entre les Etats en matière d’adoption.

A l’avenir, chaque candidat devra donc réclamer ce certificat d’aptitude. Cela permettra à l’Etat d’exercer un contrôle sur toutes les adoptions, y compris sur celles qui s’effectuent par la filière libre, quand des parents recourent par exemple à Internet et vont chercher eux-mêmes l’enfant sur place. Actuellement, seules les familles qui s’adressent aux organismes d’adoption, agréés par les Communautés française et flamande, font l’objet d’une enquête d’ordre psychosocial.

C’est sur la base de cette expérience, que Verwilghen avait d’abord décidé de confier la délivrance de l’attestation d’aptitude aux Communautés. Ce point, qui apparaissait dans son précédent avant-projet de loi remontant (mars 2000), n’a toutefois pas reçu l’aval du Conseil d’Etat. Le nouveau texte, en discussion, proposerait plutôt d’octroyer cette compétence à une autorité judiciaire (justice de paix, tribunal de jeunesse ou de première instance, par exemple) qui trancherait à la suite d’un avis remis par les Communautés, ainsi que le souhaite Nicole Maréchal, ministre Ecolo de l’Aide à la jeunesse.

Quoi qu’il en soit, la question du contrôle reste délicate. « Les parents candidats à l’adoption vivent souvent mal la sélection opérée par les organismes d’adoption, reconnaît Nicole Maréchal. Ils dénoncent leur subjectivité dans l’évaluation des capacités à adopter. » Les parents biologiques font-ils, eux, la preuve de leurs aptitudes? Désormais, il ne pourra plus être question d’exclure systématiquement les couples non mariés. L’avant projet de Verwilghen devrait confirmer l’ouverture de l’adoption aux cohabitants. Il semble toutefois peu probable que ce souci d’effacer toute discrimination aille jusqu’à étendre le droit à l’adoption aux couples homosexuels, comme le ministre de la Justice l’avait suggéré, l’an dernier, dans sa note de politique générale.

Les opposants à cette ouverture auraient-ils peur des adoptions ratées? Les enfants adoptés auraient-ils plus de problèmes que les autres? Nicole Maréchal relève, en tout cas, le taux élevé d’enfants adoptés qui, adolescents, échouent dans les homes accueillant des mineurs délinquants ou en danger, maltraités ou rejetés par leur famille. « Adopter un enfant n’est pas une démarche banale, ni un acte de filiation courant », commente la ministre.

Chris Paulis, anthropoloque à l’ULg, regrette cette frilosité. Auteur d’une thèse de doctorat Adopter un enfant (éd. De Boeck), elle est mère de neuf enfants, biologiques et adoptés, de nationalités différentes. « Il faut prévenir les abus et écarter les parents perturbés, reconnaît la chercheuse. Mais il faut, surtout, veiller à ce que ces contrôles renforcés ne laissent pas trop d’enfants sur le carreau. Il est, par exemple, scientifiquement impossible de mesurer des capacités parentales, à moins d’attendre la troisième génération. » En effet, c’est lorsque les enfants sont devenus adultes qu’ils reproduisent, vis-à-vis de leurs propres fils et filles, les méthodes éducatives héritées de leurs parents. « En outre, si l’enfant est toujours mieux dans sa famille, encore faut-il que ses parents biologiques l’acceptent », poursuit Chris Paulis.

Pour l’anthropologue, il y a toujours eu, dans l’histoire de l’humanité, un certain nombre d’enfants « en trop ». « Il ne faut pas mélanger des notions comme l’adoption et l’aide sociale, précise-t-elle. On entend parfois ce discours: « Après avoir pillé les richesses du tiers-monde, les Occidentaux lui volent ses enfants. Ils feraient mieux d’investir dans la coopération au développement ». Ça fait bien, mais c’est faux. C’est oublier que la majorité des enfants des homes n’ont pas été abandonnés pour des raisons économiques, mais socioculturelles. La plupart d’entre eux sont le fruit d’adultères, d’incestes, de viols, de grossesses non désirées… La Roumanie est un exemple dramatique. On a mis fin aux adoptions en raison d’abus. Les enfants sont restés dans des institutions jusqu’à leur adolescence, moment où on ne les y a plus voulus. Aujourd’hui, à Bucarest, ne sont-ce pas eux qu’on retrouve dans la rue, dans la prostitution et la drogue? »

Dorothée Klein

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